Chapitre 12.3

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Lorsqu’il tira les rideaux qui dissimulaient l’extérieur de la calèche, Eliah fut surpris de découvrir des rues désertes, ainsi que des maisons abandonnées. Le bruit des sabots des chevaux résonnait dans les allées vides. Un frisson lui parcourut le dos. Il avait eu un long moment d’absence depuis qu’ils avaient quitté le palais. Il ne se souvenait même pas s’être levé du canapé, dans le salon. Il avait soudain ouvert les yeux et ils se trouvaient tous dans une diligence luxueuse et confortable.

Le jeune homme ne se rappelait pas avoir dormi. La brume agissait ainsi sur son esprit, surtout après sa fureur et le soulagement d’être libre. Sans les chaînes à ses poignets, il se sentit léger. Des marques rouges lui marquaient la peau, mais il savait qu’elles disparaitraient bientôt, tout comme les croissants de lune sanglants incrustés dans ses paumes. Son cœur restait assombri par la scène au palais. Son sentiment de faiblesse et de rancœur ne s’effaçait pas.

« Où est-on ? », demanda-t-il timidement.

Ils se déplaçaient dans une ville fantôme, pas la capitale si animée qu’ils avaient vu un peu plus tôt. Les habitations en ruine s’alignaient sous leurs yeux.

« Nous sommes au nord du quartier de l’arène, expliqua Sendja. C’est désert depuis la Purge et l’épidémie de variole. »

Il faillit argumenter que cela faisait des années que ces deux évènements avaient eu lieu, mais il se retint. L’invasion de Rianon avait décimé une partie de la population de l’Île. Ils le constataient ici. Malgré les décennies, le secteur n’était toujours pas repeuplé. Son cœur se serra.

Une ambiance tendue pesait dans l’habitacle depuis leur départ. Sendja avait refusé de leur indiquer la destination. La calèche s’arrêta enfin et ils sortirent avec soulagement. Un grand bâtiment en pierre grise se dressa devant eux. La façade n’avait rien de remarquable. Des bruits sourds s’échappaient des fenêtres sans carreau.

Lenaïs marqua un temps d’arrêt et fronça les sourcils.

« Je ressens… C’est… Bizarre. », commenta-t-elle.

Six ouvriers sortirent par la grande porte, transportant des planches et saluèrent rapidement la reine. Un chargement surgit à ce moment-là d’une rue attenante. Des charrettes transportaient des pierres massives, taillées dans de gros blocs dont les couleurs correspondaient à celle de l’édifice. Le petit groupe entra à l’instant même où d’autres travailleurs sortaient pour aider à décharger.

Il régnait une grande agitation. Des artisans circulaient de tous les côtés. Plusieurs d’entre eux remettaient en état les marches en marbre qui se trouvaient face à l’entrée. Deux imposants escaliers s’enroulaient autour d’une tour grise, s’élevant jusqu’au plafond.

La poussière des travaux recouvrait les dalles fracassées et abîmées. Les murs portaient des marques profondes, comme s’ils avaient survécu aux bombes. Des zones plus claires témoignaient des restaurations. Les artisans avaient rebouché un trou énorme, d’une dizaine de centimètres de diamètres. Les fentes sur le toit apportaient des taches de lumière et ils entendirent des coups de marteaux provenant de la toiture et des autres pièces.

« Quel est cet endroit ? », demanda la mage.

Ses yeux brillaient d’un mélange d’admiration et d’incompréhension. Son cœur battait la chamade et elle fit quelques pas en direction du gros pilier, au centre du hall. En apparence, cette colonne n’avait rien d’anormal mais… Une puissante énergie magique vibrait à l’intérieur. La femme n’avait jamais perçu une telle quantité. C’était phénoménal. Comment cette force pouvait demeurer cachée dans la ville ? Le pouvoir aurait dû irradier dans toutes les rues, pourtant, il était concentré ici et indétectable à plus de vingt mètres.

Elle ne comprenait pas l’intérêt de ce lieu. Elle pouvait utiliser ses pouvoirs sans cette source. Jamais elle n’avait ressenti cette présence ailleurs, qui pesait presque lourd sur ses épaules. Un sort de protection devait sûrement le rendre indécelable pour les étrangers.

« C’est un temple magique », répondit enfin Sendja.

L’Eire remarqua alors les inscriptions qui décoraient la pierre et elle se figea sur place. Elle cherchait cela depuis son arrivée sur l’Île. Plus d’un an de recherches pour finalement le trouver ici. Elle faillit lâcher un rire hystérique, mais se retint juste à temps. Hors de question de ruiner sa couverture maintenant. Elle dut se mordre les joues pour dissimuler ses émotions.

Elle déchiffra les lettres avec avidité, absorba ce savoir nouveau, les yeux écarquillés. Des années qu’elle attendait ce moment. Sa famille aurait été folle en découvrant ce pilier ! Son pays entier aurait été capable de tuer pour seulement pouvoir l’admirer.

