Chapitre 6 - Dans les aiguilles des grands pins...

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Lorsqu'elle revient dans la grande pièce, habillée seulement d'une trop grande chemise empruntée à Ruby, celui-ci est déjà couché sur le tapis.

Alexandra se couche à son tour et coupe la lumière

- Ruby ? 

Il la croyait endormie tant le silence s'était installé.

- Oui ?

- Ça ne peut pas continuer comme ça.

Sa voix est étrange et Ruby sent son ventre se crisper. Elle veut partir. Ça y est.

Ruby ne dit rien, désemparé.

- Je me sens mal de te prendre ton lit et de te forcer à coucher sur le tapis... 

- Ça ne fait rien ! s'empresse-t-il de la rassurer. Ça ne me dérange pas de dormir par terre ! Je t'assure !

- Ne sois pas ridicule ! le contredit-elle sans détour. Ton lit est assez grand pour deux et nous allons le partager. Ce sera plus équitable.

Ruby est tétanisé. 

Lui et elle dans le même lit ?

Elle et lui à quelques centimètres sous la même couverture ?

Il n'est pas sûr de pouvoir.

- Allez, viens, insiste-t-elle en voyant qu'il ne réagit pas.

Il n'est pas sûr de pouvoir lui résister.

Sa gorge est sèche.

Il sent soudain une main tâtonner dans le noir le long de son torse, son épaule, son bras.

Alexandra saisit sa main et tire.

- Allez ! Ne fais pas l'enfant.

Il obéit, anxieux.

Il s'allonge et n'ose plus bouger.

Sous la couette, à quelques centimètres à peine, il sent le corps d'Alexandra qui irradie de chaleur.

- Bonne nuit.

- Bonne nuit.

Puis c'est le silence.

Ruby, bien sûr, ne trouve pas le sommeil. Mais il se contraint à respirer doucement, à ne pas bouger.

- Et toi ? Pourquoi tu as fui dans le grand nord ?

Le chuchotement d'Alexandra, sur l'oreiller voisin, est à peine perceptible.

Il ne veut pas répondre.

- Un accident, lâche-t-il cependant lorsqu'elle pose sa main sur lui pour l'encourager.

- Qu'est-ce qui s'est passé ? lui demande-t-elle en constatant qu'il s'est tu.

Elle presse sa main entre ses doigts pour l'encourager.

- Ma petite amie est morte. Avec son petit copain.

Dans le silence, ces mots qu'il n'a jamais prononcés avant font mal. Ils sonnent durement dans la réalité étrange du silence de la nuit.

- Comment ça s'est passé ?

- Je les ai tués.

La main d'Alexandra s'immobilise et se relâche.

Elle doit le prendre pour un assassin. C'est ce qu'il pense aussi, de toute façon, mais il lui importe soudain qu'elle le comprenne.

- Je les ai découverts. Nus. Il y a eu des cris. Des insultes. Son copain m'a menacé. Je l'ai frappé. Et il est tombé. Il s'est relevé, furieux, et Hélène a tenté de s'interposer mais j'ai frappé si fort qu'il m'a lâché. Il était mort. Hélène aussi. Je l'ai bousculée pour qu'elle se pousse et elle s'est fracassé le crâne sur un meuble. Alors je suis parti.

Ruby, écrasé par le souvenir, se met à pleurer, submergé par les sanglots. 

Délicatement, Alexandra le prend dans ses bras pour le consoler.

- Ce n'était pas ta faute, c'était un accident...

- Si, c'était ma faute, j'étais tellement en colère, j'ai frappé tellement fort...

- Un accident, rien qu'un accident...

Il manque de s'étouffer dans ses sanglots et ne répond plus. Elle caresse délicatement ses cheveux pendant de longues minutes, et peu à peu, Ruby retrouve son calme. Elle ne le considère pas comme un meurtrier. Elle, au moins - ce n'est pas son cas à lui.

Il ouvre enfin les yeux et plonge son regard dans ceux d'Alexandra. Ils sont si brillants, si humides : a-t-elle pleuré elle aussi ? Bravo, Ruby ! Faire pleurer cette femme deux fois dans la même soirée, c'est du joli !

