New York, juste un rêve

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Chapitre 17

Ma tête commence à tourner. Encore une épreuve ! C'est comme si nous ne pouvions pas avancer sans devoir surmonter des obstacles, Mathilde et moi. J'ai besoin d'air sinon je finirai par tomber dans les pommes. Je suis sûrement devenue pâle, car Daryl s'approche de moi pour me soutenir.

Daryl :
"Miss Mystère, ça va ?"

Je le fixe et pose une main sur épaule pour garder l'équilibre et reprendre mon souffle. Tout le monde me fixe comme si j'avais pété un câble. Mais ouais, les gens, je pète littéralement un câble, là !

Lana :
"Oh ! Je pensais que tu pouvais comprendre ma peine..."

La panique qui me gagne est plus forte que ma colère, et en plus je dois subir la remarque de cette garce ! Je pourrais comprendre si j'avais en face de moi une fille bien. Mais si elle avait tenu vraiment à son bébé, elle ne serait pas montée sur une moto pour faire une course illégale en ville !

(La garce ! J'aurais dû me débarrasser d'elle plus tôt ! La coller dans un bateau, direction l'Amazonie.)

Je me sens oppressée et cette sensation s'aggrave quand Mathilde me regarde à son tour. Ses yeux sont durs. Clairement, je passe pour la vilaine. Je sors précipitamment du salon de Daryl, malgré les fourmillements dans mes jambes. Si je ne sors pas tout de suite, je vais tuer quelqu'un ! Les paroles de Lana tournent en boucle dans ma tête et ma vue est brouillée par les larmes. J'entends Daryl derrière moi et, soudain, je sens sa main s'enrouler autour de mon bras.

Daryl :
"T'en va pas. Ne lui laisse pas le champ libre..."
Miss Mystère :
"Laisse-moi, j'ai besoin d'être seule."

Mes pas chancelants m'entraînent dangereusement au bord de la piscine. J'ai soudainement envie de m'y laisser tomber et de ne plus jamais refaire surface. Mais je m'effondre sur le sol, incapable de me tenir debout plus longtemps. Mon regard se perd dans les reflets de l'eau colorée.

Mathilde :
"Lâche-moi, putain !"

Le bourdonnement dans mes oreilles me donne l'impression d'avoir plongé au fond d'un océan obscur. J'ai mal au cœur. Je crois que je vais vomir.

Daryl :
"Tu sais pas si ce qu'elle raconte est vrai."

Les voix des deux s'élèvent sur la terrasse et me sortent de ma léthargie protectrice. J'ai probablement des penchants masochistes, mais je ne peux résister à la tentation d'écouter.

Mathilde :
"Elle mentirait pas sur un truc pareil !"
Daryl :
"Ah ouais ? T'en es si sûr ?"
Lana :
"Je suis désolée... Je ferais mieux de renter..."

Elle a rejoint le frère et la sœur sur la terrasse. Sa voix est larmoyante.

Daryl :
"J'te jure que si tu inventes ce bobard pour récupérer ma sœur, je te crève !"

Je me fige. Venant de la bouche de Daryl, j'ai l'impression que ce genre de mise en garde n'est pas une simple menace.

Mathilde :
"Lui parle pas comme ça, putain !"
Daryl :
"C'est comme ça que t'as décidé de te venger ? Inventer une foutue grossesse ?"

Il faudrait vraiment folle pour inventer un truc pareil afin de récupérer son ex. Non... Ce n'est pas possible ! Dans tous les cas Lana s'assure le soutien sans faille de ma petite amie. Elle va culpabiliser de la laisser surmonter cette épreuve toute seule.

Lana :
"T'es vraiment un connard, Daryl !"
Daryl :
"C'est ça ! Un connard qui a veillé sur sa sœur pendant tout le temps où tu prenais des vacances en Europe."

Tout à coup j'entends un bruit de claque. Lana, à bout de souffle, se tient devant lui, pendant que ce dernier passe une main sur sa joue.

Lana :
"Des vacances ?! Putain ! Tu sais, car que ça fait de perdre son bébé ?!"

Sa voix se brise. Mon dieu, si je ne la détestais pas autant, je pourrais presque prendre sa défense.

Daryl :
"Non, je ne sais pas. Tout ce que je sais c'est qu'à force, ton histoire tient plus debout."

Elle lui adresse un mauvais regard, où je peux lire tout le ressentiment du monde, avant de faire volte-face en direction de la sortie.

Lana :
"C'est bon, je me casse !"
Mathilde :
"Lana !"

Je me lève pour la retenir. Hors de question qu'elle la suive ! Mais son frère agit avant moi et la retient par le bras.

Mathilde :
"Bordel, lâche-moi !"

Il marmonne quelque chose à l'oreille de sa sœur avant de me regarder. Je le remercie internement de lui rappeler que j'existe... Elle est à un ou deux mètres de moi. Nous nous regardons en silence. Il n'est pas nécessaire de parler pour réaliser qu'un fossé nous sépare à présent. Je croise les bras sur ma poitrine pour me protéger. J'ai peur de souffrir encore plus. Notre histoire n'était pas au top de sa forme, mais, maintenant, elle est carrément agonisante. Le retour de Lana, la menace de César, et maintenant un bébé perdu... sans oublier l'annonce de Mathilde sur sa transformation ! Il vaut peut-être mieux arrêter les frais. Je me suis suffisamment fait de mal. Aucune de nous deux ne veut entamer la discussion.

Mathilde :
"Je peux pas la laisser comme ça..."
Miss Mystère :
"C'est censé vouloir dire quoi exactement ?"

Elle n'est que l'ombre d'elle-même. Sa respiration est irrégulière. Son mutisme me rend dingue.

Miss Mystère :
"Putain Mathilde ! Réponds-moi !"
Mathilde :
"Elle a besoin de moi..."

Et voilà ! C'est elle, toute crachée ! Toujours prête à venir en aide à la demoiselle en détresse ! Merde ! Elle n'est pas un foutue chevalier des temps modernes !

Miss Mystère :
"Et moi ?"

Elle passe une main sur son front et ferme les yeux. Elle pousse un long soupir.

Miss Mystère :
"Désolée de t'exaspérer. Mais moi aussi je suis là... Je suis censée être ta petite copine. Et j'ai besoin de toi."

Pourquoi est-ce j'ai l'impression de parler à un mur ?

Mathilde :
"T'as pas perdu un bébé. Tu peux pas comprendre..."

J'ai le souffle coupé. Lana s'est insinuée entre nous comme un poison. Elle a eu notre couple à l'usure et elle vient de lui porter le coup fatal... Je ne sais plus quoi dire...

Mathilde :
"Tu crois que je me sens à l’aise, là ? Je viens d'apprendre Lana portait mon bébé... tu crois quoi ? Que j'encaisse la nouvelle comme ça ?"

Elle fronce les sourcils en secouant la tête de gauche à droite.

Mathilde :
"J'arrive pas à le croire... Tu penses vraiment que je suis le genre de fille à se foutre d'un truc pareil ?"

Je soupire. Ma colère se transforme en résignation.

Miss Mystère :
"Je sais plus qui tu es... Depuis qu'elle est revenue, j'ai l'impression de t'avoir perdu."

Elle semble accuser le coup.

Mathilde :
"Je t'aime."
Miss Mystère :
"Et donc tu couches avec ton ex dès que tu en as l'occasion ?"
Mathilde :
"Quoi ?"
Miss Mystère :
"Le lendemain de notre dispute, je suis passée chez toi... Et Lana m'a dit que vous aviez couché ensemble."

Elle écarquille des yeux ronds comme des billes. Ma voix se casse et je retiens tant bien que mal un sanglot. Je passe une main sur mes lèvres et je la fixe, les yeux larmoyants.

Miss Mystère :
"T'as couché avec elle pas vrai ? Tu l'aimes encore... J'étais juste une roue de secours, un pansement pour oublier Lana..."

Elle me regarde maintenant comme si elle avait en face d'elle une apparition. J'ai beaucoup trop de sentiments et d'estime pour elle pour imaginer qu'elle puisse aussi bien feindre la surprise. Elle n'est pas ce genre de femme.

Mathilde :
"Couché avec elle ? Mais t'as craqué ou quoi ?"

Elle semble vraiment en colère. Je ne sais pas si c'est après moi ou après Lana. J'essuie mes larmes d'un revers de la main et je prends une grande inspiration.

Miss Mystère :
"J'en ai marre... Je suis fatiguée de tout ça..."

Elle s'avance et prend mes frêles épaules entre ses mains. Je me déteste d'aimer ce contact.

Mathilde :
"Je sais pas ce que t'as vu ou ce que Lana t'a dit, mais je te promets que j'aurais jamais couché avec elle. Je te l'ai dit, c'est toi qui comptes."

De l'extérieur, tout porte à croire le contraire, mais je sais aussi qu'elle est loyale. Ça ne lui ressemble pas.

Miss Mystère :
"Tu avais bu... Tu étais en colère contre moi et Daryl. Tu aurais pu vouloir te venger..."

Elle m'adresse un regard lourd de sens.

Mathilde :
"Tu délires ou quoi ? Ouais, j'ai bu ce soir-là. Ouais, Lana était avec moi, mais putain je l'ai pas touchée ! Tu veux savoir la vérité ?"

Des sanglots obstruent la gorge.

Miss Mystère :
"Oh j'aimerais, oui !"

Aussi douloureuse que puisse être la vérité, rien n'est pire que le doute.

Mathilde :
"La vérité, c'est que j'étais prête à défoncer la gueule de mon frère. La vérité, c'est que, putain, j'ai envie de tout envoyer bouler. Comme une conne j'ai bu pour oublier. Oublier que t'étais dans ses bras. J'ai pas bougé du canapé. Lana a voulu rester alors que j'étais une loque humaine. Je me suis endormi et je me suis réveillé le lendemain avec une gueule de bois monumentale. Elle m'a veillée comme une foutue gamine. La vérité c'est que je t'aime à en crever, alors me dis pas que j'ai couché avec une autre, bordel !"
Miss Mystère :
"Vraiment... ? Tu m'aimes ?"
Mathilde :
"Putain ouiiii !"

Elle s'avance vers moi avec le regard ancré au fond de mes prunelles.

Miss Mystère :
"Alors, si c'est vrai, faut que tu choisisses !"
Mathilde :
"J'ai déjà choisi. Je t'ai choisie."

Les belles paroles c'est bien, mais je préfère les actes. Si elle peut éviter de passer une nuit avec Lana, ou de la prendre dans ses bras, ce serait bien mieux ! Elle reprend son air de chien battu. J'exulte de colère !

Mathilde :
"Tu veux que je fasse quoi ?"
Miss Mystère :
"Que tu laisses le passé là où il est ! Que tu arrêtes de te faire manipuler ! Tout le monde voit clair dans son jeu, sauf toi !"
Mathilde :
"Donc elle m'apprend qu'elle a fait une fausse couche et je dois la laisser tomber ?"
Miss Mystère :
"Elle a pensé à toi quand elle a fait la morte durant toutes ces années ? Dans la liste des drames, elle va nous sortir quoi encore... ?"

Je commence à croire que Mathilde est une cause perdue. Je parle à un mur.

