Séchault : dans la gueule du loup

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Voici un extrait d’interview de vétérans de la Deuxième Guerre Mondiale tiré du film « Band of Poilus », qui retrace le parcours de la célèbre 3e DLM, au sein de la 4e Brigade Légère Motorisée (4th LMB). Ils racontent avec une émotion encore perceptible la déroute de Séchault qui marqua la fin de la contre-attaque alliée quelques jours après la décevante opération Steel Conquest.

Magik, soldat, un des rares survivants de l’assaut d’infanterie – Comment s’est-on retrouvé à Séchault ? La 3e DLM avait été envoyée en renfort du IIIème Corps très au sud de nos positions. Le Haut-Commandement se faisait une priorité de verrouiller le flanc droit du front pour sécuriser les bases aériennes de Reims et Berry-Au-Bac, récemment menacée par une percée fulgurante des Allemands.

Flogger7, pilote de blindé, survivant de l’hécatombe – Le 1er Régiment de Cuirassés et le 11ème de Dragons Portés dans leur intégralité avaient roulé toute la nuit pour arriver à Vouziers. Mais nous étions diminués, une dizaine de nos « Stuarts » étaient toujours en réparation à Philipville et à la vérité, nous étions éreintés. Depuis Vireaux et Anhee, nous étions considérés comme des troupes de choc et le commandement ne nous laissait plus un jour de répit, au four et au moulin comme on dit.

Magik – La tactique était désormais éprouvée : un assaut de char pour sécuriser la zone, un assaut de l’infanterie sur plusieurs axes et une couverture aérienne. En effet, il y avait deux petits bois au nord-est et nord-ouest de Séchault pour des approches discrètes. Une tactique éprouvée … une tactique fatiguée plutôt. Nous n’avions plus les moyens de l’appliquer. Nos chars étaient en trop faible nombre.

Escaz, Capitaine de l’Armée de l’Air, témoin impuissant de la déroute – Notre gros problème était la Lutwaffe. La base de Montfaucon était à 20km de Séchault alors que nous devions décoller de Reims ou Maubeuge, trois quatre fois plus loin. On ne pouvait pas assurer une couverture assez dense. Quand j’y repense, les gars en bas sont allés à l’abattoir. On comptait sur l’effet de surprise. En effet, on a tous été surpris…

Magik – Personne ne parlait dans le laffly. Le jour se levait tout doucement. Tout autour de nous, la première vague du 1er Régiment de Cuirassés montait à l’assaut. Le bruit terrible des chenilles était grandiose. Les chars apparaissaient et disparaissaient derrière des bosquets ou des collinettes, rien ne semblait pouvoir nous arrêter. Le spectacle nous hypnotisait tous lorsque le flash de l’explosion d’un Stuart à notre droite nous réveilla brutalement. La Lutwaffe nous avait repérés, les Stukas et les 110 s’excitaient au-dessus de nos têtes comme des mouettes au-dessus d’un bateau de pêche. Des panzers et des 88 étaient en embuscade sous les taillis. Nous étions attendus !

Flogger7 – Mon Stuart avait eu une panne juste avant de partir. On devait participer à la première vague. Je ne pensais pas remercier un jour le ciel d’avoir bloqué la tourelle. Les bombes pleuvaient autour des gars. On entendait les cris des camarades touchés. C’était terrible. On a réussi à réparer notre « Stuart », c’était notre tour…

Escaz – On ne pouvait rien faire. Le soleil rasant de l’aube nous gênait beaucoup pour repérer les avions ennemis alors qu’il favorisait le repérage des blindés alliés lancés à plein régime. On ne pouvait même pas « traiter » les panzers en embuscade, ils étaient cachés sous les arbres ou sous des filets de camouflage. Partout sur le champ de bataille, des colonnes de fumée noire signalaient des Stuarts éventrés, autant de camarades que nous n’avions pas pu protéger.

Magik – Devant un tel spectacle, on n’en menait pas large dans notre camion. À l’arrière, on est complètement à découvert, on voyait des stukas passer à 20m au-dessus de nos têtes. S’il nous avait visés, on n’aurait même pas eu le temps d’entendre ses bombes siffler. Heureusement, on a pu arriver dans le bois nord-est sans encombre. Mais on savait tous compter et on avait vu de nos yeux une dizaine de chars exploser, autant qui ne seront pas là pour assurer nos miches.

Flogger7 – Sous le commandement du Colonel Aifv, on a réussi à se frayer un chemin à travers leur défense en contournant largement leur dispositif. On est tombé sur un Panzer IIIh et quelques hommes de troupe. Croyez moi qu’il a pris pour les autres. Le char a volé en éclat. C’était notre première victoire sur Séchault, et je me demande si ce n’était pas la seule.

Magik – On avait l’objectif en vue à 200m depuis une ligne d’arbre. On avait progressé rapidement. Le sergent Klyde allait lancer l’assaut lorsque dans un cri étouffé, j’ai signalé qu’un ennemi scrutait notre direction à la jumelle depuis le toit. On l’avait échappé belle. On pouvait oublier l’assaut frontal, il allait falloir progresser à terre. Heureusement, des herbes hautes assez denses nous permettaient de nous approcher à 30m du dépôt. La bataille de char faisait tellement de boucan qu’on ne faisait pas trop gaffe à la discrétion de notre approche.

