Chapitre 2

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PREMIER MARDI, j u i l l e t

    Cette journée était d'un ennui désolant et amer. Ysée ressentait cet étrange sentiment de regret, de chagrin, mélancolique. Elle repensait à Lulu, à ce petit garçon au doux minois qui était toujours rieur. Il aimait beaucoup les blagues et même si certaines étaient salaces, le petit brun ne semblait pas s'en rendre compte. Ce qui amusait d'autant plus la jeune femme. Pourtant, et ce, malgré toute chose, elle s'ennuyait. Elle avait pourtant bien de quoi s'occuper. Des centaines de livres qu'elle devait certainement avoir lu plusieurs fois. Mais même ce livre acheté récemment lui paraissait ennuyant – elle qui l'avait attendu depuis des semaines et qui ne l'avait pas encore commencée. Son livre, comme tout autour d'elle puis parut sans intérêt. Elle savait d'avance que la porte en verre de sa petite librairie, striée de fissures, ne s'ouvrirait pas. Ni aujourd'hui, ni demain. Telle était la routine. Pourquoi irait-elle travailler ? Déplacement inutile. Utilisation d'électricité sans aucun intérêt. Cette pauvre librairie était abandonnée de tous visiteurs et ce, depuis plusieurs mois. Il n'y avait que la poussière qui rendait visite à cette petite librairie. Responsable de la situation dégradée de ses divers livres, elle venait tuer toute la volonté littéraire qu'Ysée avait voulu faire renaître au sein de cette bibliothèque. Ses milliers de minuscules fibres grisées en suspension dans l'air s'insinuaient entre chaque couverture pour y déposer leur venin grisâtre.

    Ysée avait beau se démener pour nettoyer, rien n'y faisait. De la poussière, toujours de la poussière. Méchante poussière. Merci, la poussière ! Ysée était une femme démunie. Elle n'avait eu qu'une pensée en déménageant dans cette petite ville, apporter un peu de réconfort avec un endroit simple et chaleureux ou régnait tout le culturel du monde. Mais apparemment, cette ville était peu lectrice, ce qui lassait d'autant plus chaque jour la jeune brune. Malgré tout, Lulu lui apportait un peu de chaleur. Mais son cœur de jeune femme sensible se resserrait comme un étau quand le vieil homme bourru, Guillaume, le tuteur de Lulu, revenait le chercher, toujours dix minutes avant l'heure du goûter que Lulu chérissait pour déguster avec avarice tout les croissants de la boulangère avec qui Guillaume fricotait. Mais tout ce la n'était qu'une routine simpliste et fatigante.

    Que pouvait-elle faire ? C'est la solitude qui l'enveloppait dans une douce tristesse. Les lèvres sans cesse pincées, les traits déformés par la culpabilité, il lui fallait s'acquitter de sa tâche. Mais elle n'en avait plus la capacité. Ni l'envie. Ysée finissait son petit – déjeuner, composé d'un liquide blanc qu'elle avait mélangée avec de la poudre chocolatée, dans un petit bol blanc à pois vert. Elle s'était emmitouflée, à son réveil, d'une épaisse couette en velours dont seul son visage dépassait. Elle quitta sa place à table pour prendre sur une haute étagère en bois un petit récipient en verre qui contenait du jus d'orange. Elle s'installa de nouveau à sa place, pliant ses longues jambes fines, avant d'ôter avec précaution le bouchon qui refermait le récipient. Elle pencha l'objet en verre grisâtre et laissa couler le liquide orange dans son verre au bord fissuré.