Miss Mystère :
"Bon, tu sais quoi... Je crois que je vais rentrer."
Mathilde :
"Non... attends..."

Elle me retient par le bras, mais je me dégage brutalement.

Mathilde :
"Je suis désolée."

Je suis tout à fait consciente que cette histoire me tue à petit feu, mais je n'arrive pas à renoncer à elle.

Mathilde :
"Je sais ce que je veux, c'est toi..."

Mathilde avance à grands pas vers moi jusqu'à ce qu'elle se retrouve tout près. Trop près ! Je recule jusqu'à ce que je bute contre le mur de la maison.

Mathilde :
"Je voudrais te promettre une vie tranquille. Mais je suis pas ce genre de fille. Je traîne des putains de casseroles ! Des putains de fantômes ! Et je peux rien faire contre ça..."

Je pointe un index vers elle et son air de chien battu.

Miss Mystère :
"On a tous nos démons ! On a toutes nos épreuves à surmonter ! Soit, tu te laisses crever, soit tu te bats ! J'étais avec toi ! J'aurais pu t'aider !"

Quelque chose passe dans le regard de ma petite amie. Je pourrais y voir une sorte d'admiration.

Mathilde :
"Putain..."

Elle s'agite comme si elle se débattait contre des ennemis invisibles.

Miss Mystère :
"Réveille-toi ! Parce que je suis à deux doigts de te quitter !"
Mathilde :
"Non ! Je t'aime ! Je t'aime, bordel ! Je t'ai dans la peau, tu comprends pas ?"

Elle me hurle ses sentiments et j'aimerais l'embrasser, me jeter sur elle et oublier tous nos drames. Mais ça ne servirait à rien. Je sais très bien qu'elle va se sentir obligée de réconforter Lana, et cette garce va encore se mettre entre nous. Ma raison me sermonne et me pousse à me dégager de son emprise pendant que mon cœur hurle : "Je te crois".

Miss Mystère :
"Arrête ! Arrête tes belles paroles et comporte-toi, en une personne responsable !"

Elle laisse passer une seconde, pendant laquelle on peut lire dans son regard de l'incompréhension, puis elle finit par littéralement se décomposer, et mon cœur se déchire.

Mathilde :
"Qu'est-ce tu veux que je fasse ?"
Miss Mystère :
"Ce que je veux.... ? Non... Ce que je voulais ! Ce que je voulais c'était vivre une belle histoire d'amour avec toi. On m'avait bien dit que les contes de fées n'existaient pas ! T'as rien d'une princesse. T'es juste une connasse comme les autres !"
Mathilde :
"J'ai jamais prétendu être une princesse..."
Miss Mystère :
"C'est vrai. Mais il y a un juste milieu entre une princesse et une salope qui arrive pas à se décider entre deux femmes !"
Mathilde :
"Mais arrête ! Elle signifie plus rien pour moi !"

Je lâche un rire nerveux, presque mauvais.

Miss Mystère :
"Elle signifie rien pour toi, hein... ? Tu pouvais pas me prendre en moto parce que c'était trop dur pour toi, non ? Et elle alors ? Pourquoi elle, et pas moi ?"

Cette question m'obsède depuis le jour où elle a repris la moto. Pourquoi a-t-elle envie de remonter en selle avec elle, alors que la moto est censée lui rappeler son accident ?

Miss Mystère :
"Réponds-moi. J'ai le droit de savoir."
Mathilde :
"J'en sais rien... Peut-être parce que j'ai déjà perdu Lana, qu'elle a ressuscitée en quelque sorte. Elle appartient au passé, contrairement à toi."

Je ne suis pas sûre d'y voir très clair. Je me demande si les choses sont plus claires dans son esprit. Admettons : je suis son avenir, elle a peur de me perdre. Mais alors, est-ce que ça voudrait dire qu'elle ne ressent absolument plus rien pour Lana ? J'avoue que je ne sais pas trop comment prendre la chose. Mais qu'est-ce que j'ai fait dans une vie antérieure pour mériter ça ? Mathilde était la femme idéale, et la voici devenue, maintenant, une intarissable source de problèmes. J'ai besoin de retrouver la femme qui m'a attirée, la femme de nos débuts. J'espère que le temps lui permettra de redevenir celle qui l'était.

Miss Mystère :
"Je crois qu'on devrait faire un break."

(Woauhhh ! C'est moi qui viens de dire ça ?)

Elle hoche la tête pour approuver. Son regard plonge dans le mien. J'espère pendant un instant qu'elle va parler, refuser cette proposition, ne pas abandonner le combat tout de suite. Mais elle ne dit rien et disparaît de ma vue, sans exprimer ses sentiments.

(...)

Le lendemain, au travail, comme si je n'étais pas déjà au trente-sixième dessous, Gabriel demande à nous voir. Je crains le pire. Après le fiasco de la dernière fois, je redoute chaque entrevue avec mon manager. Et ça ne risque pas d'aller en s'arrangeant puisque l'atmosphère est plus tendue que jamais en elle et moi. Je suis sûre que si on mettait un doigt entre nous, on se prendrait une décharge ! Je n'arrive toujours pas à me décider après notre conversation d'hier soir : est-ce que j'ai bien fait ? Ou est-ce que j'ai été une garce sans cœur ? Intérieurement, je suis aussi digne qu'une serpillière. Extérieurement, je donne le change. Je sais que je vais finir par m'effondrer. Pour l'instant, j'encaisse. Je n'ai pas adressé la parole à Mathilde depuis qu'elle est arrivée. Je me contente de rassembler les feuilles du dossier. Je ne sais pas si elle a rejoint Lana pour la consoler ou pas. Je n'ai pas cherché à savoir. En nous dirigeant vers le bureau de Gabriel, je ne lui adresse même pas un regard. Trop dangereux, je risquerais d'exploser en larmes. En plein open space, ce serait moche ! Je pousse un léger grognement.

Mathilde :
"Miss Mystère..."
Miss Mystère :
"Pas maintenant."

(Surtout pas maintenant !)

Si Gabriel est encore témoin de l'une de nos scènes, c'est sûr que je suis bonne pour faire mes cartons. Ok, on se calme. Pour l'instant je ne suis pas viré, je dois présenter un dossier que j'ai préparé. Tout. Va. Bien. Le point positif, c'est que Gabriel m'aime bien. Je me suis donné les moyens d'arriver là. Il ne me mettra pas à la porte sur un coup de tête. Même s'il y a des tas de gens talentueux qui se bousculent pour prendre ma place... Dans le bureau de Gabriel, il nous fait asseoir face à lui. Il a un regard sombre qui ne me dit rien qui vaille.

Gabriel :
"Vous devez vous douter des raisons pour lesquelles je voulais voir..."

(On y est ! Je vais me retrouver à la rue, avec seulement Topaze pour me tenir chaud !)

Gabriel :
"Nous ne pouvons pas continuer ainsi !"

(Il veut faire une pause, lui aussi ?)

Gabriel :
"Je ne tournerai pas autour du pot. À partir d'aujourd'hui vous ne travaillerez plus ensemble sur un même dossier."

Je suis paniquée. Mes craintes se concrétisent.

Miss Mystère :
"Tu vires l'une d'entre nous ?"
Gabriel :
"Non, rassure-toi... pas encore."

(C'est censé être rassurant, ça ?)

Gabriel :
"Je servirai d'intermédiaire. Miss Mystère, tu feras ta partie du boulot, et ensuite toi, Mathilde, tu t'occuperas des maquettes."

Je déglutis face à son autorité. Mathilde reste stoïque. Étrangement je suis soulagée. Sa décision m'évitera de travailler avec elle.

Mathilde :
"Ça me va."

Je lui jette un coup d'œil. Elle a le regard fixé sur Gabriel et la mâchoire crispée. J'ai l'impression de recevoir dans le ventre un coup de poing qui me coupe littéralement la respiration. Mon expression tétanisée face à sa réaction ne passe pas inaperçue aux yeux de Gabriel.

Gabriel :
"Cette décision est provisoire. Je ne ferai pas l'intermédiaire entre vous indéfiniment. En attendant ressaisissez-vous, sans quoi je devrai me passe de l'une de vous deux. Vous êtes de bons éléments au sein de l'équipe, mais retenez que personne n'est irremplaçable."

(Au travail, peut-être, mais dans la vraie vie ?)

Mathilde me laisse en plan dans le bureau de Gabriel. J'adresse un sourire crispé à mon manager, avant de sortir à mon tour. Quand j'arrive dans l'open space, elle n'y est déjà plus. J'ai peur de m’écrouler en pleurs au milieu au beau milieu de mes collègues. J'ai mêlé ma vie sentimentale à ma vie professionnelle. Maintenant tout s'écroule... Après tout, j'aurais pu tomber sur une collègue normale qui n'aurait pas un gang aux fesses et qui ne coucherait pas avec son ex-ressuscitée. La sonnerie de mon téléphone me sort de mon état hypnotique. C'est Lola.

Lola :
"Hello, ma belle, ça va ?"
Miss Mystère :
"Mathilde et moi, on fait un break."

Je n'ai pas envie d'y aller par quatre chemins. Je m'éloigne et me cache dans le couloir qui mène à la cafétéria. Ce n'est pas le moment de croiser Cassidy...

Miss Mystère :
"Et j'aurai bientôt plus de boulot."
Lola :
"Wow du calme. Tu peux la faire en moins stresser, là ?"
Miss Mystère :
"Manquerait plus que Topaze se fasse écraser et ma vie serait définitivement pourrie."

Ok, je dramatise peut-être un peu, Topaze ne fait pas partie de mon drame. C'est le seul être vivant normal dans cette histoire ! Peut-être que c'est ça la solution : vivre dans une cabane en forêt, avec mon chien pour seule compagnie.

Lola :
"Tu me racontes ... ?"
Miss Mystère :
"Tu veux la partie soft ou la partie hard ?"
Lola :
"Il est encore tôt, commence par la partie soft."
Miss Mystère :
"Gabriel veut plus qu'on travaille ensemble avec Mathilde. C'est provisoire, mais il risque de virer l'une d'entre nous par la suite.
Lola :
"Il ferait pas ça. Il essaie de vous secouer, c'est tout !"
Miss Mystère :
"Il était très sérieux."
Lola :
"Il sait très bien que vous êtes de bons éléments. Je suis sûre qu'il bluffe."
Miss Mystère :
"Ouais... En tout cas Mathilde a l'air de bien prendre le truc. On aurait dit qu'elle attendait que ça..."
Lola :
"Tu connais Mathilde et son don pour prendre la fuite dès qu'elle est en position de faiblesse, non ?"

Je connais ses démons, mais cette fois c'est différent elle peut pas fuir indéfiniment.

Lola :
"Bon... Et la partie hard... ?"

Je prends une profonde inspiration et regard autour de moi.

Miss Mystère :
"Lana a balancé qu'elle était enceinte au moment de l'accident de moto et qu'elle a perdu le bébé."
Lola :
"Oh putain ! Sérieux ?"
Miss Mystère :
"Ouais."

Silence au bout du fil. Je n'ose pas parler de la transformation de Mathilde !

