Chapitre 9 - Une bien belle affaire...

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- Et alors, comment ça s'est passé pour vous ?

Même si les stages constituaient une bonne partie du programme de l'année, les étudiants devaient revenir à l'Académie de temps en temps pour faire des rapports ou suivre des cours supplémentaires si besoin. Vincent était donc attablé, à côté de d'Henry qui avait un appétit stupéfiant, avec ses "camarades" Pascal, Annette et Edmond. Lumine était présente elle-aussi, mais elle semblait pensive.

- C'était une galère, soupira Edmond en baissant sa tête. Les répétitions sont sans fin et je dois me taper toutes les tâches ingrates, comme le ménage, laver les costumes, graisser les mécanismes...

- Tu aurais dû t'attendre à ça, fit Annette avec un ton réconfortant. Mais au moins, tu apprends à être organisé et à faire du travail manuel...

- Comme elle dit  ! (Pascal fit gonfler ses biceps) L'entraînement physique n'est à négliger pour personne ! Pas vrai, Henry ?

- Hmpf ?

Ce dernier ayant la bouche pleine, il ne fit que lever sa tête aux joues gonflées comme des ballons vers ses camarades, qui éclatèrent de rire. Le-dit avala sa bouchée avant de répondre :

- Oui ! (il joua du poignet pour montrer à tous sa souplesse) J'ai déjà atteint le niveau nécessaire pour exécuter les techniques avancées, mais ça va prendre du temps avant que je les assimile.

- Tu as travaillé dur, ça se voit, sourit Annette.

- Et toi ? intervint Vincent en sirotant son verre d'eau. De nouvelles découvertes à l'horizon ?

- Bien sûr que non ! (la jeune fille bredouillait, agitant ses mains avec du rouge aux joues) Loin de moi l'idée d'être capable d'une telle prouesse... Je fais juste des tests sur des machines, et des calculs, rien d'intéressant.

- Hum...

En vérité, Vincent aurait aimé pouvoir récolter quelques infos concernant les nouvelles technologies de sécurité créées dans les laboratoires, mais venant d'une stagiaire, cette réponse vague était à prévoir.

- J'y pense !

Les autres se tournèrent vers Henry, y compris Lumine. Ce dernier sourit, avant de déclarer :

- J'ai été choisi pour faire une mission spéciale !

Pascal, Edmond et Annette lâchèrent des exclamations de surprise, suivis de félicitations. Vincent, quant à lui, se doutait que quelque chose clochait...

- L'ordre vient de qui ? demanda-t-il sur le ton de la conversation.

- Hum ? Euh... (son ami aux cheveux bleus fouilla dans sa mémoire) Le capitaine Leavitt, je crois....

Bien entendu... Elle n'avait pas attendu longtemps, pensa Vincent tandis qu'Henry se faisait couvrir d'éloges. Instinctivement, il coula un regard vers Lumine ; celle-ci écoutait la conversation, bien que visiblement occupée à manger sa salade copieuse. Mais le voleur était trop méfiant pour mordre à l'hameçon : sa tête légèrement penchée, ses yeux quelque peu fureteurs.

Lumine n'était pas douée pour dissimuler son intention.

Mais pour le moment, Vincent avait une autre idée en tête...

- Vous savez quoi ? J'ai une rumeur pour vous...

Rien qu'à la vue de la jeune blonde qui se pétrifia le fit à la fois chavirer et rire de l'intérieur. Étrange sensation... Les autres se penchèrent en même temps que lui, tandis que Vincent prenait son air le plus mystérieux :

- Il paraît que le Ravissard... va s'attaquer au Hall d'ici une semaine !

La graine était lancée...

* * *

- Le Hall ? Vous en êtes sûre ?

- Oui, mon capitaine !

Henry déglutit face au regard rouge et acéré de son nouveau supérieur ; le capitaine Leavitt était respecté dans toute la cité de la république, mais personne ne pouvait vraiment rester de marbre devant une telle autorité. Elle le dirigeait lui et le reste de la troupe avec une poigne de fer, doublant les heures d'entraînement à tel point qu'Henry se demandait toujours quand il allait manger ou dormir.