Il est toujours dans ses bras et, sentant le besoin de la réconforter à son tour, il l'entoure de ses bras lui aussi et se sent immédiatement idiot. Mais elle ne cherche pas à s'échapper, et même se love tout contre lui. Un frisson de plaisir parcourt Ruby des pieds à la tête.

- Il est temps de penser au présent, de penser à nous.

Que veut-elle dire par là ? Est-ce une manière de lui dire qu'il est temps qu'ils dorment ? Elle n'a pas tort, il est tard, mais enfin on est bien, là serrés l'un contre l'autre... Et elle le regarde si intensément ! Elle semble attendre quelque chose, mais quoi ? Mais qu'il la libère, bien sûr ! Il desserre son étreinte. Mais Alexandra reste collée à lui, et ne semble pas réclamer les heures de sommeil qui lui manquent. Elle le regarde toujours, dans les yeux, la bouche légèrement ouverte, le menton en avant, comme si, comme si elle s'apprêtait à...

Soudain, ses lèvres se posent sur sa bouche. Ruby n'a même pas le temps de réfléchir à ce qui est en train de se passer : il sent le souffle chaud d'Alexandra s'introduire en lui ; son cœur se dilate dans sa poitrine et menace d'exploser ; plus bas, son désir ardent commence à prendre forme.

La jeune femme doit le sentir aussi ; elle presse ses cuisses contre les siennes, et Ruby peut sentir sur tout son corps celui d'Alexandra, la douceur de sa peau, la fermeté de ses muscles et de sa poitrine. Le baiser prend fin, ils se regardent l'un l'autre, hébétés et haletants, puis se ruent à nouveau l'un sur l'autre. La bouche de Ruby s'entrouvre, leurs langues se rencontrent, il laisse échapper un gémissement.

La main d'Alexandra glisse dans son dos, descend le long de ses hanches et s'arrête sur sa virilité tendue. 

- C'est trop ! murmure-t-elle, haletante, en s'écartant.

Et, devant le regard enfiévré et perplexe de Ruby, elle pose délicatement son index fin sur ses lèvres mangées de barbe. Convulsivement, il embrasse son doigt.

- C'est trop tôt, explique-t-elle dans un souffle. Trop rapide. Trop. Désolée, ajoute-t-elle après un silence avant de lui tourner le dos.

Le regard perdu dans ses boucles brunes et sur la courbure de son épaule soyeuse, Ruby ne sait plus quoi dire ni que faire.

- Bonne nuit, chuchote-elle.

- Bonne nuit, lui répond-il, la voix encore rauque.

Puis, dans le silence de la cabane, il se remet doucement sur le dos, le corps douloureux, l'esprit confus.

Le temps passe et, au bout d'un moment, il entend le souffle régulier d'Alexandra : elle s'est endormie. Alors, apaisé par ce son rassurant, il se laisse à son tour gagner par le sommeil, mais sa nuit est agitée de rêves emmêlés qui le laissent au matin courbaturé et trempé. Lorsqu'il ouvre les yeux, il réalise qu'il a été réveillé par le bruit de la douche.

Il change rapidement les draps et lance la machine à laver ; quand Alexandra ressort de la salle de bain, napée dans une brume irréelle de buée, une serviette autour de la tête et une autre autour du corps, Ruby se sent rougir et, marmonnant un salut embarrassé sans parvenir à croiser son regard, il tente de fuir à son tour dans l'abri de la petite pièce.

Mais la main légère qui se pose sur son avant-bras au passage l'arrête comme un mur. Elle est fraîche mais, comme une brûlure, irradie de ce contact ténu dans toutes ses terminaisons nerveuses. 

Comme elle ne fait pas mine de retirer ses doigts, Ruby vient difficilement croiser son regard.

Elle sourit avec tristesse.

- Merci.

Puis elle le relâche et poursuit sa traversée de la pièce vers la petite armoire de Ruby, qui détale sans demander son reste pour rechercher un salut relatif dans l'isoloir de la douche.

Il est perdu, le corps parcouru de courants contraires, l'esprit en éruption permanente.

Pour recouvrer un semblant de sérénité, il se laisse aller aux gestes coutumiers de ses matins de célibataire et finit par reparaître devant elle moins égaré.

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