Miss Mystère :
"Et elle s'est précipitée pour la consoler, malgré tout ce qu'elle fait pour nous pourrir la vie..."
Lola :
"Mmh..."
Miss Mystère :
"T'as pas autre chose à me dire ? Je suis sur le point d'exploser en plein open space, là..."

Ok je suis capable de me contrôler. Je peux attendre d'être dans l'ascenseur ou dans les toilettes pour fondre en larmes.

Lola :
"Ok. Tu te calmes. Tu vas prendre un peu l'air. Ensuite tu te prends un bon café. Et tu restes zen. T'as un job au top. Et en ce qui concerne Mathilde, ça finira par s'arranger. Elle te regarde toujours avec ce truc dans les yeux..."
Miss Mystère :
"Quel truc ?"
Lola :
"Le truc qui fait fondre les petites culottes ! Le truc qui dit : "Donne-moi le feu vert, princesse, je vais te faire voyager dans l'espace". Tu vois de quel truc je parle ?"

Je souris, mais mes lèvres peinent à s'étirer. Ce regard, je ne l'ai pas vu depuis un moment. Et sincèrement, il me manque. Lola remarque mon silence et comprend tout de suite que mes craintes persistent.

Lola :
"Je te connais, tu vas te morfondre dans ton coin, jusqu'à ce que tes théories t'entraînent vers une fin du monde inévitable."

(L'effet papillon est vérifié, ce n'est pas moi qui l'invente !)

Lola :
"Demain, je suis pas dispo, mais samedi soir je passe la soirée avec Daryl. Viens avec nous, ça te changera les idées."

J'hésite, parce que je n'ai forcément envie de côtoyer un Ortega. Cela dit, je ne vais pas m'enfermer non plus...

(Et si c'est la fin du monde bientôt, autant en profiter avant !)

Aujourd'hui j'ai un dossier à boucler et, chose très pratique, je ne dois pas bosser avec mon binôme... De toute façon, même si dans un monde parallèle nous étions réconciliés, je ne l'ai pas aperçu de la matinée. Il est fort possible qu'elle ne soit pas venue au travail, ou alors qu'elle se soit exilée à un autre étage. Toute à coup, j'entends un raclement de gorge peu discret dans mon dos. Mathilde. Pas besoin de me retourner pour le vérifier. À peine a-t-elle mis un pied dans mon petit espace que mes poils de bras se sont hérissés en une réaction électrostatique inexplicable. Je ne m'attendais pas à ce qu'elle vienne me parler. Vu mon état émotionnel plutôt instable, c'est très dangereux ! Je prends sur moi pour ne pas péter un câble et tout détruire au passage.

Miss Mystère :
"Bonjour..."
Mathilde :
"On peut parler ?"

Sa voix n'est ni chaleureuse ni froide comme elle a pu l'être ces dernières semaines. Se pourrait-il que cette fois nous arrivions à parler sans nous écharper ? Je prends un air assuré et un ton neutre. Intérieurement, on est, facile, à 8 sur l'échelle de Richter.

Miss Mystère :
"Oui."
Mathilde :
"J'ai réfléchi à ... au..."

Je tapote nerveusement des ongles sur mon bureau pour lui signifier mon impatience. Je ne te tirerai pas les vers du nez... pas cette fois !

Mathilde :
"Au break..."
Miss Mystère :
"Et... ?"
Mathilde :
"Et c'est de la connerie !"

Je l'observe sans un mot. Je ne sais pas bien comment réagir. Je hais ce petit cœur qui se met à palpiter dans ma poitrine comme un jeune premier ! Hors de question que je cède si facilement. Mathilde fait un pas vers moi ? C'est historique ! Mais si on ne règle pas le problème Lana, c'est juste reculer pour mieux sauter.

Mathilde :
"J'ai plus envie de fuir. Ce que je veux, c'est toi."

Ça y est mon cœur loupe un battement ! J'avais tellement peur de ne plus jamais entendre ça de sa bouche.

Mathilde :
"Si on se voit pas, on pourra jamais arranger les choses entre nous."
Miss Mystère :
"On se voit là, non ?"
Mathilde :
"Pas comme ça ! Dans un couloir, devant tout le monde, il y a plein de trucs que je peux pas faire..."

(Quel genre de trucs ? Te mettre à genoux ? Me supplier ? Me faire une déclaration passionnée...?)

Je sens mes joues s'empourprer lorsque je pense à quelque chose de beaucoup moins romantique... Je mordille ma lèvre inférieure pour ne pas m'étaler sur mes pensées coquines. Ce n'est pas le moment ! Fais-la ramer ! Mais elle me connaît trop bien... Elle remarque aussitôt mon trouble. Elle suit un chemin vertical quand elle déglutit.

Mathilde :
"Un week-end à la cabane, toi et moi... Histoire de savoir si ça peut encore coller entre nous..."

C'est la meilleure façon de retrouver notre complicité et d'apaiser la situation. Je me mets à espérer que nous puissions parler du sujet Lana et de sa transformation sans dispute.

(Ah si seulement cette garce n'était jamais revenue...! C'est finalement plus facile de lutter contre son fantôme !)

Miss Mystère :
"Tu sais très bien que ça ne résoudra pas le problème..."

Elle s'avance un peu plus près et je vois dans son regard tout l'amour du monde.

Mathilde :
"Je te promets qu'on en parlera. Je te promets qu'on trouvera une solution."

(Encore des promesses...)

Lana ne va pas disparaître par enchantement, et même si Mathilde finit par s'en désintéresser, elle trouvera autre chose... Si je veux laisser une dernière chance à notre histoire, je dois rester optimiste.

Miss Mystère :
"Je sais pas trop... Je dois y réfléchir."

Elle passe une main sur ma joue comme pour me supplier d'accepter et je me sens défaillir.

Mathilde :
"Je me suis comporté comme une conne. S'il te plaît, laisse-moi te le prouver que je peux changer !"

(Ça sent tellement le guêpier ! Mais elle est tellement... Mathilde !!!!)

Je me déteste de prononcer les paroles qui vont suivre mais je dois me protéger.

Miss Mystère :
"Laisse-moi le temps d'y réfléchir. J'ai besoin de prendre un peu de recul sur tout ce qui s'est passé ces derniers temps."

Elle retire sa main et hoche la tête. Visiblement déçue que je n'accepte pas de suite, elle quitte l'open space, les épaules basses. Samedi soir je décide d'accepter l'invitation de ma meilleure amie. Je la rejoins chez Daryl pour passer la soirée. Ce qu'il y a eu entre lui et moi semble aujourd'hui être complètement passé au second plan. Je remercie mon amie d'avoir été aussi conciliante, alors qu'elle aurait pu me rayer de sa vie. Notre hôte a sorti de bonnes bouteilles de vin et c'est avec mon verre plein que je partage mes doutes avec mes amis.

Lola :
"C'est bien que tu sois venue."
Miss Mystère :
"Je suis contente qu'on ne soit que nous trois. Pendant un moment j'ai eu peur que ce soit un guet-apens de Daryl..."
Daryl :
"Désolé, ma belle. Je pensais bien faire. Et surtout je m'attendais vraiment pas à ce genre de révélation..."
Miss Mystère :
"Et moi donc !"

Il m'adresse un regard compatissant. Nul besoin de paroles pour que nous nous comprenions. Mon sourire forcé lui a permis de comprendre qu'il suffirait d'un mot de plus pour que je m'effondre en larmes. Je lève mon verre pour trinquer contre le sien et retourner ainsi mes sanglots à venir.

Miss Mystère :
"Trinquons au deuxième surnom de la garce. L'autre timbrée lui va très bien."

C'est censé être une soirée de détente, mais je ne peux m'empêcher de penser à Mathilde.

Miss Mystère :
"T'as eu des nouvelles de Mathilde ? Elle a revu Lana ?"
Daryl :
"Je crois qu’elles ont eu une conversation. Je suis persuadé qu'elle a inventé cette histoire, mais Mathilde refuse de voir la vérité. Elle se sent coupable..."
Lola :
"Coupable ? Coupable de quoi ?! Elle pouvait pas deviner qu'elle était en cloque si elle lui a rien dit !"

Elle connaît moins bien Mathilde que nous deux. Il n'en faut pas beaucoup pour qu'elle se sente investie de la mission d'aider les autres à surmonter leurs problèmes.

Daryl :
"C'est ma sœur ! Toujours à vouloir aider les autres au détriment d'elle-même ! Et Lana l'a très bien pigé."

Lola soupire et se lève pour aller à la cuisine. J'en profite, car quelque chose m'interpelle dans le discours de Daryl.

Miss Mystère :
"Tu penses qu'elle a tout inventé ?"

Il se penche vers moi, en vérifiant que Lola ne peut pas nous entendre. Son air est grave.

Daryl :
"Je pense qu'elle cache bien son jeu et qu'elle nous prend pour des cons depuis le début. Je lui fais pas confiance. Elle s'est soi-disant barrée pour échapper au gang, pourtant elle réapparaît comme une fleur sans changer son identité. Elle dit redouter son frère, et pourtant elle l'appelle au tél. comme si de rien n'était. Et au moment où je l'ai mis devant ses contradictions, elle sort cette histoire de bébé comme une bombe."
Miss Mystère :
"Parfait pour dévier l'attention..."
Daryl :
"C'est ça."

Et s’il avait raison ? Peut-être que Lana déroule juste un plan qu'elle a eu le temps d'élaborer pendant ces années...

Miss Mystère :
"Qu'est-ce qu'on va faire ?"

Il fait rouler son whisky dans le fond de son verre, avant d'en avaler une gorgée.

Daryl :
"J'ai mis mes gars sur le coup, mais c'est tendu. Si c'est vraiment ce que je pense, elle est dangereuse."

Mon sang se glace. Pour qu'il dise ça c'est qu'il y a de quoi s'inquiéter !

Miss Mystère :
"Ça veut dire quoi ?"
Daryl :
"Ça veut dire que..."

Il s'interrompt lorsque Lola réapparaît avec quelques biscuits salés disposés sur un plateau. Je me reprends tout de suite et affiche un visage égal. Elle pose les biscuits sur la table basse puis s'installe tout près de lui. Son regard se perd sur la baie vitrée qui s'ouvre sur la terrasse.

Lola :
"Vous voulez que je vous dise, je trouve que cette histoire vraiment tirée par les cheveux."

(Si tu savais comme je m'en veux de te cacher des choses...)

Miss Mystère :
"Sérieux ?"
Lola :
"Ouais. Je trouve que ça fait beaucoup. J'ai connu une nénette comme ça. Sa vie était trop dramatique pour être vraie. En gros elle s'inventait des trucs horribles, juste pour attirer l'attention."
Miss Mystère :
"Tu penses qu'elle est … ?"
Lola :
"Je pense qu'elle est pas nette, ouais."

Je m'assieds sur le rebord du canapé et je triture mes mains.

Miss Mystère :
"Tu crois qu'elle a aussi inventé leur dérapage, ce fameux soir où je l'ai trouvée chez elle en petite tenue ?"

Elle me regarde, un brin amusé.

Lola :
"Sans hésitation ! Mathilde est beaucoup trop loyale pour te tromper et te mentir sans vergogne après."
Daryl :
"Je confirme. Ma sœur est incapable de garder un secret de ce genre."

