La visite

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Emma avait repris sa vie un peu plus sereinement. Sa visite chez le juriste avait eu pour mérite de lui ouvrir les yeux sur l'absurdité de la condition cachée du contrat, et elle avait cessé de s'en inquiéter.

Ou au moins, de s'en inquiéter autant.

Il restait une partie d'elle-même qui ne pouvait pas s'empêcher de douter, de craindre ce qui allait se passer. Quelques nuits par semaine, elle se réveillait haletant, alors qu'elle venait de rêver - de cauchemarder - que l'homme de la boutique venait chez elle la traquer pour lui aspirer son âme...

Elle avait rangé la liasse de papiers dans un tiroir, décidant qu'elle ne pouvait rien y changer pour l'instant, et que laisser la cause de son tourment en vue ne pourrait pas l'aider à vivre sereinement.

Comme l'avait dit le juriste, une âme humaine ne se cédait pas juqu'à preuve du contraire. Et si d'ici deux mois personne ne l'avait contactée pour cet hypothétique service, elle pourrait tourner la page et oublier cet épisode surréaliste de sa vie...

Épuisée, Emma ouvrit la porte de son appartement. C'était encore une de ces périodes où elle devait courir après les petits boulots, la période où les factures s'accumulaient, menaçantes.

Cette fois, cependant, elle avait eu une chance insolente : elle n'avait pas mis longtemps avant de trouver un poste de réceptionniste dans un bâtiment gouvernemental.

D'après ce qu'elle avait compris, l'employée habituelle avait eu un accident, libérant provisoirement le poste. Ainsi, elle passait ses journées à vérifier les identités des visiteurs et à répondre au téléphone. Emma ne savait même pas quelles étaient les activités de l'endroit où elle passait ses journées, et à dire vrai, elle ne voulait même pas le savoir.

Ça pouvait être un banal batiment d'archives ou un repaire de mercenaires, tant qu'elle était payée, ça lui suffisait.

C'était son deuxième jour, et elle se laissa tomber dans son sofa avec un soupir. Après un regard circulaire sur son appartement, elle eut un sourire plein d'affection. C'était petit, mais c'était son refuge, son sanctuaire. Deux pièces, et pleins de défauts. Mais elle y était en sécurité...

Lorsque quelqu'un frappa à la porte d'entrée, elle fronça les sourcils. Elle n'avait jamais de visiteurs, jamais personne ne venait la voir. Elle hésita à rester silencieuse dans son canapé, mais elle soupira en s'extirpant de l'assise. C'était peut être un voisin.

En voyant son visiteur, elle se raidit, regrettant d'avoir ouvert la porte. Devant elle, impeccable dans son costume sombre, se tenait l'homme du magasin mystère.

La voyant figée, il ricana, et ce son fit courir un frisson désagréable dans le dos de la jeune femme.

 - Et bien, et bien, Miss. Vous ne me proposez pas d'entrer ?

Emma ne voulait pas qu'il entre dans son refuge. Mais elle supposait qu'il ne partirait pas, probablement parce qu'il venait pour son service. Et elle n'était pas vraiment prête à avoir ce genre de conversation sur le pas de sa porte, là où tout le monde pouvait entendre.

L'homme sembla suivre son débat intérieur grâce aux émotions qui se succédaient sur son visage, et il afficha rapidement un rictus cruel, comme s'il devinait sa répugnance à le reçevoir.

Finalement, Emma s'écarta, lèvres pincées. Elle regrettait en cet instant de vivre seule, et d'être aussi... isolée. Si elle venait à disparaître, personne ne s'en soucierait : il faudrait des semaines avant que quelqu'un ne cherche à la retrouver, quand les créanciers réclameraient l'argent de ses factures.

L'homme détailla le petit appartement d'un oeil neutre, visiblement curieux. Puis, il fit face à Emma et se pencha vers elle.

 - Je suppose que vous n'avez pas oublié que vous me devez un petit service...

Emma grimaça, comme si elle avait mordu dans un citron. Avant de chercher à en savoir plus sur ce qu'elle devrait faire, elle se rendit devant la table qui lui servait de bureau et sortit d'une pile de papiers le contrat qu'elle avait signé.

Malgré sa peur, elle darda sur son vis-à-vis un regard accusateur.

 - J'ai découvert votre petite plaisanterie.

L'homme laissa échapper un gloussement amusé, et il pencha la tête.

 - Ce contrat est mortellement sérieux, jeune femme.

Furieuse, Emma pointa la ligne de caractères microscopiques.

 - Une âme humaine ne se cède pas !

 - Et bien dans ce cas... Aucune peur à avoir n'est-ce-pas ? Et pourtant... Pourtant vous êtes effrayée. Je peux sentir votre peur, depuis que vous m'avez vu sur le pas de votre porte.

Emma eut un mouvement de recul, secouant la tête comme pour nier l'évidence. Un reste de colère lui donna le courage de répondre, crachant ses mots avec hargne.

 - Bien sûr que j'ai peur ! Quelqu'un qui ajoute ce genre de conditions est forcément cinglé ! Vous pourriez être un tueur qui va me dépecer dans mon propre appartement !

Cette fois l'homme laissa échapper un éclat de rire, les yeux brillants d'amusement. Mais malgré sa gaieté apparente, Emma eut un mouvement de recul, encore plus effrayée si c'était possible.

L'homme se tapota les dents du bout des doigts, avant de soupirer.

 - Cette fameuse petite condition que personne ne prend la peine de lire...

Emma le coupa, prise d'une bouffée de rage à ces mots.

 - Il fallait la voir !

 - Et bien... vous l'avez vue, non ? Si vous aviez été attentive, vous l'auriez trouvé immédiatement. Mais... Vous aviez besoin d'argent !

Comme Emma restait silencieuse, il se pencha vers elle et reprit d'une voix plus douce.

 - Même si vous l'aviez lue ce soir là, vous auriez signé. Vous le savez bien sûr. Vous auriez signé, en pensant que c'était une fantaisie. Que c'était impossible. Vous auriez signé parce que vous étiez aux abois, et que vous n'aviez aucune autre solution.

Emma laissa échapper le souffle qu'elle avait retenu et vacilla. Elle cligna furieusement des yeux pour s'empêcher de pleurer, alors que des larmes naissances la brûlaient.

Elle prit conscience qu'il disait vrai.

Ce soir là, elle était désespérée. Elle n'aurait pas eu d'autre choix, d'autre occasion. Et la perspective de perdre son âme aurait eu peu de poids face au risque de mourir de froid dans la rue.

Vaincue, elle baissa la tête, provoquant un sourire victorieux chez l'homme.

Doucement, comme pour lui faire une confidence, il commença à parler à voix basse.

 - Céder son âme. Saviez-vous qu'autrefois, on utilisait le mot âme pour désigner une personne ? Avez-vous pensé que cette petite ligne insignifiante pourrait vouloir dire que si vous ne me rendez pas le service dû, vous m'appartiendrez ?

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