Chapitre 1 - De la cendre à la braise...

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Langoureusement, elle lèche le bout de ses orteils et remonte, cajoleuse et implacable, le long de son membre raidi par l'effort : Ruby pousse un grognement d'extase et présente à la chaleur de l'âtre son second membre roidi par le froid et qu'il vient péniblement de déchausser.

Il laisse le feu faire son office, chasser l'engourdissement de l'hiver pour la fatigue délicieuse d'un travail bien accompli. Il se caresse machinalement la barbe, retirant au passage quelques copeaux de sapin qui s'y sont accrochés, et se dégoupille une bière. Il s'enfile goulûment le contenu de la bouteille et pousse un gémissement de satisfaction, retenant vaguement le plus gros d'un rot sonore. Il est bien.

Depuis deux ans qu'il a accepté ce poste dans les grandioses forêts de l'extrême nord du Canada, il ne regrette toujours pas son choix malgré les longues soirées de solitude. Il a décidé de s'exiler loin de la civilisation pour renouer le contact avec une nature étrange, sauvage, séduisante et dangereuse. Une nature qui l'envoûte et qu'il commence peu à peu à apprivoiser.

Heure après heure, il a appris à écouter les infinies variations de ce silence qui n'en est pas un ; semaine après semaine, il a appris les mille et une fragrances qui peuplent ces forêts de sapins ; mois après mois, il a observé le foisonnement de nuances de vert et de blanc sous la lumière changeante du grand nord, ponctuée d'aurores boréales fantastiques et somptueuses ; surtout, pendant deux ans, il s'est heurté à la dureté de ce labeur harassant, de ce froid impitoyable et de cette solitude implacable, s'endurcissant engelure après engelure jusqu'à ne plus ressentir la morsure de l'hiver. Il est devenu un animal du Grand Nord. Le Grizzli, comme on l'appelle plus bas. Il ne sait plus si ça vient de Manny ou de Gérald, mais c'est resté et, après réflexion, ça lui convient bien.

Sur ses genoux, ronronnant avec contentement, son Lynx savoure les caresses pesantes de sa main rugueuse. Peut-être serait-il devenu fou sans la présence gracieuse et silencieuse de sa petite chatte ? Ou peut-être l'est-il déjà trop pour s'en rendre compte ?

Il rit soudain dans le silence, faisant sursauter le félin, qui se rendort aussitôt après avoir constaté que rien ne légitime de changer d'activité.

Il continue de fixer la lente avancée mécanique des aiguilles de l'horloge fixée au-dessus de la cheminée. Bientôt vingt heures. Il est l'heure d''aller se coucher. Ne perdre ce rythme sain de l'alternance entre veille et sommeil sous aucun prétexte pour ne pas laisser échapper ses repères dans ce monde étrange où le jour ne succède à la nuit que tous les six mois.

Il laisse encore flotter son regard dans les flammes, observant leur ballet imprévisible autour des bûches qu'il transforme en braises rougeoyantes qui crépitent par moments, projetant une étincelle dorée dans l'ombre, et qui s'affaissent enfin, dévorées de l'intérieur, en un amas de braises et de cendres fascinantes...

Brusquement, il se redresse de toute sa hauteur, jetant à bas le chat qui feule sa peur et le regarde avec colère : on a frappé à sa porte. 

Jamais, au grand jamais, il n'a reçu de la visite. Et c'est pourquoi il avait accepté ce poste. Certes, il savait que cela pourrait arriver, mais il avait accepté cette éventualité comme on admet vaguement l'existence d'un phénomène improbab!e : sans trop y croire.

Et on a frappé à sa porte. Et on frappe à nouveau

Son regard se pose sur la carabine accrochée près de l'entrée, puis sur son reflet étonné dans la glace accrochée derrière la porte d'entrée, 

On frappe encore, de manière plus insistante.

Plus curieux qu'inquiet, il se décide enfin à aller ouvrir.

Un homme de petite taille, emmitoufflé dans des fourrures, semble vaciller de fatigue et ne dit mot.

Ruby s'écarte et l'invite à entrer d'un geste de la main, incapable encore de parler, faute d'habitude.

L'étranger pénètre l'intimité de Ruby et en fait le tour avec une curiosité et un sans-gêne qui le laissent déconcerté.

- Vous devriez fermer la porte. La neige va tout tremper et on perd de la chaleur.

Sa voix est étonnamment aiguë mais douce, caressante, et Ruby baisse immédiatement les yeux sur ses chaussures, fermant la porte avec maladresse.

L'étranger, apparemment satisfait de son inspection, commence à ôter ses manteaux. Couche après couche, Ruby l'observe se dévêtir avec un trouble croissant. Enfin, tandis que l'étranger relève son dernier manteau, révélant les sous-vêtements qui soulignent ces formes que les manteaux dissimulaient, Ruby comprend et l'évidence lui saute aux yeux tandis que le rouge lui monte aux joues.

Son étrange invité qui débarque au soir au milieu de nulle part, cet étranger venu d'on ne sait où... est une femme !

Sa chatte attire immédiatement son attention pour l'empêcher de détailler le visage de l'inconnue. Mais Ruby la repousse gentiment du pied et fait un premier pas vers la femme avant de s'interrompre.

Il lui faut dire quelque chose.

- Qui vous êtes ?

Sa voix, rauque d'être inusitée depuis tant de mois, lui paraît méconnaissable. Entre le coassement et la caisse traînée dans les graviers. Il se racle la gorge et ajoute :

    

    - Vous v'nez d'où ?

    

    - Alexandra. J'arrive de Toronto. Vous êtes Ruby Albus, c'est ça ?

    

    L'intéressé lève un sourcil, étonné que cette femme le connaisse et pas réciproquement.

    

    - Comment vous me connaissez ?

    

    Elle marque un temps d'arrêt pendant lequel elle l'examine.

    

    - Je vous connais parce que vous travaillez pour Armand Lebrun, votre patron. Mon mari.

    

    Dans la tête de Ruby, ça chauffe.

    

    - Pourquoi est-ce qu'il vous envoie !  

    

    - Il ne m'envoie pas. Je voulais me cacher de lui au contraire et il n'aura jamais l'idée de me chercher ici, chez lui, au bout du monde.

    

    Ah bon ? Ruby n'a plus rien à dire...

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