La colline 88

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Depuis plusieurs jours, le Haut-Commandement nous a donné l’ordre de défendre nos postes avancés sur Vireaux et Haybes. Du haut de leur colline de l’autre côté de la Meuse, les Allemands nous narguent en nous pilonnant à longueur de journée. Il fait nuit et quelques 88 continuent de pilonner notre base et notre moral. Un grondement sourd et terrible se fait entendre au loin. Au petit matin, nous trouvons une soixantaine de Stuarts impeccablement garés sous les taillis.

Poste avancé de Couvin, Mercredi 4 Août. La célèbre jeep du commandant Malvoc arrive. Notre brigade, la 4th LMB, a des petits yeux pendant la revue des troupes. Au réveil, un gars s’est retrouvé avec un orteil arraché par un éclat d’obus, il était tellement crevé qu’il ne s’était même pas réveillé !

Le commandant commence son briefing. Le 1er Régiment de Cuirassés, arrivé dans la nuit, va porter un assaut violent sur Vireaux. Il est temps de faire sauter la muraille que les Allemands ont dressée sur la Meuse. Une compagnie d’infanterie les accompagnera pour assurer leur protection contre les sapeurs et les ATR. Une autre compagnie sera chargée de l’assaut de la ville et le commandant désigne la 3e DLM.

Le camp s’agite alors que les équipages des chars entrent dans leur machine. Nous organisons nos navettes de Laffly pour amener des troupes au front lorsqu’un ami du 7ème RCA, qu’on appelle VH, nous annonce qu’il a dégotté un Stuart pour nous amener sur Vireaux. On ne lui demande pas de quelle manière il l’a trouvé, nous sommes trop contents d’avoir trouvé un tel véhicule. Nous gardons quand même 2 camions pour faire la navette pour les vagues suivantes.

L’arrivée sur la ville ne pose pas de soucis particuliers. Apparemment, le 1er Régiment de Cuirassés a fait son travail en balayant tout sur son passage. On entend déjà les violents combats autour de la base allemande. Nous traversons le pont sans encombre et VH nous dépose en contrebas de la pente qui mène au centre de la ville. Une escouade est chargée de surveiller puis prendre le petit port. Le reste de la compagnie entame l’ascension de la colline à couvert dans les haies. Le dépôt ennemi est bien visible et ils ont une vue imprenable sur notre avancée, mais ils sont harcelés par les chars avec un tir nourri ce qui nous laisse le temps d’arriver à portée.

Nous nous réfugions sur la droite de la route dans un épais fourré. Les deux premiers bâtiments de la ville sont à quelques dizaines de mètres seulement. J’installe mon lance-grenade, je me cale et au signal, je vise toutes les fenêtres une par une. Un tir de couverture nous permet d’investir les maisons sans encombre. La résistance est faible, trop faible à mon goût. Il ne reste que le dépôt de Vireaux-Haybes, la base et le port.

Le dépôt est une formalité, tous les défenseurs s’étant réfugiés dans la base. Les docks, complètement en ruine et désertés par l’ennemi, suivent quelques minutes plus tard. Nous nous dirigeons déjà vers la base qui est en état de siège. Les baraquements sont durement pilonnés et des nuages de fumigènes signalent les ennemis qui tentent de sortir. Les Allemands sont tirés de leur sommeil et à peine ouvrent-ils leurs yeux qu’un obus ou une balle bien placée les leur referment. C’est dur, mais personne n’a de remords, nous nous souvenons tous des compagnons tombés sous le feu de l’ennemi dans pareille situation.
Bunker en vue

Nous avons l’ordre d’investir le bunker. Je n’avais encore jamais participé à un tel assaut. Je laisse faire les vétérans. Le timing est précis, la tactique rodée. Une grenade est lancée dans l’entrée, un second lance une grenade dans un des couloirs, ensuite l’assaut final. Les Allemands ne peuvent rien faire. Malvoc en personne s’occupe de rétablir la liaison radio depuis le bunker. Vireaux est tombée !

Tout le monde reste vigilant, mais des sourires apparaissent sous les visages maculés de poussières. Des « yeehaaa ! » et des « Austerlitz ! » commencent à retentir partout. Soudain, une explosion fait voler en éclats un Stuart à quelques mètres du bunker.

Tout le monde se couche à terre ou s’abrite. Seul le crépitement du char en flamme rompt le silence. On entend distinctement le terrible bourdonnement : la Lutwaffe a décidé de nous faire payer la prise de Vireaux très cher. Les sirènes des stukas, le sifflement des bombes des bf110 font de la base un enfer. Plusieurs chars explosent. Notre couverture aérienne est inexistante et nous ne pouvons que subir. Bien à l’abri dans le bunker, je doute car nous sommes cloués sur place et il se peut très bien qu’ils aient le temps de ramener des renforts depuis Haybes ou Gedinne.

Personne ne parle, nous sommes impuissants devant le déluge d’acier et de feu qui nous tombe dessus. Mais au bout d’une heure, le calme revient dans Vireaux. Je sors prudemment la tête du bunker et j’aperçois plusieurs panaches de fumée autour de la ville : trop gourmands, les Ju87 et les bf110 se sont tous écrasés au sol. La joie des troupes est totale et dans l’euphorie, certains veulent pousser jusqu’à Gedinne et même … Berlin ! Pour ma part, je me souviens que Flavion tient toujours et je sais que cela ne sera pas aussi facile qu’aujourd’hui.

Mais je ne boude pas mon plaisir et ceux qui apercevaient cette colline de l’autre rive encore moins. La plupart des hommes qui avaient dormi sous le feu de l’artillerie allemande pendant des semaines mettent un point d’honneur à retrouver les positions des 88 sur la colline, comme une sorte de pèlerinage. Un capitaine ordonne de couper tous les arbres sur la crête de la colline, au cas où les Allemands reviendraient.

Mais cela, personne ne l’envisage. La colline 88 est à nous !

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