Elle lui jette un regard un peu irrité. J'avoue qu'on a l'impression que pour lui, en revanche, ce serait très facile... Il réalise qu'il a fait une bourde ; il essaie de se rattraper aux branches.

Daryl :
"Ce que je veux dire c'est que je la connais bien. Elle a beaucoup de défauts, mais pas celui d'être infidèle."
Miss Mystère :
"Elle se considère peut-être encore comme la meuf de Lana et pas la mienne ?"
Daryl :
"Tu plaisantes ? Mathilde est complètement dingue de toi."
Lola :
"Y a qu'à voir comment elle te regarde."

Je suis toujours aussi sceptique. Daryl, beaucoup moins.

Daryl :
"Elle t'aime trop pour te faire du mal. Qu’elle ait bu et que Lana ait tenté un truc, ouais. Mais qu'elle l'ait sautée, non. Lana s'est pris un gros refoule et elle a pas supporté."

Ses paroles brutales m'arrachent une grimace. Même si ça me fait un mal de chien d'imaginer Lana essayer de profiter de la situation, je dois bien avouer que ce serait l'hypothèse la plus valable. Ils ont sans doute raison. Mathilde et Lana n'ont pas couché ensemble, alors cette garce a inventé autre chose, pour essayer de la récupérer...
Sur cette note de bonne discussion, il est l'heure de rentrer chez moi. Je leur souhaite une nuit...

(...)

Lundi matin. J'avale mon café noir dans l'open space. Je me suis réveillée avant la sonnerie de mon réveil, ce matin, et je n'ai plus réussi à me rendormir. Du coup, j'ai préféré me rendre au travail plus tôt que d'habitude. Personne n'est encore arrivé. Personne... enfin presque.

Cassidy :
"Bonjour, Rivoli, vous avez enfin décidé de vous mettre au travail ?"
Miss Mystère :
"Bonjour mademoiselle Sparke. Je suis tombée du lit, ce matin..."
Cassidy :
"N'en fait pas une habitude. Le manque de sommeil vous donne une tête à faire peur."
Miss Mystère :
"Oh ! Merci pour le conseil."

Je me force à afficher un sourire courtois. C'est toujours mieux que de l'étriper. J'attends qu'elle s'éloigne et qu'elle trouve une autre victime sur qui se défouler. Malheureusement, je suis seule...

(Je devrais me créer un clone qui prendrait les mesquineries de Cassidy à ma place !)

Cassidy :
"J'ai appris la bonne nouvelle !"

(Quoi donc ? Qu'un astéroïde, allez s'écraser sur elle dans moins d'une minute ?)

Je prends un sourire particulièrement hypocrite.

Miss Mystère :
"Vous êtes promue dans un autre département ?"

Elle lève un sourcil prétentieux avant de sourire diaboliquement.

Cassidy :
"Ma promotion ne saurait tarder en effet, mais le fait que Mathilde et vous ne puissiez plus travailler ensemble est bien plus jubilatoire."

Sa mesquinerie atteint des sommets ! Je n'en reviens pas qu'elle se permette de réjouir ouvertement de notre punition. J'en ai assez entendu. Si elle cherche à me mettre de mauvaise humeur de bon matin, c'est réussi. Je me lève de ma chaise pour quitter l'open space et m'éloigner de cette vipère au décolleté plongeant.

(Qui part ailleurs attire l'œil...)

Si je dois me cacher dans les toilettes des hommes pour ne plus la croiser de la matinée, je suis prête à le faire.

Cassidy :
"Gabriel a écouté mes conseils finalement."

( Et on se demande comment elle s'y est prise pour faire passer son message... Direction la boîte postale sous le bureau ?)

Miss Mystère :
"C'est provisoire."
Cassidy :
"C'était prévisible. Votre collaboration au travail n'était déjà pas une bonne idée, alors, une union personnelle, c'était perdu d'avance."

Cette sorcière a encore touché dans le mille. Sa remarque m'affecte d'autant plus qu'elle contient une part de vérité. Ma relation avec Mathilde est probablement terminée, à cette heure.

Miss Mystère :
"Nous allons travailler chacun de notre côté pendant un certain temps. En ce qui concerne ma relation avec elle, c'est du domaine privé."

Elle lève les yeux au ciel. Elle ne semble pas du tout convaincue.

Cassidy :
"J'imagine que si vous ne travaillez plus ensemble il vous sera difficile de renouer des liens solides. Cela ne sera que meilleur pour vos performances ici."

(Elle veut vraiment que je lui casse le nez, ma parole !)

Miss Mystère :
"Nous allons très bien, je vous remercie ! Et notre travail va aller en s'améliorant."

J'ai ma fierté et je refuse de me rabaisser devant elle. Je me retourne et lui lance un regard noir lourd de sens.

Miss Mystère :
"Votre avis personnel n'a pas sa place ici."
Cassidy :
"En tout cas, si vos résultats ne s'améliorent pas, il me faudra prendre une décision en tant que DRH de Carter Corp."

Elle me regarde sans ciller.

Cassidy :
"Et le choix entre Mathilde et vous ne sera pas difficile."

(Devrais-je lui dire que choisir entre la noyer dans la cuvette des toilettes ou lui plonger le visage dans une crotte de Topaze est vraiment difficile ?)

Mathilde :
"Bonjour !"

Elle s'installe à son bureau et coupe court aux menaces de Cassidy. Ma responsable RH reprend instantanément son visage angélique lorsqu'elle se retourne vers Mathilde.

Cassidy :
"Vous, avez l'air en pleine forme. Le changement vous réussit, on dirait."

(Mais c'est incroyable !)

J'aurais vraiment envie de lui fermer son clapet, mais je suis curieuse d'entendre la réponse de Mathilde.

Mathilde :
"En fait je suis pas vraiment fan des changements, moi."

Bien envoyé ! J'ai envie de faire une danse de la victoire sous son nez.

Cassidy :
"Continuez comme ça. Les attitudes telles que les vôtres sont récompensées chez Carter Corp."

Elle pose sa main sur son bras, l'air de rien, avant de quitter l'open space. Je la regarde partir en pestant intérieurement.

(La cuvette des toilettes publiques en fin de journée se révèle être le meilleur choix !)

Mon café a refroidi. Je n'ai plus qu'à aller en chercher un autre. Je jette mon gobelet à la poubelle et me dirige vers la salle de pause.

Mathilde :
"Attends, je t'accompagne."

Elle me suit jusqu'à la machine à café. Notre proximité est troublante. Nous restons l'une à côté de l'autre sans dire un mot.

Miss Mystère :
"Heureusement qu'elle est partie. J'avais envie de l'étouffer avec ses deux obus pour qu'elle se taise."
Mathilde :
"T'aurais pas eu besoin de trop d'efforts pour y arriver."

Je ricane et un long silence s'installe à nouveau entre nous. Nous sommes gênés, comme si nous étions deux inconnus. Mon dieu, que c'est nul ! Je me concentre sur la fumée qui s'échappe de mon café.

Mathilde :
"T'as réfléchi...?"

(À quoi ? Aux guerres dans le monde ? Au dernier film de Woody Allen ? À l'existence d'une vie extraterrestre ?)

Mathilde :
"Oui ou non ?"

Elle passe une main dans ses cheveux et les ébouriffe avec impatience.

(Il devrait y avoir une loi contre les gestes aussi sexy.)

Mathilde :
"Pour ma proposition... Le week-end à la cabane..."

Évidemment que j'y ai pensé ! Je n'ai pas arrêté de peser le pour et le contre. Tout ça pour ne même pas réussir à faire un choix... Je crois que plus on réfléchit à un problème, plus il devient complexe.

Miss Mystère :
"J'ai pas pris de décision encore."
Mathilde :
"Oh... Pourquoi ?"

Après sa longue hésitation pour me parler elle est à présent très cash. Elle va droit au but.

Miss Mystère :
"J'ai trop de bons souvenirs à la cabane."

Son visage s'illumine tout à coup. Elle prend ma remarque comme un signe positif, alors que c'est tout l'inverse.

Mathilde :
"C'est une bonne raison pour y retourner, non ?"
Miss Mystère :
"Pas vraiment en fait."
Mathilde :
"Je comprends pas."

Quelqu'un pourrait inventer un décodeur pour la traduction. Elle a du mal comprendre ou je veux en venir...! Mathilde est têtue. Quand elle veut quelque chose, elle l'obtient. Si je ne le lui explique pas, elle va insister. Si le sujet clos, elle me laissait peut-être tranquillement avec ce week-end? Je n'aurai plus à me poser de questions. Des images de notre ancienne complicité envahissent mon esprit et je réalise le fossé qui nous sépare aujourd'hui. Les larmes me montent aux yeux, sans que je puisse faire quoi que ce soit pour les arrêter. Je ne pensais pas qu'il m'en restait encore en stock.

Mathilde :
"J'ai dit quelque chose qu'il fallait pas ?"

Elle s'avance un peu plus près de moi et c'est encore pire. Sa proximité me plonge dans un flot d'émotions incontrôlables. Je recule d'un pas pour ne pas être emprisonnée dans le piège de ses bras.

Miss Mystère :
"Et si tous mes souvenirs disparaissent ?"

Elle hausse un sourcil interrogateur.

Miss Mystère :
"Si notre week-end se passait mal, mes bons souvenirs seraient effacés par les mauvais, et la cabane ne serait plus qu'un lieu de tristesse..."

Mais par peur d'un hypothétique échec dois-je renoncer...? La cabane pourrait aussi devenir un souvenir de réconciliation.

Mathilde :
"C'est pas fini. On peut encore se construire de beaux souvenirs, princesse..."
Miss Mystère :
"J'en doute."
Mathilde :
"Alors tu nous laisses plus aucune chance ?"
Miss Mystère :
"Tu crois qu'être loin de la réalité est la seule chance qui nous reste ?"

Elle me saisit par le bras. J'ai un mouvement de recul.

Mathilde :
"C'était la réalité là-bas. Nous deux, c'est ça la réalité !"

Mon cœur tambourine violemment contre ma cage théorique. Le voilà qui me hurle d'accepter ! Elle est plutôt convaincante quand son regard ténébreux m'emprisonne. On ne joue pas à armes égales. Son visage avance de plus en plus près du mien. Des frissons gagnent ma nuque et ma colonne vertébrale. Je sens son souffle sur ma joue. Je baisse les yeux.

Mathilde :
"Je me battrai pour te récupérer. Si c'est pas à la cabane, tant pis, mais ne crois pas que je vais te laisser me quitter comme ça."

Elle me relâche et quitte l'open space rapidement. Le froid gagne mon corps. Je suis toute retournée...
Je suis rentrée chez moi en fin d'après-midi avec une sensation étrange dans l'estomac. Celle qui provoque des espoirs, celle qui rend aveugle. Mon amour pour elle s'est manifesté comme au premier jour, aujourd'hui. Notre relation n'est pas perdue. J'ai à nouveau de l'espoir. Mes sentiments pour Mathilde ne se sont pas volatilisés. Ils étaient juste tapis au creux de moi. Tant qu'il y a de l'amour, il y a des solutions. Son attitude n'a pas arrêté de me trotter dans ma tête. Elle est prête à me reconquérir. Elle cherche à me récupérer. Mais l'ombre de Lana plane encore sur nous. Nous n'avons rien réglé... Je ne sais pas où elle en est avec elle après son annonce... Je sors Topaze pour me libérer l'esprit. Je suis partagée. Je suis à la croisée des chemins : d'un côté le passé rassurant et de l'autre le futur incertain. Sois-je tente le tout pour le tout, et je risque de tomber très bas, soit je renonce, et je le regretterai peut-être toute ma vie...

