- Tu aimes ? Je le faisais souvent à Armand.

- J'adore ! répond Ruby en roulant ses yeux de plaisir vers le ciel. Personne ne m'a jamais fait ça et je n'imaginais même comme ça peut être bon !

- Armand me demandait sans cesse de lui faire. Il disait qu'il ne pensait plus qu’à ça quand je tardais à lui refaire.

- Tu m'étonnes t'es une experte ! 

- C'est une question de doigté, assure doctement Alexandra.

- Tu as des mains très douées, en effet !

- Il faut de la fermeté et de la douceur. Le mouvement doit être rapide et régulier. Tout est dans le poignet  en fait. Comme tu fais toi-même avec ton propre manche.

- Je vois très bien ce que tu veux dire ! s'enthousiasme Ruby.

- Et ça se sent quand ça commence à monter : ça devient plus dur, ça gonfle !

- J'ai bien vu ! Et c'est tout blanc après ! s'extasie le bûcheron comme un môme devant sa première neige.

- J'adore l'aspect, moi aussi : cette consistance, cette blancheur !

- Et le goût ! Quel est ton secret ? demande Ruby avec dévotion.

- Ah ! Ce n'est pas bien mystérieux : j'ajoute une pincée de sel pour faire réagir les papilles. Comme ça, c'est meilleur en bouche.

- Par contre, je suis surpris. Je pensais que je n'aimais que les noires et c'est avec une blanche que je connais la plus extase de ma vie !

- Les noires sont plus fortes, explique Alexandra, c'est pour ça qu'on les croit meilleures. Mais il n'y a pas que la puissance qui compte : parfois, avec de la subtilité, de la nuance, de la finesse, on fait plus d'effet !

- En tout cas, je te remercie : ça fait du bien par où ça passe !

- C'est moi qui te remercie : je t'ai abordé sans prévenir, je t'ai forcé à me prendre et toi tu m'as prise sans réserve, avec générosité et patience, douceur et respect. Je te devais bien ça !

- Si tu me refais régulièrement cette mousse au chocolat blanc, cette maison est la tienne ! 

S'ensuit un silence gêné quand Ruby s'aperçoit de l'énormité de sa proposition. 

Dans le regard embué qu'Alexandra fixe sur lui, l'homme croit lire une émotion qui lui donne envie de la protéger.

- Pourquoi tu fuis ton mari ?

La question tombe dans le silence comme une pierre dans la mare, faisant résonner le silence de ses échos inéluctables.

Alexandra ferme les yeux, précipitant de ses paupières deux grosses larmes qui roulent doucement sur ses joues pâles. Puis elle se met à parler doucement, dans un murmure, d'une voix atone.

- Armand est un mafieux, un salaud et un tueur. Il m'a trompée, frappée, et quand j'ai parlé de divorcer, il a menacé de me tuer et il m'a battue. Alors dès que j'ai pu, je suis partie loin de tout ceux que je connais. J'avais vu sur une carte qu'il possédait cette forêt avec cette cabane et ses gars avaient parlé de toi. Tu avais l'air de quelqu'un de bien et je suis venu me cacher ici. 

Le silence revient, plus lourd.

- Il n'y a que moi qui vis ici, dit soudain Ruby avec calme. Personne ne vient jamais. Et tu es ici chez toi.

Elle le gratifie d'un sourire ému et se lève. Elle fait le tour de la table et se penche pour déposer un baiser léger comme un papillon sur sa tempe, où la barbe et les cheveux concèdent un peu de peau à embrasser.

- Merci. Je suis épuisée ! Je vais dormir : bonne nuit.

Et tandis qu'elle s'éloigne, Ruby savoure la brûlure de ses lèvres sur son visage en contemplant les grâces de sa silhouette qui disparaît dans la salle de bain.