« Tu es capable de lire ce qu’il y a marqué ? », questionna la reine.

Lenaïs crut déceler de la jalousie dans sa voix. Les pirates et Eliah ne comprenaient pas la raison de cet affolement et de cet émerveillement devant cette colonne. Des dessins et écritures étranges marquaient sa surface. Du charabia pour eux. Même Thanael ne sentait pas l’énergie qui se pressait à l’intérieur.

« C’est de l’ancien langage, plus personne ne le parle. »

Son sang se glaça dans ses veines. Elle se maudit pour avoir manqué de vigilance, mais comment aurait-elle pu deviner qu’ils ne lisaient plus l’ancien langage sur l’Île ? Les rares documents restants, chez elle, qui parlaient de cette planète, avaient été écris dans ce vieux dialecte. Pour elle, c’était une tradition qui remontait à la nuit des temps d’apprendre cet idiome. Venait-elle de ficher en l’air son plan ?

« J-je ne sais pas comment ça se fait, bégaya-t-elle. J’arrive à le lire et comprendre. Pourtant c’est la première fois que je vois ça. »

Le regard suspect de la souveraine pesa sur elle. Le froncement de sourcils du Novichki lui échappa cependant. Son amant se rapprocha et la prit par l’épaule.

« Ça doit être à cause de ton amnésie. »

Elle se contenta d’acquiescer, le regard sombre, comme à chaque fois que ce sujet était abordé. L’air arrivait avec difficulté à ses poumons et elle se retint au pilier à cause d’un vertige. Les autres durent croire qu’elle admirait les écritures. Elle n’était pas passée loin de la catastrophe.

« Peux-tu me dire ce qu’il y a marqué ? », s’enquérit le Seigneur.

Lenaïs se pinça les lèvres. Son esprit fonctionnait à toute vitesse. Personne d’autre qu’elle ne pouvait déchiffrer les inscriptions. Elle cacha le tremblement de sa main en rabattant sa veste sur son épaule mutilée. Grâce à cette découverte, elle serait capable d’accomplir sa mission. Elle avait dû mal à dissimuler son excitation. Mais impossible de leur révéler.

« C’est un temple magique que ma mère à découvert, expliqua Sendja. Nous pensons qu’il y en a cinq sur l’Île.

- A quoi cela sert-il ? » intervint Theo.

Les trois hommes ne ressentaient pas le même enthousiasme. Le bruit assourdissant des travaux résonnait contre les murs, ils avaient du mal à se concentrer.

« Ma mère était une puissante Eire, mais à cause de la Purge elle a dû se cacher presque toute sa vie, reprit la dirigeante d’une voix sombre. Elle a découvert ces ruines par hasard et l’a appelé un Uziel, “un nœud”. La pierre est protégée par un puissant sort qui la rend indétectable. Il y a une grande concentration de magie ici.

- Je ne comprends pas. Je peux utiliser mes pouvoirs de la même façon partout ailleurs sur l’Île.

- Ma mère avait aussi une théorie à ce sujet. Les cinq nœuds sont répartis à chaque coin de l’Île et forment un réseau souterrain qui transmet l’énergie en tout lieu. C’est comme si la magie représentait les branches d’un arbre qui s’étendait sous l’Île et que ces endroits étaient les troncs. Si un Uziel est détruit, il n’y aura sûrement plus de magie sur notre planète. Se trouver à proximité de l’un d’eux rend les Eires plus puissants. Tu devrais essayer. »

La mage haussa un sourcil, perplexe. Elle sentait bien qu’une force se dégageait de la colonne, mais elle n’avait pas l’impression de pouvoir accomplir des miracles. Elle tendit sa main, ses doigts tremblaient encore d’émotion après sa découverte. Elle peinait à se concentrer. Son esprit lui hurlait de continuer à déchiffrer les symboles. Pourtant, tous attendaient une démonstration.

Elle pivota sur elle-même pour observer la pièce. Dans un coin, des ouvriers transportaient des blocs de pierre, chacun poussait sa brouette avec peine. En temps normal, elle parvenait à déplacer de petits objets, pas plus gros qu’une botte. Elle effectua un simple geste et un roc se souleva dans les airs, soudain léger. Il flotta avec une facilité déconcertante. Les hommes lâchèrent un hoquet de surprise et s’écartèrent vivement.

Elle avisa le trou dans le mur que les artisans comptaient boucher. Simplement par la pensée, elle maintint le bloc suspendu dans les airs, tandis qu’avec ses doigts elle guidait le ciment pour coller les pierres. Le travail fut accompli en quelques secondes. Fière et souriante, Lenaïs se tourna vers ses compagnons.

Tous les travaux avaient cessé. On la dévisageait, bouche bée. Ses yeux brillèrent d’orgueil et d’ivresse. Elle se sentait puissante, inarrêtable. Sendja claqua dans ses mains et les hommes se remirent au travail.

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