Miss Mystère :
"Topaze, tu pourrais pas m'aider, non ?"

Il ne daigne pas lever le museau du tronc d'arbre qu'il renifle. C'est tellement agréable de se sentir écoutée...

(J'aurais mieux fait d'adopter un Tamagotchi !)

Et si je regardais le problème de l'extérieur ? Si je devais conseiller la fille à qui ça arriverait, je lui dirais quoi ? Est-ce ça vaut le coup de se battre jusqu'au bout. Qu'elle ne risque pas de retrouver une femme comme elle de sitôt. Alors ça vaut le coup de prendre le risque d'être blessée. Je baisse les yeux vers le sol et je soupire. Bon sang, j'ai tellement besoin de retourner avec elle... Si je perds nos bons souvenirs de la cabane j'aurai toujours ceux de Long Island. Mais le problème n'est pas vraiment là. Je me voile la face. Ce que t'inquiètes par-dessus tout et m'empêches de prendre une décision, c'est la peur de l'avenir. Si j'accepte de passer le week-end avec elle et que les choses tournent mal, notre histoire sera terminée pour de bon. Il se pourrait qu'elle n'y ait plus de "Mathilde et Moi" à la fin de la semaine. Et ça me terrifie. Je fais la politique de l'autruche. Si je n'affronte pas le problème, il n'y en a plus. C'est aussi simple que cela... Pour l'instant nous sommes dans une sorte d'entre-deux qui laisse encore la place à l'espoir. Mon imagination vagabonde et je nous vois, elle et moi, près du feu, dans les bras l'une de l'autre. Elle me dirait à quel point elle m'aime et qu'elle ferait tout pour faire sortir Lana de notre vie une bonne fois pour toutes. Nous nous promettrions de belles choses et nous embrasserions toute la nuit. Attendre ne sera jamais la une solution. Si j'accepte, je risque de chuter dans le ravin.

Miss Mystère :
"Hein, Topaze, je suis courageuse comme nana ?"

Il lève une oreille comme s'il doutait de mes paroles. Ah, quand même !

Miss Mystère :
"Ben quoi ? C'est vrai ! Je me promène le soir à Central Park ; j'ai mangé un yaourt périmé depuis deux semaines ; j'ai même regardé un film indépendant sous-titré, une fois !"

Il m'aboie dessus. Je me suis arrêtée. Il n'aime pas ça, c’est impatient.

Miss Mystère :
"Une minute, s'il te plaît."

Je trouve un bâton assez solide et pas trop grand pour le lui lancer le plus loin possible. Il court à sa recherche et le calme revient enfin. Mathilde et moi devons clarifier les choses une fois pour toutes. Eh oui, c'est peut-être ce week-end qui mettra fin à notre histoire... Mais c'est aussi la seule chance qu'il nous reste pour nous retrouver. J'inspire profondément et accepte au fond de moi de prendre ce risque. Ok, c'est parti. Je tape un message à l'intention de Mathilde :

Miss Mystère :
"C'est OK pour demain."

En appuyant sur le bouton "envoyer", j'ai l'impression de valider ma descente aux enfers. Les dés sont jetés. Je ne pourrai plus revenir en arrière... Je serre mon téléphone contre ma poitrine en levant les yeux au ciel. Sa réponse ne se fait pas attendre.

Mathilde :
"Merci. Tu le regrettera pas."

Pendant que je prépare mes affaires, les questions se bousculent dans ma tête. Cette nuit sera peut-être la dernière, si les choses tournent mal, avec elle. J'espère vraiment que tout va s'arranger avec entrenous. J'aimerais pouvoir lui faire confiance à nouveau. Mais l'ombre de lagarce ne s'estompera pas aussi facilement. Des frissons me gagnent en pensant à cette fille.
Je me prépare une tisane à base de camomille pour me réchauffer et calmer mes appréhensions. Je dois absolument trouver ce qui cloche chez Lana. Elle n'est pas nette depuis le début. Daryl est sur le coup, mais je ne peux pas rester sans rien faire. C'est elle, la source de nos conflits. J'élimine la source, j'élimine les problèmes et tout redevient comme avant.

(J'ai l'impression d'être dotée d'une mission. Je suis la superhéroïne qui doit démasquer la méchante !)

Plus j'y pense, plus je suis convaincue qu'elle nous cache quelque chose. Quelque chose de bien plus gros que ce qu'on peut imaginer. Peut-être bien qu'elle n'a jamais quitté le gang et qu'elle a dû partir quelque temps pour se faire oublier. Peut-être que César n'est qu'un pion et que c'est elle la garce avec un grand G. Je ne suis sûre de rien, mais ça ne coûte rien, d'essayer. J'allume mon ordinateur. Si je dois trouver quelque chose sur elle, c'est peut-être sur le net. Je tape son nom dans le moteur de recherche. Tout le monde laisse une trace sur la toile.

(Voyons voir ce que tu caches, garce !)

Je ne sais pas vraiment ce que je cherche. Et malheureusement je ne trouve rien de spécial à me mettre sous la dent. Elle n'est inscrite sur aucun réseau social. Son nom n'est mentionné nulle part.

(C'est bizarre...!)

Mince alors ! Il y a des femmes qui s'appellent Lana en Europe ! Aucune d'entre elles ne ressemble à ma garce, pas même avant une opération de chirurgie esthétique. Je continue mes recherches en tapant le mot "infirmière" et je ne trouve rien d'intéressant. Cependant quelque chose éveille ma curiosité : je trouve étrange qu'elle ne soit pas citée en tant qu'infirmière diplômée. À moins qu'elle ait cherché à se rendre invisible pour son frère César... Peut-être que la police a fait un nettoyage de son e-réputation. Ou alors elle a choisi d'un nom d'emprunt. La police peut lui avoir fourni une nouvelle identité pour qu'on ne puisse pas la retrouver. Ou alors, encore une fois, elle cache son jeu. Si ça se trouve, elle n'est jamais partie en Europe. Mais pour quelles raisons aurait-elle inventé cette histoire ? Et si elle avait inventé son passé d'infirmière pour récupérer Mathilde ? Genre je suis une bonne âme, j'essaie de racheter mes fautes. Depuis le début son prétexte de charité me semble incohérent. Je reste persuadée que je finirai par découvrir la vérité à son sujet. Elle n'a pas su me cracher son vrai visage. À moins que je me fasse des films, comme d'habitude... Il me suffit d'une seconde, pendant laquelle je me mets à sa place, pour culpabiliser. Si tout ce qu'elle dit est vrai, cette fille supporte une malchance phénoménale. L'espionner n'est pas très glorieux. Je cherche de bonnes raisons à mes malheurs alors qu'il n'y en a sûrement pas. Qu'est-ce que je croyais en tapant son nom sur Internet ? Que Google Images allait me présenter des illustrations de cette sorcière en résultats ? Comme si c'était si facile...! Si elle a tout manigancé, elle a sûrement veillé à protéger ses arrières. Je regarde l'heure en bas de l'écran et mes yeux se troublent en un bâillement. Il est déjà tard et le week-end s'annonce éprouvant. Je ferais mieux d'essayer de dormir. Je me couche dans mon lit après m'être préparée pour la nuit. J'entends les bruits de la ville qui s'estompe peu à peu... Quand elle vient me chercher le lendemain matin, nous ne savons pas comment nous comporter l'une envers l'autre. Elle est hésitante. Elle me salue et avance son visage vers le mien. Je l'embrasse sans réfléchir, comme si les gestes du quotidien avaient du mal à s'effacer. Elle semble surprise. Elle reste immobile un instant. Je crois qu'il ne s'attendait pas à ça. Je réalise, trop tard, qu'elle s'était penchée pour me faire la bise.

Miss Mystère :
"excuse-moi, j'aurais pas dû."

Je suis gênée comme si je la rencontrais pour la première fois. Notre rendez-vous commence à ressembler à un rencard obtenu via un site de rencontre...

Mathilde :
"Ça va ?"

Elle a l'air un peu inquiète. Il faut dire que mon attitude n'est pas très chaleureuse.

Miss Mystère :
"Pour l'instant."

Elle porte ma valise jusqu'à sa voiture puis nous démarrons en silence. J'allume la radio pour couvrir notre malaise. Mon téléphone vibre dans mon sac. Je m'empresse de le récupérer. Au moins si j'ai quelque chose à faire de mains j'aurai l'air moins coincée. Elle a du mal à se concentrer sur la route. Elle n'arrête pas de me regarder du coin de l'œil. Elle cherche probablement à savoir qui me contacte aussi tôt, un samedi matin.

Mathilde :
"C'est qui ?"

J'hésite à lui répondre, car j'ai peur de créer une polémique inutile.

Mathilde :
"Tu me caches des choses ?"

Elle a raison. Pour que notre relation reparte sur de bonnes bases nous devons nous faire confiance. Elle ne devrait pas se soucier de qui m'appelle et je devrais pas avoir envie de le lui cacher.

Mathilde :
"Je vais finir par croire que tu me trompes."
Miss Mystère :
"Pas du tout. C'est ton frère."
Mathilde :
"Oh, toujours là quand il faut lui !"

(Ok. Ça commence mal.)

Il me souhaite seulement un bon week-end. Il sait à quel point ce séjour a de l'importance pour moi. Je trouve ça très attentionné de sa part. Je pourrais répondre par une remarque cinglante à Mathilde, car oui, Daryl était présent quand j'étais mal, contrairement à elle. Mais je préfère m'abstenir pour ne pas provoquer une tension supplémentaire parfaitement inutile. Elle soupire et continue de me lorgner pendant que je réponds à son frère.

Miss Mystère :
"Nous démarrons. Souhaite-nous bonne chance."

Un coup de frein brutal me presse contre ma ceinture de sécurité ! Mon téléphone m'échappe dans mains et tombe sur le tapis de sol ! Une femme enceinte, jusqu'au cou, sur le passage piéton. Mathilde, trop préoccupée à m'espionner, ne l'avait pas vue. La voiture a pilé tout près de la future maman !

Miss Mystère :
"Tu as quelque chose contre les femmes enceintes ou quoi ?"

Elle déglutit, mal à l'aise.

Mathilde :
"Désolée, je l'avais pas vue."
Miss Mystère :
"T'inquiètes, elle ira bien et son bébé aussi..."

J'aurais pu m'abstenir, je crois... Elle ne répond pas et continue de rouler. Le week-end commence sous de mauvais auspices. Je suis sur la défensive et elle aussi. En même temps, je ne pouvais pas m'attendre à autre chose. Je devrais faire en sorte de calmer le jeu, si je veux nous laisser une chance. Une chanson à la radio me pousse à fredonner et baragouiner les paroles. Elle roule des yeux et affiche un sourire moqueur.

