Le déni

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Emma avait longuement hésité avant de se rendre chez un juriste.

Elle craignait de ne pas être prise au sérieux, même avec le contrat en main. Elle avait probablement peur des réponses qui pourraient lui être apportées.

Et surtout, il y avait une part d'elle-même qui se refusait à envisager qu'une âme humaine puisse être cédée aussi facilement.

En arrivant à l'adresse qui lui avait été recommandée, Emma avait froncé les sourcils. L'endroit ne ressemblait pas à un local professionnel, plus à une maison d'habitation. C'était même un cliché presque, avec son petit jardin et la barrière devant.

Elle sonna, et attendit qu'on lui ouvre.

L'homme qui ouvrit devait avoir une trentaine d'années. Il était vêtu de façon décontractée, jean et tee-shirt. Mal rasé, les cheveux châtain un peu trop long, il avait plus le look mauvais garçon que juriste.

Il la détailla avec attention et leva un sourcil interrogatif.

 - Je peux vous aider ?

 - Je... euh...

Emma regarda autour d'elle, comme pour s'assurer qu'elle avait bien sonné à la bonne porte, puis eut un mouvement de recul.

 - J'ai dû me tromper. On m'a donné cette adresse mais...

Il leva les yeux au ciel, ayant visiblement l'habitude de ce genre de réactions.

 - Laissez-moi deviner, vous avez besoin d'un juriste ?

Incertaine, Emma hocha la tête. En réaction, l'homme soupira doucement.

 - Enchanté. Matthew Perrier, juriste.

 - Emma Dumont.

Emma suivit l'homme et entra dans la petite maison. L'intérieur était simple et propre : mur blancs, carrelage clair. Il y avait peu de mobilier.

Dans ce qui semblait être un salon, il lui fit signe de prendre place sur une chaise derrière une table tandis qu'il s'installait face à elle.

 - Je vous écoute.

Sans un mot, Emma sortit l'exemplaire du contrat qu'elle avait signé et le posa devant l'homme. Il en prit connaissance avec sérieux, puis leva les yeux vers elle, visiblement perplexe.

 - C'est une plaisanterie ?

La jeune femme haussa les épaules d'un air boudeur avant de secouer la tête, ne comprenant pas où était le problème.

 - Mademoiselle... Ce genre de chose... Ça n'existe pas.

 - Comment ça ?

 - Soyons sérieux. Un prêt d'argent gracieux, sans intérêts, remboursement à votre convenance. Aucune condition ? Le tout en échange d'un service que vous avez le droit de refuser ? C'est l'oeuvre d'un petit plaisantin. Le prêteur n'a aucune raison d'agir ainsi, il n'y gagne rien.

Emma se mordilla la lèvre, puis lui indiqua la ligne légèrement crênelée.

 - Vous avez une loupe ?

Sans un mot le juriste se leva et s'approcha d'un meuble. Il ouvrit un tiroir et fouilla rapidement dedans, en sortant l'objet demandé.

Impassible, il étudia l'endroit pointé par la jeune femme. Puis il se redressa.

 - Et bien, je pense que vous avez été victime d'une blague, c'est tout.

La jeune femme se frotta le visage, puis fixa un instant le visage de l'homme. Il était jeune, mais il avait lu sérieusement son contrat, bien qu'il pense que ce soit une plaisanterie. Il ne l'avait encore mise dehors, lui laissant le temps de s'expliquer.

Elle décida qu'il était probablement compétent, et qu'elle pouvait se confier.

 - J'ai reçu l'argent promis le jour où j'ai signé ce contrat. Bien évidemment, je n'avais pas de loupe à disposition.

Matthew fronça les sourcils en la dévisageant, puis hocha sèchement la tête, l'encourageant à continuer.

