« Voilà, l’Uziel est indétectable, mais la puissance des Eires est décuplée quand ils sont à côté. »

Ils reportèrent tous leur attention sur ce simple pilier, entouré par des escaliers en colimaçon. Personne n’aurait pu soupçonner qu’il abritait un pouvoir aussi puissant. Eliah comprit que Rianon ne devait jamais apprendre l’existence de ces nœuds. Cela aurait été une trop belle occasion pour eux de pouvoir anéantir le pouvoir des mages, définitivement.

Il se sentait privilégié de découvrir un tel endroit, mais également étranger. La magie lui faisait peur. Pourtant, n’était-ce pas pour lui l’occasion rêvé de se débarrasser de la brume ? Des frissons lui parcoururent le corps, mais il n’osa pas demander à Lenaïs. Il craignait trop qu’elle échoue encore. Des tremblements d’excitation s’emparèrent de ses mains, qu’il peinait à dissimuler.

La reine poursuivit :

« Avant la Purge, les magiciens ont construit ce bâtiment. C’est devenu un temple pour protéger le nœud et former des apprentis. »

Ils comprirent tous pourquoi le temple se trouvait dans ce piteux état. A l’arrivée des envahisseurs, les Eires avaient riposté. Leur résistance avait été féroce les premières années, jusqu’à ce que le gouvernement de Rianon décide de les « purger ». Ainsi, cent ans plus tôt, de grands autodafés avaient été organisés pour supprimer leurs connaissances, considérées comme païennes et dangereuses. Etant les détenteurs du savoir sur la planète, les mages avaient également perdus toutes les archives et les recueils d’histoire, ce qui avait plongé l’Île dans l’ignorance de son propre passé. A l’époque, le Seigneur de l’Île résista aux envahisseurs avant d’être tué par son frère . Celui-ci participa activement à la traque des sorciers. Ce temple fut l’un des premiers détruits. Dès lors, les origines de la magie et de la planète bleue demeuraient mystérieuses et ignorées de tous.

« Je veux remettre cet endroit en état pour qu’il accueille à nouveau des Eires. Nous essayons de trouver des candidats potentiels, ainsi que des écrits, mais la plupart ont été détruits. »

Sendja soupira. Pour la première fois de la journée, ils purent lire sur son visage le poids de ses responsabilités.

« Je sais que ce pilier dissimule d’autres secrets. Ma mère était persuadée qu’on pourrait protéger l’Île grâce aux Uziels, mais j’ignore comment. »

Elle se tourna à nouveau vers Lenaïs. Cette dernière écoutait à peine les explications, toute son attention tournée vers le pilier. Elle s’efforçait de trouver un mensonge assez convainquant, qui comprenne les informations de Sendja, mais qui serve ses plans.

« Il y a bien cinq nœuds. Les localisations ne sont pas données. Les inscriptions parlent d’une porte, “dver” et de clefs, “ klyuchi ”, mais je ne comprends pas... », marmonna-t-elle.

Ils restèrent silencieux. La souveraine triturait ses cheveux rouges, impatiente d’en apprendre davantage. Thanael et Theo restaient en retrait avec Eliah, qui n’osait pas intervenir pour exposer sa requête. Son cœur battait la chamade et son esprit s’emballait. Il s’imaginait déjà retrouver une vie normale et ses souvenirs. L’Eire marmonna des paroles inintelligibles avant de s’exclamer :

« Ces nœuds ont plusieurs fonctions … »

Elle effleura les inscriptions de ses doigts, les sourcils froncés. Elle fournissait des efforts considérables pour rester impassible. Personne ne devait découvrir le véritable rôle de ces Uziels.

« Il semblerait en effet qu’ils répandent la magie partout sur l’Île, mais j’ai l’impression qu’ils peuvent créer une sorte de protection, comme un bouclier autour de la planète… C’est ce dont nous avons besoin ! »

Le commandant croisa les bras, peu convaincu. Sendja hocha la tête, ses yeux pétillaient d’excitation. Elle l’invita à poursuivre. Lenaïs se mordit la lèvre. Elle craignait de fournir une information qui ne correspondait pas à ce que la reine savait déjà. La mage devait convaincre son auditoire, qu’ils avalent ce mensonge. Elle prit une profonde inspiration.