Mathilde :
"J'ai jamais entendu quelqu'un chanter aussi faux !"
Miss Mystère :
"C'est parce que tu t'es jamais enregistré en train de chanter..."
Mathilde :
"Si une fois, quand j'étais petite, mais la bobine s'est fendue. Elle a pas supporté mes vocalises."

Elle retrouve un semblant de sourire. Son regard pétille quand il se pose sur moi et cela me donne un regain d'espoir. Le soleil et la bonne humeur réchauffent doucement l'habitacle. Je croise les doigts pour que notre amertume s'estompe peu à peu. C'était sans compter sur la programmation musicale de la radio. Je reconnais les voix d'un groupe avec lequel Daryl travaille. C'est leur dernier tube intitulé "Kiss".

(Daryl... "Kiss"... Autant prendre un mégaphone pour rappeler mon rapprochement avec son frère !)

Je tourne mon visage vers Mathilde et nos regards se croisent pendant une fraction de seconde. Je détourne les yeux aussitôt et elle s'empresse de changer de station. C'est dingue comme on peut n'entendre ou voir que ce dont on a envie. L'être humain est capable de donner le sens qui lui convient à n'importe quel événement. Heureusement que je ne crois pas aux signes, sinon je lui aurais demandé de faire demi-tour. Les spots publicitaires comblent le silence. Je me détends doucement. Mais quand la voix de Rihanna entame "And I know that he knows I'm unfaithful...", je pète un câble.

Miss Mystère :
"C'est une blague, en fait ?"

Elle tourne le volant brusquement et se gare sur le bas-côté de la route.

Mathilde :
"Ok. Ça suffit, maintenant."

Elle coupe le moteur et se tourne vers moi. Sa main gauche tient encore le volant, alors que la droite ébouriffée ses cheveux nerveusement. Mon rythme cardiaque s'accélère. Je me sens prise au piège dans sa voiture.

Mathilde :
"Je n'ai pas couché avec Lana !"

Elle a insisté sur chaque syllabe de chaque mot, comme si elle voulait imprimer sa phrase au fond de moi. Je suis mal à l'aise et je ne trouve pas d'autre réponse à ses paroles qu'un ricanement. Ça m'est déjà arrivé par le passé, j'ai rigolé, j'ai rigolé à un enterrement...

Mathilde :
"Je vois pas ce qu'il a de drôle ?"
Miss Mystère :
"Je sais pas, c'est nerveux."
Mathilde :
"C'est la vérité."

Elle a l'air si sûre elle. J'aimerais la croire.

Mathilde :
"Si j'avais fait ça, je te l'aurais avoué, et j'aurais compris que tu veuilles me quitter."

Elle s'avance sur son siège et sa main gauche glisse sur mon visage pour caresser l'arrière de mon oreille. Des frissons s'éveillent le long de mon échine. Cette sensation m'avait manqué. Ses yeux s'ancrent aux miens, son souffle chaud casse mes lèvres.

Mathilde :
"Tu dois me croire. J'ai aucun désir pour Lana. Ivre ou pas, j'aurais pas pu."

Mon pouls s'accélère. Je suis sûre qu'elle peut sentir les pulsations cardiaques de mon artère, sous son index. Ses douces lèvres se rapprochent de moi et je n'ai plus aucune idée des raisons de notre dispute. J'ai envie de l'embrasser et de céder à la tentation en m'abandonnant à lui.

Mathilde :
"C'est de toi, ma princesse, et seulement de toi dont j'ai envie."

Je déglutis. Mon estomac se contracte et mon cœur rate un battement. Je dois me ressaisir. Ses paroles sont celles que j'attendais, mais elles ne suffisent pas à effacer mes craintes. Un coup de klaxon nous fait sursauter. Le conducteur d'un camion lève son poing dans notre direction. Sa voiture doit empiéter sur la chaussée. C'est dangereux. Nous nous éloignons l'une de l'autre. Encore un signe, qui me montre le moment des gros câlins réconciliateurs n'est pas venu.

Miss Mystère :
"On ferait mieux de repartir."

Elle acquiesce et redémarre. Je tourne mon visage vers la fenêtre. Je peux croire en sa parole, mais comment oublier ce que j'ai vu ? Lana était carrément en sous-vêtements quand j'ai ouvert la porte. Serait-il possible que, sachant que j'allais passer, elle ait tout manigancé...? À bien me souvenir, elle a mis un certain temps à ouvrir... Si c'est ça elle est carrément ultra tordue ! Mais ça colle au personnage...

Mathilde :
"Essaie."

Mon visage pivote vers elle. On dirait qu'elle a lu dans mes pensées.

Mathilde :
"Essaie de me croire, le temps du week-end."

(Elle a des pouvoirs de télépathie, maintenant ?)

Elle semble tellement convaincue que c'est dur de résister. Je soupire en perdant à nouveau mon regard dans le paysage qui défile.

Miss Mystère :
"J'essaie. C'est ce que je fais."

Quand nous arrivons à la cabane j'ai l'impression d'avoir roulé pendant des heures, tant le trajet m'a paru long. Nous déposons nos bagages et elle me propose une petite balade. C'est une bonne idée. L'air de la campagne me ravivera l'esprit. Marcher me permettra aussi de me dégourdir les jambes. J'accepte, mais je crains de comparer cette promenade à celle où nous étions complices. Et je ne me trompe pas. Nous empruntons le même chemin et les souvenirs affluent dans mon esprit. Je me souviens de la promenade à cheval, du pique-nique dans l'herbe... du paradis. Et maintenant, quand je marche en silence à côté d'elle, plus rien ne ressemble au passé.

(On dirait une marche funèbre, derrière notre bonheur décédé !)

Mathilde :
"T'as froid ?"
Miss Mystère :
"Non, pourquoi ?"
Mathilde :
"Tu viens de frissonner, c'est pour ça."

Je ne m'en suis même pas rendu compte. Penser à elle et moi me met dans un état second. Si je continue dans cet état-là je devrai bientôt me faire interner. Je deviens folle à lier, à force de me torturer l'esprit. Il faudrait que je me ressaisisse avant qu'il ne soit trop tard. Si elle m'avait fait confiance et n'avait pas cru son ex, nous serions en train de nous tenir la main. Je n'aurais qu'une idée en tête, lui sauter dessus et la couvrir de baisers. Je n'aurais qu'une préoccupation, trouver un lieu à l'abri des regards pour assouvir ma soif d'elle. Au lieu de ça, je marche comme un zombie sans savoir pourquoi, sans but. Une boule dans la poitrine comprime ma respiration. Jouer la comédie du bonheur, et faire semblant que tout va pour le mieux n'est pas mon tempérament. J'en ai assez d'attendre que le bonheur frappe à ma porte. Je m'immobilise sur le chemin sous son regard... elle semble inquiète.

Mathilde :
"Qu'est-ce qui t'arrive ?"

Je devrais plonger entre ses bras, me recroqueviller sur sa poitrine, entendre les battements de son cœur contre moi. Je devrais pouvoir me sentir en sécurité avec elle. Fermer les yeux et ne rien redouter de l'avenir, puisque je ne pourrais penser qu'au présent si délectable près d'elle. Mais je ne peux pas et je la déteste pour ça.

Miss Mystère :
"Pourquoi tu as détruit notre couple ?"

Les larmes me montent aux yeux. Je décide de crever l'abcès une bonne fois pour toutes. Elle s'apprête à me répondre, mais je lui coupe la parole.

Miss Mystère :
"Pourquoi t'as fait ça ? Qu'est-ce que je t'ai fait de mal ? Tu crois que je mérite ça ?"

Mon corps s'engourdit, tant les émotions qui me submergent sont puissantes. J'ai ouvert les vannes et un flot de paroles se déverse hors de ma bouche.

Miss Mystère :
"Je croyais pouvoir te faire confiance. T'avais l'air d'être quelqu'un de bien. T'en as rien à foudre de moi ? Je comprends pas... je comprends pas."

Elle me regarde, ahurie par ce déferlement d'émotions. Le poids de mes remords, de mon incompréhension et de ma peine pèse sur moi comme une tonne de plomb. Je suis à bout de force physiquement et mentalement. Je n'ai pas le temps d'essuyer mes larmes, que d'autres apparaissent en me troublant la vue. Je m'effondre à genoux sur le sol, épuisé et défait. Je ne suis que l'ombre de moi-même. Elle s'écroule à son tour près de moi et me serre dans ses bras.

Mathilde :
"Je suis désolée, putain ! Je suis désolée, princesse."

Elle enferme mon visage entre la paume de sa main. Mes larmes inondent son tee-shirt.

Mathilde :
"J'ai pété les plombs quand j'ai cru que t'avais embrassé mon frère, je suis devenu dingue, mais jamais je t'aurais fait du mal. Jamais, tu m'entends !"

Je hoche seulement la tête, incapable de répondre.

Mathilde :
"J'ai mal réagi, je le sais et je m'en veux ! Toutes ces conneries m'ont rendue folle. J'ai peur de te perdre, tu comprends ?"

Je sanglote de plus belle devant sa détresse. Elle est autant bouleversée que moi, aussi paumée.

Mathilde :
"Arrête de pleurer, princesse ! Je t'en prie. Je supporte pas de te voir mal, surtout à cause de moi."

Elle pose son menton sur le dessus de ma tête. Je l'entends s'excuser encore et encore et nous restons dans les bras l'une de l'autre, jusqu'à ce que les gouttes d'eau salée sur nos joues sèchent au souffle du vent. Contrairement à ce que je craignais, le reste de la journée s'est déroulée sans drame. Vider mon sac devant elle m'a soulagée et nous avons même réussi à parler normalement. Même si nous avons évité les sujets qui fâchent, et si rien n'est réglé entre nous, nous avons enfin renoué un dialogue. Si notre couple doit être sauvé, c'est ce soir que je le saurai. Être seule avec elle sera l'épreuve ultime. J'ai hâte d'être fixée une bonne fois pour toutes. J'ai trop attendu déjà. Il me tarde de connaître le dénouement de cette mission de sauvetage. Tant que nous jouons à faire semblant d'être amies, tout est supportable. J'en suis moins convaincue quand il s'agira d'ouvrir à nouveau mon cœur. J'allume le feu de cheminée pendant qu'elle s'affaire à la cuisine. Elle revient pour nous servir un verre de blanc. La chaleur se diffuse agréablement dans la pièce. Une douce odeur de bois fumé parfumé la cabane. Je m'installe en tailleur sur le tapis, face à la cheminée. Je fixe les flammes et je frotte mes mains l'une contre l'autre. Inconsciemment, je me protège du rapprochement que je vois se profiler à l'horizon. En effet, Mathilde met tout en œuvre pour que l'instant soit parfait, mais j'ai peur de ne pas être réceptive à ses attentions. Je n'arrive pas à vivre l'instant présent et je ne cesse de me questionner sur le futur. Est-ce que Lana va continuer à nous pourrir la vie ? Elle s'assied à mes côtés et me tend son verre pour que nous trinquions.

Mathilde :
"À maintenant !"

(Punaise ! Elle est une extraterrestre, télépathe, c'est sûr !)

Je lève un sourcil étonné. Elle s'éclaircit la gorge.