La capitaine pesta, avant d'écrire un rapport. Contrairement à ce que le bleu avait vu avec les scribes personnels des autres capitaines, Leavitt était une lettrée et ne lésinait pas sur les mesures de politesse. À quel point est-elle parfaite ?

- Allez envoyez-ça au "Missionnaire du Royaume", expliqua-t-elle en lui tendant la lettre, qu'Henry prit respectueusement. C'est d'une importance capitale.

- Qu'est-ce donc ?

Elle lui lança un regard froid, et l'autre déglutit. Puis, elle soupira d'agacement.

- Un conseil pour vous, soldat Lecocq : quand on est pas haut-gradé, on ne pose pas de questions et on fait bien son travail. Et lorsque c'est fait, c'est que vous les poserez. Est-ce clair ?

- Oui, mon capitaine ! répondit-il, ainsi que les autres qui étaient aussi concernés par ce conseil.

- Rompez !

Henry courut donc, la missive en main. Il était nécessaire d'arrêter le Ravissard au plus vite, sinon la ville serait sous son joug... Et ça le jeune homme ne pourrait le supporter.

Il arriva au bâtiment des missives en moins de temps qu'il n'aurait jamais pu le faire auparavant, et pantelant, il entra. L'intérieur était similaire aux baraquements des Gardes, à l'exception des dizaines de gens qui courraient dans tous les sens, les bras inondés de parchemins et d'autres ustensiles liés au métier de messager.

Henry regarda autour de lui, tentant d'arrêter quelques coursiers pour leur demander qui était ce "Missionnaire du Royaume", mais ces gens étaient trop pressés pour lui accorder de l'attention, venant même à le bousculer. Déçu et effaré, Henry se colla contre un mur en lâchant un soupir vaincu.

- Tu cherches quelqu'un ?

Henry se tourna ; à côté de lui se tenait un homme grand, à la coupe au bol verte quelque peu insolite et une houppette qui semblait jaillir de son front. Ses oreilles étaient pointues, montrant son appartenance au petit peuple. Il portait un jaque bleu, surmonté d'une veste en cuir moulu et sombre. Son pantalon, couvert de chaînes, était troué par endroits, terminé par des bottes en métal lourdes, qui cliquetaient sous son incessant mouvement du talon.

Et quand Henry constata son énorme carrure ainsi que la lourde masse de guerre qu'il portait dans son dos, il sut qu'il n'avait pas à faire à n'importe qui. Alors, en bon soldat, il répondit, néanmoins intimidé :

- O...Oui ! (il montra sa lettre) Je dois apporter ceci au Missionnaire du Royaume !

- Oh ?

Le type prit la lettre dans sa main avant même qu'Henry s'en rende compte, et la décacheta. Après un instant, Henry s'écria :

- Malheureux, qu'est-ce que vous faites ?

- Hmm ? (le type le regarda sans comprendre, avant de rire) Ah, tu saisis pas : c'est à moi qu'est destinée cette lettre.

Quoi ? Henry n'en croyait pas ses oreilles ! Le type en question parcourut rapidement la missive, puis eut l'air de sourire. Soudain, il fit jaillir de l'eau de ses doigts, et mouilla la lettre ! L'encre disparut, diluée dans le liquide, et il déchira le papier trempé. Surpris par cet étrange phénomène, Henry mit quelques secondes avant de comprendre que cette personne était une porteuse de Vision.

- C'est formidable, ça, déclara le Missionnaire en souriant de toutes ses dents, avant de taper l'épaule d'Henry avec force, le faisant vaciller. Allez, viens avec moi : on va aller boire un coup !

- Mais... Je dois rejoindre le capitaine Leavitt pour faire mon rapport ! se plaint le concerné.

Le Missionnaire le lorgna du regard, avant de pouffer. Il le prit par le bras et le tira dehors sans ménagement. Henry, sans se soucier de son rang, se débattit, ce qui fit encore plus rire le personnage.

- J't'aime bien, toi ! T'as de la poigne ! (il serra plus fort le bras du jeune homme) On va bien travailler, toi et moi !

- Hein ?