« Vous voyez les cinq personnages, ici ? » reprit-elle en pointant le pilier.

Au milieu du texte illisible, cinq bonhommes étaient gravés dans la pierre. Un double cercle les entourait. Si on reliait les figures, elles formaient une étoile. Chacun remarqua cette disposition. Eliah fut distrait pendant quelques instants. Un nouveau frisson le parcourut. Ce pilier dévoilait le vrai nom de l’Île, en langage ancien. Cette révélation, qu’il attendait depuis des années, ne se trouvait qu’à un mètre de lui, mais demeurait indéchiffrable. S’il demandait que la femme lui révèle, Thanael s’y opposerait, il le savait.

« Il faut activer tous les Uziels en même temps et ensuite la protection magique apparaît. Ce n’est pas très clair, avoua-t-elle. Ils utilisent beaucoup de métaphores.

- Et comment on les active ? »

L’Eire se concentra et examina les lignes avant de répondre :

« C’est comme si ces nœuds dormaient depuis des décennies. Il faut les réveiller chacun leur tour et poser une marque. Un lien invisible les connecte et les rassemble. Ainsi, ils forment un réseau et sont reliés par l’énergie du mage. »

Sendja leur fit signe de se rapprocher, pour qu’on ne les entende pas. Cependant, avec le vacarme autour d’eux, ils parvenaient difficilement à se comprendre. Ils parlaient devant les ouvriers depuis un moment alors que craignait soudain la dirigeante ?

Eliah se sentait tel un agent double, à cause de ses origines. Il fut étonné que sa présence soit tolérée, mais on ne lui prêta pas attention. Depuis leur départ du palais, plus personne ne s’intéressait à lui, ce qui n’était pas plus mal.

« Ma mère a beaucoup voyagé à travers l’Île, sans jamais trouver un autre Uziel. Elle a néanmoins déniché un texte ancien, qui fait référence à l’un de ces endroits, à l’ouest de l’Île. Elle a voulu s’y rendre, mais le trajet dans les terres est trop dangereux, elle a failli mourir. Après ça, elle ne pouvait plus se déplacer et sa quête a pris fin. Je voulais m’y rendre, mais je ne suis pas assez forte. »

Ils purent entendre la colère poindre à travers sa voix. Ces révélations lui pesaient. Face à l’invasion imminente, elle n’avait d’autres choix que de leur montrer ce temple et le savoir inespéré de Lenaïs pouvait les aider. Thanael posa une main compatissante sur l’épaule de la reine. Lui qui ne possédait aucun pouvoir magique ne pouvait que comprendre ce sentiment d’impuissance.

« J’ai envoyé plusieurs mages là-bas. Ils sont si rares à trouver de nos jours mais… Ils ne sont jamais revenus. »

Le capitaine se recula brusquement, touché au vif. Il effectua quelques pas dans le grand hall en secouant la tête, les mains sur les hanches.

« Non, non, non. Je sais ce que tu as en tête Sendja, et la réponse est non ! »

La femme se contenta de lever les bras au ciel et s’assit sur une des marches. Elle ferma les yeux, l’air épuisé. Le bruit des travaux commençait à leur donner mal à la tête. Cette agitation qui n’en finissait pas fatiguait Eliah.

« Je dois m’entretenir seul à seul avec sa Majesté », annonça le commandant.

Le jeune homme en profita pour faire signe à Lenaïs. Ils s’éloignèrent pour échapper au vacarme, qui s’estompa enfin, à mesure qu’ils déambulaient dans l’édifice vide et fantomatique. Il ignorait la portée du pilier, donc ils restèrent à proximité. Certaines pièces étaient encore remplies de gravats, d’autres inaccessibles à cause des murs effondrés.

Ils débouchèrent dans un grand jardin entouré par les murs de l’édifice, dont un en ruine qui dévoilait les vestiges de lits d’un ancien dortoir. Il ne restait que les armatures en métal tordues et rouillées, ainsi qu’un matelas moisi et éventré. Seules des mauvaises herbes avaient poussé ici. Des ronces grimpaient le long de la façade. Toute cette désolation ne réussit pas à le déprimer. L’excitation augmenta encore d’un cran, il ne tenait plus en place.

« La reine a dit que ta force était décuplée ici, tu peux m’enlever la brume. Je suis sûr que tu vas y arriver. »