04. Livraisons pour le vieil ami fatigué

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Malcolm

Je vide mon assiette et mets les restes alimentaires dans le composteur. J’ai le modèle simple mais j’envisage prochainement de me faire livrer le modèle avec les vers dévoreurs de détritus, je ne me suis juste pas encore décidé. D’un côté, le Conseil nous encourage à le faire et le plus vite possible car ils ont fait fabriquer un important stock et le laisser dans les entrepôts n’est pas très optimum. Cependant, pour l’avoir, ils nous demandent un engagement de trente jours de travail et il faut aussi leur rendre notre composteur actuel. Je me demande si ça ne va pas faire du gâchis tout ça et suis toujours un peu réticent à faire l’échange. Et puis, je n’ai pas envie de devoir travailler les trois prochains mois juste pour rembourser cet objet, j’ai encore des livres à rembourser ou à échanger contre des journées de travail. Le système des jours de travail pour obtenir tout ce que le Conseil juge comme superflu ne me semble pas le plus efficace mais au moins, ça nous motive à faire nos missions avec un but en tête.

Je récupère d’ailleurs un livre que j’ai acheté à la partie vente de la bibliothèque et enfourne mon vélo afin de me rendre chez Christopher, un ami de longue date qui vient d’avoir un bébé avec son partenaire du moment. Chris, je le connais depuis qu’on est tout petits. On a appris le vélo ensemble, il a été mon premier partenaire et moi le sien, et puis on nous a assigné chacun à une mission différente et nous nous sommes un peu éloignés, aussi bien physiquement que géographiquement, ce qui ne nous a pas empêchés de rester en lien.

Ce qui est agréable sur cette île, c’est le calme et la sérénité qui s’en dégagent. La montée est raide mais je profite quand même du chant des oiseaux qui agrémentent l’effort que je fais pour me rendre chez mon ami et la vue magnifique que j’ai sur la baie et l’horizon sans un seul nuage. Quelques vers me viennent en tête alors que mon souffle commence à se faire court.

Une île où la Nature est Reine

Une île qui met en valeur les éoliennes

Une île où personne ne pollue

Une île où l’écologie est absolue

Je me dis que c’est pas mal et m’arrête pour le noter sur mon petit carnet avant de l’oublier, puis je reprends mon chemin vers la maison de Chris où j’arrive enfin. Je frappe et il m’accueille en souriant et en me faisant la bise. J’aime bien quand nos barbes entrent en contact, ça chatouille et c’est doux à la fois.

— Salut Chris ! Quelle idée de t’installer si haut ! Tu sais que je fais déjà mon sport obligatoire trois fois par semaine ? Pas besoin de rajouter cette épreuve en plus !

— Tu sais bien que je n’ai pas vraiment eu le choix. J’aurais préféré être plus proche de l’eau et surtout plus bas. Je t’offre quelque chose à boire? Comment tu vas ?

— Je suis en forme, le Conseil y veille. Je veux bien un jus de raisin. Et… félicitations ! Enfin, c’est ce qu’on dit, non ?

— Il paraît. La question est de savoir si on félicite les gens pour les nombreuses couches dégueulasses à laver, les réveils bien trop nombreux la nuit ou les engueulades à cause de la fatigue, rit-il. Tu as de la chance, c’est le jus que j’ai fait ce matin.

— Tu trouves encore le temps de faire du jus ? demandé-je en le suivant vers sa cuisine. Marc est avec le bébé ou alors tu es seul et ils sont partis faire un tour ?

— Il fait un tour dans le quartier pour essayer de l’endormir… On a dû se reposer deux heures, cette nuit, maximum, grimace-t-il en me servant un verre. J’avais besoin de vitamines, ce matin.

— Oh, mon pauvre. Et il est arrivé quand déjà ? Vous l’avez appelé comment ?

J’ai l’impression que l’on ne parle pas d’un bébé mais d’un simple objet. Il faut dire que la méthode du Conseil est un peu similaire à la simple livraison d’un colis. On reçoit un message, quelques jours plus tard une voiturette amène le bébé et hop, on est parents.

— Il y a une semaine, et on l’a appelé Alexis. Il est trop mignon, tu verrais… Il a de grands yeux et des petits cheveux bruns, il est vraiment… adorable, sourit-il niaisement.

— Je crois que le livre vous aidera à vous en occuper. C’est le guide du Conseil sur comment allier écologie et éducation. Un vrai best seller sur l’île. J’espère que ça te plaira !

— Merci, c’est sympa. Marc le voulait absolument, mais je n’ai pas trouvé le temps de descendre au village pour l’acheter. C’est… plus compliqué que je ne le pensais, honnêtement. J’ai l’impression d’être gauche, de faire n’importe quoi. Mais bon, j’imagine que ça va venir avec le temps…

— Oui, ça va venir, pas plus compliqué que de réparer une turbine d’éolienne, si ?

— Ah, je sais pas, rit-il. L’éolienne reste en mer, le gamin est là et m’empêche de dormir. Bref, j’ai pas envie de devenir comme tous ces pères qui ne parlent plus que de leur chérubin, je t’écoute. Quoi de neuf pour toi ? Je suis prêt à parler de tout tant que ce n’est pas de bébé.

— Tu m’étonnes ! On oublie parfois qu’il y a de la vie en dehors du bébé, hein ? Alors, pour les nouvelles, tu es au courant qu’une naufragée a été recueillie par les pêcheurs ? C’est la grande information d’hier !

— Oui, Marc a entendu ça vite fait à la radio. Elle vient d’où ? Faut faire gaffe, si ça se trouve, c’est une sirène…

— Une sirène ? Mais ça n’existe pas ! Tu devrais lire l’étude du Conseil sur le sujet. Je crois que c’est juste une pauvre femme dont le navire a coulé. La Doc s’en est bien occupée, en tout cas. Je l’ai aperçue ce matin, elle a l’air d’être en forme.