Mathilde :
"J'ai un passé de merde, des casseroles énormes derrière moi, et je ne suis pas devin pour savoir pour savoir ce qui nous attend demain."

La vie serait plus simple si j'avais une idée de mon avenir.

Mathilde :
"Je veux trinquer au présent, à toi et à moi. C'est tout ce qui compte."

Je lève mon bras et nos verres s'entrechoquent en douceur. Je m'apprête à porter le liquide à mes lèvres quand elle s'interrompt mon geste. Elle récupère mon verre et le pose sur la table basse. Je comprends tout de suite où elle veut en venir. Ma bouche s'assèche à la simple idée d'aller plus loin avec elle, d'accepter de recommencer à zéro. Je ne sais pas si je suis vraiment prête. Elle s'approche sans me quitter des yeux. Je suis tétanisée.
Non ! Pas maintenant, c’est trop tôt ! Mon cerveau passe en surmultiplier pour trouver une solution … ça y est !
Doucement, je pose une main sur la poitrine de Mathilde. Celle-ci stoppe son geste et me regarde d’un air surpris.

Mathilde :
"Ça ne va pas princesse ?"
Miss Mystère :
"T’inquiètes ! Tout va bien. C’est juste que je suis en train de penser à quelque chose, qui me trotte dans la tête depuis quelques jours. Il y a une question, que j’aimerai te poser."

Elle pousse un léger soupir, se rassied, me tend mon verre puis, prend le sien.

Mathilde :
"Je t’écoute princesse.
Miss Mystère :
"Voilà, depuis que tu nous as parlé de ton opération pour changer de sexe, je me demande comment cela s’est passé."
Mathilde :
"Oualala … il faut te dire que cela a commencé, dans ma tête, durant mon enfance. Je ne me sentais pas bien dans mon corps de garçon. … Vers l’âge de dix ans, j’ai commencé à en parler à mes parents. … Puis, au médecin, qui m’a orienté vers une équipe spécialisée. Vers l’âge de douze ans, j’ai rencontré des psychologues. Avec qui j’ai eu une longue série d’entretiens qui ont eu pour but de valider ma demande.
Mathilde sèche ses larmes qui ruissellent le long de ses joues. Miss Mystère pose une main compatissante sur le bras de son amie. Celle-ci s’en saisit et la serre très fort tout en la regardant droit dans les yeux."
Miss Mystère :
"Continue s’il te plaît."
Mathilde :
"Ok, ensuite, j’ai rencontré le chirurgien, qui lui aussi a donné son accord pour que la transformation puisse commencer. C’est à ce moment-là que ça a vraiment débuté. Mais, avant de te raconter, j’ai une question à te poser."
Miss Mystère :
"Vas-y, je t’écoute."
Mathilde :
"Est-ce que tu as déjà entendu parler de la castration chimique ?"
Miss Mystère :
"C’est pour les violeurs et agresseurs sexuels, ça ?"
Mathilde :
"Oui, tout à fait. On a commencé par me donner le même produit, à des doses différentes. En quelques semaines les premiers signes de féminisation de mon corps sont apparus. Les seins qui poussent, etc… Ensuite est venue la partie chirurgicale, pose d’implants mammaires, modification de la voix, etc… Pour finir, ils m’ont fabriqué un vagin, voilà, tu sais tout."
Miss Mystère :
"Merci pour ce complément d'information"

Elle vient se placer derrière moi pour que je vienne me lover contre elle. Mais si ce geste m'avait plus auparavant, maintenant il me met mal à l'aise. Ses bras viennent m'entourer et je sens son souffle sur ma nuque. J'aimerais me laisser aller, mais quelque chose ne va pas. C'est comme si tout ceci sonnait faux. Je ne peux pas... Comme par un satané réflexe que je ne peux maîtriser, je la repousse de la main. Je ne peux pas céder avec autant de facilité. J'ai l'impression de me faire berner. C'est comme si ce baiser était couru d'avance. Il n'aurait aucune saveur, aucune signification pour moi.

Miss Mystère :
"Je peux pas..."

Elle attrape doucement mon poignet.

Mathilde :
"Je t'aime princesse..."

Je sais que je l'aime encore. Mais quelque chose est détruit... J'ai l'impression de suffoquer. J'ai la sensation que ses bras m'étouffent. La chaleur de la cheminée augmente mon impression de malaise.

Miss Mystère :
"Je..."

Lorsqu'elle pose ses lèvres sur ma nuque, je frissonne. Je ne peux pas, pas maintenant, pas déjà ! Je la repousse, et cette fois elle m'observe avec surprise.

Miss Mystère :
"Je suis désolée. Je sais plus trop où j'en suis. J'ai besoin de temps pour réfléchir à ça, à nous deux, à cette révélation..."

Elle esquisse un demi-sourire comme si ce n’était rien, mais je sens à la tonalité de sa voix qu'elle est vexée et attristée.

Mathilde :
"Je comprends. Sois pas désolée."

Je me sens vraiment mal de la repousser de la sorte. J'ai la sensation d'être dans l'obligation de m'expliquer.

Miss Mystère :
"J'ai très envie de t'embrasser aussi, mais..."
Mathilde :
"Y a pas de malaise. On prendra le temps qu'il faut."
Miss Mystère :
"Merci."

Elle se redresse et s'assied sur le canapé. Elle me fait un signe de la main pour que je m'allonge près d'elle, au creux de son épaule.

Miss Mystère :
"Mathilde..."
Mathilde :
"Je vais pas te tripoter, promis. Je veux juste que tu viennes dans mes bras."

J'obtempère, car j'en ai très envie aussi. C'est exactement ce qu'il me faut. Je glisse ma joue contre sa poitrine. Elle pose sa main sur mon bras. Je suis bien.

Mathilde :
"J'attendrai, princesse, mais sache une chose, j'ai pas besoin de temps. C'est tout réfléchi de mon côté."

Je ferme les yeux. J'ai peur qu'elle ait mal pris mon refus.

Mathilde :
"C'est toi ou rien."

Je me suis endormie dans ses bras hier soir, bercée par sa respiration régulière. C'est en me réveillant ce matin que je me suis rendu compte que j'ai un plaid sur les genoux et un oreiller sous la tête. Elle dort par terre, près du canapé, avec pour seul matelas une couverture... Lorsqu'elle ouvre les yeux, son sourire me touche.

Mathilde :
"T'es là ?"

Sa voix terriblement sexy du réveil paraît soulagée.

Mathilde :
"Miss Mystère..."
Miss Mystère :
"Oui, où veux-tu que je sois ?"
Mathilde :
"J'ai eu peur que tu te barres au milieu de la nuit."

Malgré tous nos différends, elle me connaît bien. J'ai mon petit caractère, et il m'arrive de prendre des décisions sur un coup de tête. Alors, partir en plein milieu de la nuit, pourquoi pas.

Miss Mystère :
"C'est pour ça que t'as dormi près de moi ? T'avais peur que je file en douce ?"

Elle se lève avec un petit sourire en coin.

Mathilde :
"Non, ça, c'était pour t'entendre ronfler, ça m'avait manqué !"

Je lui jette le coussin à la figure. Elle se met à rire devant mon lancer amateur.

Miss Mystère :
"Ça aussi, ça m'avait manqué."

(Son rire et notre complicité.)

En fin de matinée, nous rentrons. Une fois dans la voiture je fais le bilan de ce week-end. Ce week-end s'est déroulé au-delà de mes espérances. J'ai retrouvé une certaine complicité avec elle, même si elle n'est pas tout à fait celle d'avant. Je suis rassurée. On avance petit à petit et c'est sûrement le chemin le plus sûr. Nous roulons quelques heures en écoutant de la musique. Nous ne parlons pas, mais le silence entre nous n'est plus gênant. Il est même agréable, reposant. Au bout de quelques heures, elle se tourne vers moi.

Mathilde :
"Alors ? Tu regrettes ce week-end ?"
Miss Mystère :
"Et toi ?"
Mathilde :
"Ce week-end était pas celui que j'attendais, mais il m'a donné de l'espoir."

Je ne savais pas trop quoi attendre de ce week-end. J'avais peur d'une catastrophe, mais finalement ça s'est plutôt bien passé.

Miss Mystère :
"Qu'est-ce qui te donne de l'espoir ?"
Mathilde :
"Moi ? Maintenant, je sais ce qui me reste à faire."
Miss Mystère :
"Ah oui ? Et quoi ?"

Elle se gare au bas de mon immeuble et coupe le moteur. Et si elle essaie encore de m'embrasser ? Je suis pas sûre de trouver la force de la repousser à nouveau parce que j'en ai très envie, très envie de me lover contre elle. Elle met du temps à me répondre et j'appréhende sa réponse.

Mathilde :
"Arrêter de voir Lana pour commencer. C'est ma relation avec elle qui nous a séparés. C'est elle qui est à l'origine de nos disputes."

Sa lucidité me plonge dans le silence. J'avoue que je n'y croyais plus...

Mathilde :
"Je t'aime. J'ai conscience que j'ai merdé. J'étais perdu quand Lana a refait surface dans ma vie... Toutes les barrières que j'avais érigées depuis sa mort prétendue se sont cassé la gueule. Et moi avec... J'ai pas voulu voir l'évidence. Je me suis comporté comme une idiote. Mais c'est fini, j'ai pigé. Je la verrai plus. Elle appartient au passé... Toi, tu es mon présent !"

Je suis extrêmement émue par les paroles, ses paroles. J'ai l'impression d'être enfin touchée par la lumière divine et que nos cœurs chantent à l'unisson.

Miss Mystère :
"Je ne sais pas quoi te dire..."
Mathilde :
"Dis rien, princesse. Fais-moi confiance et tu verras."

Mon cœur tambourine dans ma poitrine. Je reconnais sa sincérité et je suis sûre qu'elle dit vrai. Une sensation familière parcourt l'intérieur de mon corps... et l'amour. J'avance mon visage rapidement et pose mes lèvres sur les siennes, avant de sortir de la voiture. Le lendemain après la discussion que j'ai eue avec Mathilde, nous décidons que ce soir nous sortons. Et puis ce sera l'occasion de la voir. Je n'aurais jamais imaginé un tel manque... Arriver devant la boîte de nuit... Je salue tout le monde. Une personne manque à l'appel !

Miss Mystère :
"Daryl vient pas ?"
Lola :
"Si, mais je sais pas ce qu'il fout ! Il doit être en retard comme d'habitude."

Pendant que Colin et Mathilde sont partis chercher à boire. Lola et moi nous discutons de choses et d'autres de la pluie et du beau temps... Ils reviennent avec nos consommations. Le Starlite est bondé ce soir. Elle s'assied à mes côtés et rapproche sa chaise de la mienne. Lola le remarque et me lance un clin d'œil discret. Je savais que mon amie remarquerait notre rapprochement, avec elle. Pour éviter qu'elle me questionne sur le week-end, j'ai préféré venir avec elle. En étant avec elle dès le début de la soirée Lola n'a pas pu me prendre à part pour m'interroger. Depuis le week-end à la cabane, notre baiser furtif, nous n'avons pas eu l'occasion d'avancer sur notre relation. Comme nous ne travaillons plus ensemble, nous ne croisons qu'à la pause déjeuner. Et autant dire que la présence de Colin empêche tout rapprochement et confidence. Tout au long de la semaine, elle m'a envoyé des textos. C'est comme si elle me faisait la cour à nouveau. À vrai dire, la première fois, c'est surtout moi qui l'ai dragué ! En tout cas, tous les soirs, je montais le volume de la sonnerie du téléphone pour être sûre de ne pas louper un appel. Ce qui me fait dire que je suis loin de passer à autre chose.