Flogger7 – On s’est mis en position en vue de l’objectif avec Aifv et Draugtor. Nous aurions dû faire attention, le déroulement de la bataille avait peut être émoussé notre concentration.

Magik – A un moment, j’ai entendu des bruits de pas qui courraient derrière nous ! Ça ne pouvait pas être l’un de nous. Je me suis retourné, je l’entendais toujours, mais pas moyen de le voir. Ce qui était rassurant, car cela voulait dire qu’il ne pouvait pas nous voir non plus. Toute la section avait rejoint un premier taillis avec vue sur le dépôt et l’entrée de la ville. Il n’y avait pas de place pour moi alors j’ai essayé de rejoindre un autre taillis plus près du dépôt. Skorcher était plus loin encore derrière un arbre, à un jet de pierre de la fenêtre. Au loin, on apercevait Cobra51 à quelques mètres d’un Stug, des soldats allemands auraient pu marcher sur lui sans s’en rendre compte tellement il était près. Trop près. Il a été descendu.

Flogger7 – Soudain, j’entends un « plonk » sur notre carlingue. J’ai croisé le regard du chef de char : il avait déjà compris. J’ai crié « Sappeeeeeeeur ! » de toutes mes forces, mais c’était bien inutile et il était bien trop tard.

Magik – Sans qu’on s’y attende, le son d’une mitrailleuse se fait entendre et fauche littéralement la cachette de Klyde et toute la section. Pas une branche ne restait. Je n’oublierai jamais leur cri, pas plus que le silence qui régnait ensuite. Un coup de feu interrompit ce moment de calme qui me semblait avoir duré des heures. Skorcher avait été repéré et abattu. J’étais le seul survivant de la section. Je me suis réfugié au plus profond du fourré, et j’ai pleuré.

Flogger7 – L’explosion a été terrible, d’autant plus amplifiée dans un espace confiné comme l’intérieur d’un char. Le chef de char et le canonnier sont morts sur le coup. J’ai été projeté à 10m dans un fossé. Un peu sonné et gravement blessé, j’ai voulu me relever et le spectacle devant mes yeux était apocalyptique : les 3 chars n’étaient plus que des carcasses de ferraille en flamme et un sapeur – un seul homme, seul ! – tournait autour pour achever les survivants avec son lugger. Je me suis aplati au sol et j’ai fermé les yeux.

Magik – J’entendais les bruits de pas affairés tout autour de moi. J’en voyais même courir à deux mètres de ma position. Ils venaient vérifier que personne n’avait survécu. Ils ne m’ont pas trouvé. Je suis resté dans ce fourré pendant des heures. J’ai essayé de tirer sur les quelques soldats qui trainaient, mais un tir toutes les 20mn pour qu’ils ne puissent pas me trouver. Jusqu’à ce qu’ils se décident à me chercher.

J’essayais de trouver un trou ou une souche pour me dissimuler… Et je me suis retrouvé avec 3 paires de bottes cloutées à 30cm de mon nez. Trois Allemands étaient allongés dans « mon » fourré et scrutaient le nord-est. Je n’ai plus respiré. J’ai sorti mon flingue. J’allais mourir, mais je ne comptais pas mourir seul. J’ai tiré sur celui de gauche. Avant qu’il ne se relève, j’ai tiré sur celui de droite. S’en est suivi une partie de cache-cache avec le dernier, tous les deux à plat ventre. S’il avait appelé de l’aide, je ne serais pas là. Mais bizarrement, il était seul. Je suis arrivé dans son dos et j’ai tiré. Je les entendis gémir tous les trois, difficile de bien viser à plat ventre à bout portant. Ils allaient survivre. Et je me suis dit que moi aussi.

Flogger7 – J’attendis la nuit pour prendre le chemin du poste avancé de Vouziers. Au calme de la nuit, je compris que l’attaque avait été abandonnée. Je n’avais qu’une crainte : que notre base avancée soit prise. Je n’avais pas la force d’aller jusqu’à Vouziers.

Magik – Au prix de maintes frayeurs, j’ai réussi à m’échapper de la ville et à rejoindre la base avancée. Je suis arrivé épuisé, d’autres blindés très amochés revenaient aussi. Sur Séchault, l’aviation occupait l’ennemi pour couvrir notre retraite.

Escaz – Pour un pilote, c’est presque un sentiment de culpabilité de voir tant de gars mourir au sol alors que nous sommes à l’abri bien au-dessus de la bataille. Pourtant nos missions sont dangereuses aussi, mais quand ça se déroule comme à Séchault, on ne peut pas s’en empêcher.

Flogger7 – Les gens pensent qu’un char d’assaut est invulnérable. Rien n’est plus faux. Il n’y a rien de plus stressant que d’être dans un char. Quand un char est détruit, il n’y a jamais de survivants. Je suis un miraculé.

Magik – Se retrouver seul dans les lignes ennemies, c’est se retrouver seul au monde. On ne peut compter que sur soi-même. Et sur la chance…

Les pertes de la 3e DLM lors de la bataille de Séchault avoisinent 80% des forces engagées. Il n’y a eu que trois rescapés de la première vague d’assaut d’infanterie.

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