    Un soupir s'échappa de ses lèvres rosées du rouge à lèvre qu'elle n'avait pas enlever la veille, avant d'aller se coucher. L'ennui s'annonçait plus terrible que les autres jours. Le soleil qui s'échappait par la fenêtre de sa cuisine annonçait du beau temps. Ysée plissa ses grands yeux verts. Il était hors de question que son corps brûle sous le feu ardent de la boule jaune incandescente. Elle quitta pour la seconde fois sa place. Elle se dirigea vers sa fenêtre et, avec beaucoup de précaution, une fois de plus, se cachant derrière le mur, elle tira sur la fine cordelette plusieurs fois pour refermer le store. Lorsque les ombres jaunes disparurent du sol de la pièce, elle se sentit soulagée. Elle se retourna vers l'encadrement de la porte, grande ouverte et quitta la cuisine, d'un pas léger et lâchant sa couette qui glissa lentement sur son corps. La couette formait un étendu blanc sur le sol, rappelant joyeusement à la jeune femme que l'hiver ne tarderait plus. Son verre était encore plein, son  récipient en verre contenant du jus d'orange, presque vide. Son thé, aussi, maintenant vide n'avait pas bougé. Ysée était partie se coucher, espérant fuir cette abominable journée.


    Lulu se léchait d'une lenteur incroyable ses doigts boudinés pour attraper de sa petite langue rose les miettes du croissant qu'il venait d'engloutir avec délice. Il étira sa bouche si rieuse pour rigoler, sentant la bonne odeur de la soupe aux légumes que la boulangère était en train de cuir dans la cuisine de Guillaume.

    L'appartement de ce vieux Guillaume était sombre et morne par le mauvais temps. Tout était petit et même s'ils n'étaient pas nombreux, Guillaume rêvassait souvent d'une grande résidence moderne dans laquelle vivre. Il y aurait ce qu'il faudrait et il pourrait dormir dans le même lit que son adorable boulangère, là ou il pourrait tripoter de manière si cocasse les seins élégant de ce qu'il pensait être son âme sœur, et accueillir Lulu aussi, pour lui lire ses histoires de super-héros ou de militaire courageux avant qu'il n'aille se coucher dans son petit lit d'enfant, pelotonné sous son plaid blanc immaculé. Lulu, lui, ne se plaignait jamais et quand sa grande maman à la longue chevelure, se déhanchait d'un pas félin vers sa chambre de petit garçon aux rêves spatiales, boitant par moment – ce qui faisait rire Lulu parfois car elle se prenait le mur mais il le faisait discrètement car il avait une peur bleue que sa mère revienne pour le frapper sur les fesses ou sur le visage – il se contentait simplement de sa petite vie.

    La boulangère ne se plaignait pas non plus. Si il y avait bien qu'une chose qui la dérangeait était cet affame personnage qui servait de mère à ce pauvre petit garçonnet handicapé et dont elle ne s'occupait nullement. Mais elle était rarement là, et quand c'était le cas – et que le silence régnait dans la petite maison, reposant, elle invitait le copain de Lulu, Théo qu'il s'appelait, et ensemble, ils écrivaient des lettres à des gens. Ils ne les connaissaient pas, et parfois,Théo trouvait sa absurde.

« — Je suis un étudiant, madame, les portables, ça existe.

— Je sais bien, mais Lulu aime beaucoup écrire des lettres à des inconnus. Il a reçu une lettre le mois dernier. Offre lui ce plaisir, il t'apprécie tellement. Je sais bien que tu es beaucoup plus âgé, mais donne de ton apprentissage humain à ce petit être. Il est fragile mais toujours souriant. Fait ça pour lui.

Théo avait toujours ce visage fin mais enfantin. Un peu hostile, mais il possédait cette allure gauche et embarrasser que la boulangère trouvait majestueux chez ce jeune étudiant. Le grand Théo retroussa dans un soupir vaincu son nez aquilin puis se ré-installa, hésitant, en face de Lulu qui rigolait en coupant des bouts de papiers en forme de cœur.

« — Pourquoi a des inconnus ? »

    La boulangère, modeste et fière, la figure creuse et osseuse dont le teint pâle ressortait ses yeux pers en amandes, scrutateur, répondit de sa bouche étroite que ces inconnus était des belles personnes et que c'était pour cela qu'on leur envoyaient des lettres anonymement. Théo ne comprenait pas tout ce que cette vieille femme lui baragouinait, avec sa face ridée et sa voix rocailleuse. Mais Lulu était comme un petit frère pour lui, alors il haussa ses deux larges épaules, et écrivit. Peut-être que quelqu'un lui répondra, pensait-il.

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