Le Missionnaire plaça le bleu devant lui, et croisa ses bras ; ses yeux étincelèrent d'une brève lueur bleue, lui donnant un air mystique.

- Je suis le Missionnaire Royal, mais tu devras m'appeler Desjardins. Leavitt a ordonné deux choses dans sa missive :  de un, que je trouve le Ravissard avant la fin de la semaine, et de deux... (il le pointa du doigt) tu m'assisteras dans cette tâche !

Henry déglutit avec grand peine ; il était tombé sur le supérieur le plus insolite et hasardeux de tout Fontaine !

* * *

- Et vous pensez que ça vaudrait combien ?

Cela faisait depuis déjà dix bonnes minutes que Vincent discutait avec le laveur de sol de la partie nord du Hall. Le type avait une femme et trois enfants, donc cinq bouches à nourrir, le poussant à être d'un sérieux et d'une droiture exemplaire. Pourtant, ce type adorait par dessous tout une seule et unique chose : marchander. Il avait eut un désir ardent de devenir marchand, mais la réalité l'avait vite rattrapé.

Vincent était donc là pour raviver cette flamme. Et ça fonctionnait : les yeux du laveur s'illuminèrent devant le joyau que le jeune homme lui présentait sous le nez.

- Si mes calculs sont bons, ça doit bien valoir quelques douzaines de centaines de Moras ! (il eut un regard soupçonneux) Où vous l'avez eu ?

- Un ami aventurier me l'a offert, mentit Vincent en refermant son poing, le laveur tendant sa main avec dépit pour n'attraper que du vide. Mais comme ça me prend de la place, je souhaite m'en débarrasser.

- Ça vous prend de la place ? gloussa le laveur.

Soudain, des gardes passèrent devant eux, obligeant Vincent à légèrement baisser sa tête. Mais les soldats l'ignorèrent et continuèrent leur chemin, tandis que le jeune homme murmurait :

- Vous avez une idée ?

- Vous pourriez vous la foutre dans l'derche, grommela le laveur. J'ai pas envie de faire du recel.

Bien entendu, Vincent rouvrit son poing, et la même lueur rejaillit dans les yeux du type. Il s'émectua les lèvres, avant de soupirer et de prendre la pierre. Puis, comme il l'avait prévu, le laveur se pencha vers lui et plaça un petit objet dans sa main.

- Vous l'dites à personne que j'vous ai donné ça, hein ? Vu que j'l'ai en triple, y vont pas m'en vouloir...

- N'ayez crainte : je le remettrais demain dans votre casier, sourit Vincent en tapant l'épaule du gars, trop occupé à admirer le joyau dans sa main calleuse. On est d'accord que, de toute façon, cette conversation n'a jamais eu lieu ?

- Bah, je connais ni votre nom, et votre visage me revient pas, répondit-il en haussant ses épaules. Moi je retourne travailler ; bonne chance avec ce classement de dossier.

Vincent opina du chef en le regardant partir d'un pas lent, traînant son chariot à nettoyage derrière lui. Le Ravissard se gratta la joue, quelque peu irritée ; le masque qu'il portait, ainsi que la perruque, lui avait demandé plus d'efforts alchimiques qu'avant, et surtout ne durait pas éternellement.

Il se dépêcha donc d'aller vers une salle des documents classiques dans le Nord-Est du Hall. Il entra dans la pièce à l'aide de la clé que le type lui avait donné, ouvrant lentement la porte pour regarder dans l'embrasure afin de repérer d'éventuels gardes... Mais rien. La pièce n'était pas gardée, car personne ne se disait qu'un voleur irait voler des dossiers déjà classés.

Sauf que ça n'était pas l'objectif du Ravissard.

Après avoir fermé la porte derrière lui à double tour, il se faufila entre les étagères couvertes de caisses remplies de parchemins. Des trésors de connaissance qui auraient fait bavé n'importe quel étudiant Sumerien ou Fontainais, mais il passa à côté, désireux d'atteindre son vrai objectif.

Un mur.

Enfin, pas le mur en question, mais ce qui se trouvait dessus : une bouche d'aération spéciale, qui conservait les parchemins dans un milieu assez humide pour ne pas les dessécher, assez froid pour ne pas les froisser.