— Qui ça ? La doc ou la naufragée ? plaisante-t-il. Tu passes ton temps à surveiller les femmes, fais gaffe.

— La bibliothèque est juste sur la ligne de démarcation ! Pas possible de les éviter, tu sais. Et je te parlais de la naufragée. Elle est remise de son arrivée mouvementée, je crois.

— Eh bien, une bouche de plus à nourrir… Tu crois que le Conseil va la renvoyer chez elle ou la garder ici ?

— La renvoyer ? Ça m'étonnerait. Une jeune femme comme ça, ils vont tout faire pour la garder. Tu sais, ça permettra de maintenir le stock d’ovules suffisant. Par contre, je ne sais pas ce qu’ils vont faire pour l’équilibre.

— Je ne sais pas… Elle est jolie ? sourit-il. Oui, je sais, ça n’a pas de rapport. Je suis juste… curieux.

Je réfléchis un instant. Je ne me suis jamais posé la question pour savoir s’il y avait de jolies femmes ou pas. C’est une pensée un peu taboue et je regarde avec suspicion mon ami pour voir s’il est en train de me tendre un piège mais non, il a l’air vraiment intéressé. Je réalise cependant que mon attention s’est surtout portée sur la doc et que je serais bien à mal de décrire la naufragée.

— C’est une femme, quoi. C’est surtout Jade que j’ai vue en fait. Elle est pas mal, elle, pour une femme. De belles formes.
— C’est vrai qu’elle est plutôt agréable à regarder, la Doc… Bon, eh bien, il va falloir que j’aille me balader au village pour voir la naufragée alors.

— Elle est toujours au cabinet médical. Il y a une belle vue depuis l’étage de la bibliothèque. Et ça te fera une occasion de sortir sans ton Alexis ! N’hésite pas à venir !

— Je ne sais pas si je pourrai venir sans. Avec Marc, on a décidé de s’accorder une heure par jour en solo, mais ça fait court pour aller au village et vraiment avoir une chance de croiser la demoiselle. Enfin bon, je verrai ça.

— Et avec lui, tout se passe bien ? C’était un peu précipité votre histoire, non ? Le bébé est arrivé après quoi ? Deux semaines de vie commune ? Vous êtes des rapides, vous ! me moqué-je.

— On n’a pas vraiment choisi l’arrivée si rapide du petit, en même temps… On a officialisé auprès du Conseil pour avoir une maison et essayer de vivre ensemble, mais tu sais comment c’est.

En effet, je sais comment c’est. Quand un couple est formé, le Conseil fait toujours au plus vite pour y adjoindre un bébé. Cela renforcerait les unions, soi-disant. Des fois, on peut attendre des mois, voire des années, mais là, l’équilibre devait être rompu et ils ont un peu précipité les choses.

— Et il est toujours aussi aventurier au lit ou bien il y a trop de fatigue ?

— Tu déconnes ? A chaque fois qu’on arrive au lit, on s’endort comme deux loques, soupire Chris. Ce gosse va nous tuer.

— Non, tu verras, dans quelques années, il fera votre fierté ! Mais c’est vrai que c’est dommage pour votre vie de couple, tout ça. Si tu veux, vous pouvez me le déposer un weekend et vous aurez un peu de temps pour vous, comme ça.

Purée, j’en reviens pas de ce que je viens de proposer, là. J’aime trop ma tranquillité et en plus, si le Conseil sait ça, il risque de me refiler le prochain. Pas sûr que je sois prêt à pouponner, moi.

— Pas dit que Marc lâche son petit protégé un weekend complet, tu sais ? Quelques heures, tout au plus, à mon avis, mais merci pour la proposition, vraiment.

— C’est normal, entre amis. Et puis comme ça, il m’inspirera peut-être un nouveau poème pour la revue. Tu as lu le dernier que j’ai fait ? J’ai trouvé qu’il n’était pas mal.

— Ne m’en veux pas, mais je n’ai pas pensé à consulter la dernière revue, non, désolé. Je suis sûr qu’il est très bien, tu as toujours été doué avec les mots. Pas qu’avec les mots, d’ailleurs, pouffe-t-il.

— Je confirme, personne ne s’est jamais plaint de la façon dont je manie la langue ! Enfin, maintenant que tu es casé, il va falloir que je me trouve un autre mec quand j’aurai des besoins à assouvir, soupiré-je en prenant un air dévasté de circonstance.

Et pourquoi je pense à la Doc en train de me soigner en disant ça ? Je perds la raison, moi, c’est pas possible autrement.

— Si seulement une flopée de naufragés beaux et musclés pouvait débarquer ici, soupire Chris. Ça ne ferait pas de mal au paysage !

— Tu sais que si tu as besoin d’un beau gosse, tu n’as qu’à venir à la maison ? Pas besoin de naufragés pour ça ! Et puis, de ce que je sais, Marc n’est pas du genre exclusif, si ?

— On a décidé de tenter l’exclusivité… A voir si ça tient le coup. Une chose est sûre, en ce moment, on est trop occupés à autre chose pour penser à ça !

J’avoue que moi, je ne suis pas trop occupé pour penser à ce genre de petits plaisirs qui mènent à de grandes jouissances. J’ai l’impression d’être en manque. Je dois vraiment l’être énormément car là, ce n’est pas seulement le corps poilu de Chris que j’imagine contre le mien, mais aussi celui de Jade, ce n’est pas uniquement son visage barbu mais également celui imberbe de la Doc. Mais c’est quoi, ça ? Pourquoi depuis que la naufragée est là, je me mets à bander pour une femme ? C’est peut-être vraiment une sirène, cette nouvelle arrivée…

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