 - J'ai vraiment cru que... Je veux dire, je n'avais pas le choix, j'avais besoin d'argent, et j'avais peur de terminer à la rue. J'ai signé ce truc, et... je veux dire j'avais l'argent, je suis rentrée chez moi. J'ai remboursé à l'instant où j'ai réuni la somme, et j'ai envoyé à l'adresse de la boutique. Et puis... j'ai oublié. Je ne voulais pas y penser.

 - Mais ?

 - Mais je sais pas. Appelez ça un mauvais pressentiment.

Le juriste se laissa aller en arrière dans son siège avec un petit sourire.

 - Et vous avez découvert cette petite condition surprise.

Emma rougit et acquiesça.

 - Avant de venir vous voir, je suis allée à l'adresse de la boutique. J'ai cru à une plaisanterie moi aussi. Et je voulais voir cet homme et demander des explications même s'il...

Elle se tut brusquement mais l'homme l'encouragea à continuer.

 - Même s'il ?

 - Même s'il était... effrayant. Je sais pas. Gênant plutôt. J'étais contente de partir de sa boutique. Il me mettait mal à l'aise.

 - Cependant vous avez signé.

La jeune femme serra les mâchoires et lui lança un regard noir.

Il ignora sa colère, et se tapota la bouche des doigts, les yeux fixés sur le contrat. Puis il soupira.

 - Écoutez. Jusqu'à preuve du contraire, ce truc pourrait ne pas avoir de valeur. Vous avez reçu l'argent, vous l'avez remboursé. Vous avez une preuve que vous l'avez remboursé ?

Maussade, Emma acquiesça.

 - J'ai envoyé un mandat à l'adresse de la boutique, et il a été réceptionné.

 - C'est déjà ça.

 - Je ne voulais pas revoir cet homme et je n'avais pas confiance pour envoyer de l'argent liquide par la poste...

Matthew eut un petit sourire bref, et émit un léger son d'approbation. Puis il reprit.

 - Il y a cette histoire de service. Vous vous êtes engagée, et je suppose qu'aux yeux de la loi, un juge un peu tâtillon pourrait considérer le prêt comme un paiement en avance. Cependant, si je comprends bien ce n'est pas ce qui vous gêne le plus ?

 - J'avoue que j'ai peur de ce qui peut m'être demandé, mais je m'inquiète surtout de cette phrase étrange.

L'homme eut un rire amusé.

 - Vous pensez sincèrement qu'on pourrait vous faire un procès pour vous réclamer votre âme ?

Emma rougit, et grogna.

 - J'ai paniqué. J'ai juste... Je sais pas. J'avais ce mauvais pressentiment, et il reste deux mois. Sans compter que personne ne m'a demandé le moindre service.

Matthew hocha la tête, compréhensif et se pencha vers Emma, les yeux brillants de curiosité.

 - Et quelles sont vos compétences Mademoiselle ? Qu'est-ce-que cet homme pourrait exiger de vous ?

La jeune femme plissa le nez.

 - Je l'ignore ! J'ai un travail d'analyste à plein temps, je saisis des données sur un ordinateur. Et pour... payer les factures certains mois, je prends des jobs de serveuse ou de vendeuse. Rien d'extraordinaire.

 - Et bien... probablement qu'il vous engagera pour tenir sa boutique ? Ou pour faire son inventaire ?

 - La boutique n'existe plus, comme je vous l'ai dit.

 - Alors vous devriez oublier cette histoire. Vous avez eu l'argent, vous avez remboursé. Et jusqu'à preuve du contraire, une âme humaine ne se cède pas. Au pire, d'ici deux mois, vous pouvez vous considérer dégagée de toute obligation, si personne ne vous a contacté.

Légèrement rassurée, Emma hocha la tête.

 - Je vous dois quelque chose ?

Il ricana.

 - Pour m'avoir diverti quelques instants ? Absolument pas. Par contre... Tenez moi au courant, j'aimerais en savoir plus. Je serais curieux de savoir si ce... philanthrope mystérieux redonne de ses nouvelles.

Emma acquiesça et lui serra la main, avant de quitter les lieux.

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