Emma ne s'attendait pas à ça. La demande de l'homme était totalement illogique : ne devrait-elle pas plutôt leur ramener d'autres personnes ? Leur faire de la publicité ?

Voyant sa confusion, l'homme ricana.

 - Vous avez l'air surprise, jeune femme.

Emma plissa les yeux.

 - Je m'attendais à ce que vous cherchiez plus de... clients.

 - Nous n'avons pas besoin de plus de clients. Et nous ne proposons pas la même solution à chaque personne qui pousse notre porte.

La jeune femme regarda autour d'elle. La boutique impeccable la mettait un peu mal à l'aise, et l'homme était étrange. Cependant, elle était aux abois.

Si la seule chose dérangeante était ses propres sentiments - ou une espèce d'intuition étrange - elle pourrait s'en accomoder et passer outre. Ce n'était pas comme si elle avait le choix : de telles propositions ne courraient pas les rues.

C'était presque trop beau pour être vrai.

Elle soupira et reporta son attention sur l'homme qui ne l'avait pas quitté des yeux, la dévisageant avidement.

 - Que voulez-vous en échange ?

Il croisa les mains et plissa les yeux.

 - Comme je vous l'ai dit, Miss, nous sommes une entreprise de services.

Emma blêmit brusquement et recula sa chaise pour s'éloigner de l'homme.

 - Je ne suis pas une prostituée.

Son hurlement ne fit pas ciller son vis-à-vis. Il n'avait même pas bougé à son éclat soudain, se contentant d'attendre qu'elle ne se calme. Il la détailla de haut en bas, et renifla.

 - Heureux de l'apprendre.

La jeune femme croisa les bras sur sa poitrine, se sentant humiliée. Elle avait terriblement envie de s'en aller, regrettant d'avoir poussé la porte de cette boutique. Mais elle avait besoin d'argent.

Comme s'il devinait ses hésitations, l'homme haussa un sourcil.

 - Nous vous prêtons l'argent. Vous nous remboursez. Et puis, un jour, si vous avez une compétence qui nous intéresse, nous faisons appel à vous. Vous remboursez votre dette et vous êtes libre.

 - Une compétence ?

L'homme hocha la tête patiemment, et développa comme s'il s'adressait à un enfant.

 - Par exemple, si vous avez des compétences en secrétériat et qu'un de nos clients a besoin d'une secrétaire, nous vous mettons en contact.

 - Et dans cette hypothèse je suis obligée d'accepter ?

 - Non. Vous pouvez refuser mais votre dette n'est pas cloturée. Nous assurons juste la mise en contact, à vous de vous débrouiller ensuite.

Emma pinça les lèvres. Elle n'aimait pas l'homme, qui la mettait mal à l'aise. Elle n'aimait pas la boutique, trop opulente par rapport à son style de vie habituel. Mais la solution présentée était inespérée. Miraculeuse.

C'était une façon de s'en sortir, de tenir un peu plus sans terminer à la rue.

C'était l'idéal.

Et puis... Elle n'avait pas vraiment le choix. Elle avait l'intuition que si elle refusait l'offre qui venait de lui être proposée, l'homme ne lui proposerait plus son aide dans l'avenir.

En voyant le rictus vainqueur de son vis-à-vis, elle sentit une bouffée de haine à son égard. Elle détourna le regard, tout en se convainquant silencieusement que c'était la meilleure solution. Que c'était un mal nécessaire.

 - J'accepte.

Il hocha la tête.

 - Parfait. C'est un excellent choix. Je vais chercher un contrat, puis je vous remettrais la somme dont vous avez besoin.

Vaincue, Emma hocha la tête, évitant soigneusement son regard. Peut être que cet homme était son sauveur sur le moment, mais ça ne l'obligeait pas à l'apprécier. Cependant, elle dépendait de son bon vouloir, et elle préférait lui cacher ses sentiments, ce qu'elle pensait réellement de lui.

C'était un vautour comme tant d'autres, profitant de la misère humaine. Ou plutôt une araignée tissant sa toile, attendant que ses victimes ne se jettent dans ses bras.

Elle n'eut pas longtemps à attendre. Le temps d'un aller-retour, et il était revenu avec une liasse de feuillets dactylographiés.

Avec son sourire triomphant, il lui présenta un exemplaire, et lui détailla les conditions.

C'était ridiculement simple. Il lui prêtait l'argent. Elle le remboursait dès qu'elle en avait la capacité. Et elle était redevable d'un service.

Elle relut plusieurs fois les feuillets, cherchant un piège, mais tout semblait clair. Elle se mordilla la lèvre, mais un simple coup d'oeil sur son plâtre suffit à la décider.

Elle saisit le stylo tendu d'une main ferme et signa chaque page, déterminée.

L'homme ne fit aucun commentaire. Elle s'était attendu à une remarque sarcatique ou à un quelconque signe de sa supériorité sur elle. Mais, il hocha la tête d'un air entendu.

En silence, il lui tendit une enveloppe. Elle l'ouvrit et hoqueta face à la liasse de billets à l'intérieur.

D'une main tremblante, elle sortit l'argent, constatant que la somme était amplement suffisante pour se remettre à flots.

L'homme se pencha vers elle, avec un rictus.

 - Je vous laisse compter soigneusement pour vérifier la somme.

 - Je...

 - Faites je vous en prie. Aucune ambiguité, c'est le secret d'un contrat réussi.

Emma hocha la tête, un peu perdue. Maladroitement, elle compta l'argent. Bien évidemment le montant correspondait parfaitement à la somme inscrite sur le contrat.