Le Ravissard sortit une fiole au mélange d'Hydro et de Dendro, ainsi qu'un soupçon de Géo et une pointe de Pyro, et la lança sur le grillage séparant la pièce de la bouche. Un pshhh retentit, suivi d'une fumée épaisse et nauséabonde, qu'il s'empressa de chasser d'une bille Anémo. Quand l'épaisse brume fut dissipée, la grille avait été fondue sans chauffer.

Souriant, le voleur bondit pour attraper le rebord et se hissa à l'intérieur de la bouche. Se déplaçant à quatre pattes, il entendait le sifflement de l'air à ses oreilles, et ça l'aidait à s'orienter dans ce dédale sans fin. Au bout d'un moment, il la vit.

Lurare Veritas Respicias.

Un mince filet d'eau miroitant dans l'air, comme suspendu selon un schéma invisible. Le Voile Indivisible était la véritable forme du pouvoir de l'Archon Hydro, "percutant tous ceux qui passaient dans son crible pour les décortiquer, les évincer pour révéler leurs secrets les plus vils". Une bien belle litanie qui ne signifiait rien, se moqua Vincent en admirant la grâce du voile d'eau fine, comme un rideau de pluie.

En fait, si on ne possédait aucune culpabilité (qu'on considérait comme étant le sentiment source des gens malhonnêtes), le sortilège ne s'activait jamais. Même si on était la pire ordure du monde, si notre mode de pensée concevait l'acte criminel comme une chose normale et justifiée, alors nulle raison de s'inquiéter.

Mais pourquoi personne n'avait jamais percé le secret du Voile ? La réponse : les rumeurs. La plupart des criminels qui avaient été attrapés possédaient de la culpabilité en eux, alors cela avait rapidement transformé la véritable essence du Voile en une sorte d'attrape-gredins sans défauts, dissuadant ceux qui n'étaient pas vraiment au courant.

Si il avait compris le véritable phénomène, c'était juste sur un coup de chance, rien de plus ; mais la Dame Chance l'avait béni de son toucher et il en avait profité un maximum. Et là, c'était le coup d'éclat de sa carrière : voler le document le plus secret du pays, dans l'endroit le plus gardé, qui concernait la personne la plus importante.

Du gâteau, pensa-t-il en avançant à travers le voile. Un sensation bizarre l'assailli, le sortilège tentant de déceler une trace de doute dans son esprit ; mais le Ravissard était le voleur le plus talentueux de tout Fontaine, ce qui lui donnait le droit légitime de propriété sur tout bien dans ce royaume.

Il parvint à la bouche d'aération en question, et vit à travers le grillage que les gardes étaient bel et bien partis ; la ronde de nuit tombait pile au bon moment. Le Ravissard sortit de la bouche d'aération, tombant au sol aussi silencieusement qu'un chat. Il fouilla dans son sac et en sortit le Reconnisateur. Il l'alluma.

Un rayon bleu-glace en sortit, et fila tel une anguille à travers les rayons des archives... Pour terminer sur une section un peu à l'écart. Étonné, il observa l'endroit où le système de sécurité était le plus élevé, comprenant détecteurs de mouvements et traquenards en tout genre, puis tourna la tête vers l'endroit que le Reconnisateur avait déniché, et un large sourire se dessina sur ses lèvres.

Quel dommage... Ils ne sont pourtant pas si idiots, mais gobent tous les mensonges qu'on leur applique !

Il partit prendre le document en question ; lorsqu'il l'eut en main, sa bague vibra légèrement, indiquant à Pantalone la réussite du voleur. Ce dernier fit la moue, avant d'hausser ses épaules ; doubler le comte n'était pas très intelligent de toute manière... À moi le pactole ! pensa-t-il avec délice.

Il sortit un faux dossier qu'il avait minutieusement préparé de son sac, en retira quelques feuilles pour avoir le même volume, et se dirigea jusqu'à la bouche d'aération pour disparaître et la refermer derrière elle juste au moment où les gardes revenaient de leur pause.

Et tout le monde, ce soir-là, s'attendait à ce que le Ravissard s'attaque au Hall une semaine plus tard.

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