Mathilde :
"Tu fais quoi après ?"

Sa question me sort de mes rêveries. Elle a chuchoté, mais je me demande si Lola et Colin l'ont entendu. En fait, ils discutent ensemble et la musique couvre nos voix. Elle me fixe avec indécence. Je rougis. Il est encore trop tôt pour aller plus loin. Son regard semble sous-entendre un after coquin. En plus je commence vraiment à apprécier notre jeu du chat et de la souris.

Miss Mystère :
"Pourquoi ?"

Je mordille ma lèvre dans l'attente de sa réponse. Elle reproche son visage du mien avec une infinie lenteur. Même si je refuse, juste pour le plaisir qu'elle m'invite à passer un bon moment en toute intimité. Ses lèvres frôlent mon oreille. Son souffle dans ma nuque me donne des frissons. Je cesse de respirer et ma gorge devient sèche.

Mathilde :
"Pour mordiller tes lèvres."

Je n'ose pas tourner mon regard vers elle. Mon bas-ventre se contracte lorsque je l'imagine mettre ses plans à exécution.

Lola :
"Daryl vient de m'envoyer un message, il est sur le parking. On l'attend pour trinquer ?"

Elle s'éloigne de moi comme si de rien n'était.

Mathilde :
"Un peu plus un peu moins, on peut l'attendre..."

Colin lève les yeux au ciel et boit une gorgée de son verre, apparemment peu désireux de trinquer avec Daryl. Ma bouche est asséchée par l'ivresse des mots de Mathilde. J'ai soif à n'en plus pouvoir. Tant pis ! Je ne peux plus attendre pour étancher ma soif.

Lola :
"C'est impoli. Attends Daryl !"
Miss Mystère :
"Il en met du temps aussi ! Je veux bien l'attendre si tu ramènes ses fesses ici."
Lola :
"Je vais voir où il en est, mais vous nous attendez pour trinquer !"
Mathilde :
"J'ai soif aussi."

Elle articule chaque syllabe de sa phrase en me regardant avec insistance. À moins que ce soit moi qui me fasse des films. Je suis en manque, je vois des allusions là où il n'y en a peut-être pas.

(Elle tourne les glaçons avec sa paille et me lance un regard en diagonale. Elle veut me faire tourner la tête ?)

Lola :
"Venez vite ! VITE !"

Elle est à la porte du Starlite. Elle semble complètement paniquée ! Mathilde se précipite en courant vers elle. Colin et moi la suivons aussitôt. Je n'ai jamais entendu une telle détresse dans la voix de Lola. Des frissons de peur parcourent ma colonne vertébrale. Elle est paniquée, ses mains et sa voix tremblent.

Lola :
"C'est Daryl ! Il a besoin d'aide !"

Si j'avais pu filmer cette scène au ralenti, je suis sûre qu'on aurait vu un orage assombrir le regard de Mathilde. En entendant Lola déclarer que Daryl est en danger, Mathilde se précipite sur le parking sans se retourner, sans savoir ce qu'il se passe. Encore une fois, malgré tous leurs différends, ce qui lie ces deux-là est plus fort que tout. Je prends Lola par les épaules.

Miss Mystère :
"Lola, calme-toi. Qu'est-ce qui se passe ?"

Elle bégaye, visiblement sous le choc de ce qu'elle a vu.

Lola :
"Ils... ils attaquent Daryl !"
Miss Mystère :
"Quoi ? Qui ?"

(Putain, le gang de César ! La panique s'empare définitivement de moi.)

Lola :
"Je sais pas... des types bizarres !"

Mon sang ne fait qu'un tour. Je cours à travers le parking pour rejoindre Mathilde. Tout en courant, j'écarte l'hypothèse selon laquelle Daryl se ferait agresser par les hommes de César. Il fréquente tellement de personnes louches qu'il est étonnant qu'il ne soit pas impliqué dans des bagarres plus souvent. Les jumeaux Ortega ont le don de s'attirer des ennuis. Daryl est au sol, le visage ensanglanté. Trois hommes s'en prennent à lui ! Mathilde fonce droit sur eux et envoie le plus grand contre le bitume, à quelques mètres derrière. Les deux autres se redressent et contre-attaquent. Colin lui prête main-forte. Daryl est libéré de ses assaillants et j'en profite pour me rapprocher de lui. Il est dans un sale état, mais il y a beaucoup trop d'agitation autour de moi pour le secourir sereinement. L'agresseur au sol se relève et se dirige droit sur Daryl et moi.

(Toi, mon pauvre ami, tu ne sais pas à qui tu as affaire...)

J'esquive aisément le coup de poing que le type me lance et, en une pirouette habile, je viens littéralement écraser mon talon contre son tibia ! Le type hurle de douleur et son regard se pose sur moi.

Gangster :
"Puta ! Je vais te défoncer !!!"

(Les Mexicains... C'est donc le gang de César ! Oh non...)

Mathilde se tourne vers le type, en l'entendant m'insulter, et lui envoie un coup de poing dans la mâchoire.

Mathilde :
"Princesse ! Reste pas là !"

Elle et son éternel besoin de me protéger ! Elle oublie que j'ai un sacré niveau en sport de combat ! Je me retourne, rageuse, vers le gros lourdaud et lui colle une clef de bras qui fait vriller son coude dans une position ignoble. Cette fois il s'écrase au sol. Je l'y maintiens de tout mon poids.

Miss Mystère :
"T'en veux encore, connard ?!"

Je suis prise d'une telle fureur que je pourrais les tuer un après l'autre ! Mais, tout à coup, des sirènes de police retentissent au loin.

(Merde !)

Les trois hommes de main de César s'enfuient sur-le-champ. Bravo ! Quel courage ! J'attrape mon téléphone, appelle le 911 et retourne auprès de Mathilde. Cette dernière se jette à genoux près de son frère.

Mathilde :
"Frérot, putain, Daryl, réponds-moi !"

Il est inconscient. Il a le visage tuméfié et couvert de sang. Mon regard s'attarde sur sa poitrine. Le temps s'interrompt. Les bruits environnants disparaissent. Mon coeur est prêt à exploser. Est-ce qu'il est...
Sa poitrine se soulève.

(Oh mon dieu, il est vivant !)

Lola est en état de choc et répète en boucle la même phrase.

Lola :
"Daryl, réveille-toi ! C'était qui, hein, Daryl ? Réveille-toi !"
Mathilde :
"Merde !"

Je m'avance vers Lola pour tenter de la rassurer.

Miss Mystère :
"Les secours vont arriver, ça va aller, Lola."

Elle ne doit absolument rien comprendre à cette agression. Elle est complètement terrorisée. Les larmes aux yeux et les mains tremblantes, elle ne me répond pas.

Mathilde :
"Faut que je les rattrape. Je sais où les trouver ! Putain je vais les buter un par un !!!"

Colin la prend à part, pendant que je tente de réconforter ma meilleure amie.

Colin :
"Oh là ! Tout doux ! Tu t'calmes ! Reste auprès de ton frère, il a besoin de toi."
Mathilde :
"Je vais les buter, putain !"

Elle cogne son poing contre la carrosserie d'une voiture. Son souffle est erratique. Elle est hors de contrôle ! Je ne sais pas quoi faire. Je suis en plein cauchemar.

(Réveillez-moi, je vous en prie !)

Les sirènes d'une ambulance se rapprochent. Les gyrophares éclairent nos visages d'une lumière bleutée angoissante. Les secouristes nous demandent de nous écarter. Dans l'urgence du moment, je me décale pour leur laisser la place. Lola se relève avec difficulté. Je l'aide à se redresser et surtout à détacher ses mains de Daryl.

Miss Mystère :
"Laisse-les faire leur travail."

Les secours sont là, Daryl respire et c'est un homme solide. Tout cela ne sera bientôt qu'un mauvais souvenir. J'ai une grande confiance en la médecine. Les médecins feront tout ce qui est en leur pouvoir. Restons optimistes. Mathilde tourne autour des secouristes comme un lion dans sa cage. Elle se prend la tête dans les mains, réalisant l'étendue de son impuissance face à la situation. Je me sens également impuissante mais je m'approche d'elle et pose la main sur son bras. Elle a besoin d'être rassurée et, aussi impuissante que je sois, je peux au moins lui apporter mon soutien. Elle me regarde et je lis dans ses yeux un mélange de peur et de colère.

Miss Mystère :
"Mathilde..."

Elle ressemble à un lion enfermé prêt à bondir sur le premier homme qui entrera dans sa cage. Je prends le risque de la prendre dans mes bras pour apaiser la tension qui l'agite. Elle a d'abord un mouvement de recul mais elle finit par plonger son visage au creux de mon cou. Elle se laisse complètement aller face à la douceur rassurante que je lui offre. Je la vois craquer comme jamais je ne l'avais vu auparavant. Les secouristes s'agitent autour de Daryl. Ils emploient des termes techniques que je ne comprends pas. L'un d'eux apporte un brancard et ils soulèvent Daryl du sol.

Mathilde :
"Qu'est-ce que vous faites ? Il va bien ?"

L'un des secouristes s'arrête, tandis que les autres emmènent Daryl dans l'ambulance. Il nous demande si l'un d'entre nous est un membre de la famille. Elle lève la main et avance vers le médecin.

Mathilde :
"C'est mon frère."

Je voudrais l'accompagner, mais ça ne serait pas correct de dire que je suis de la famille. Je ne peux pas m'incruster ainsi, alors que c'est Lola, la chérie de Daryl. Le médecin nous apprend qu'il a de nombreuses contusions et hématomes. Son état est critique et il doit être emmené aux urgences immédiatement. J'ai l'impression de recevoir un coup de massue sur le crâne. "Son état est critique."
J'ai du mal à en croire mes oreilles. Je voudrais que tout ceci ne soit qu'un cauchemar. Hélas, tout est réel... Mathilde ne dit pas un mot. Elle est en état de choc, elle aussi. Alors que les ambulanciers s'apprêtent à refermer les portes sur son frère, le médecin lui propose de les accompagner. Elle hoche la tête. Elle inspire profondément puis monte à l'arrière de l'ambulance. Je demande au médecin de monter aussi dans l'ambulance. Il est hors de question que je la laisse toute seule. Elle a besoin de quelqu'un auprès d'elle pour la soutenir. Qui sait ce qu'elle serait capable de faire sinon ? Le médecin refuse catégoriquement. Seuls les membres de la famille ont le droit de les accompagner. La lumière blafarde du véhicule l'éclaire, assise aux côtés de son frère inerte. Elle est livide. Je ne l'ai jamais vue aussi inquiète. Elle ne me regarde même pas, absorbée par son frère. Les portes de l'ambulance se referment et elle redémarre en trombe, sirènes hurlantes. Colin, Lola et moi restons plantés sur le parking à regarder Daryl s'éloigner...

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