Chapitre 18

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Après avoir longtemps réfléchi et poussé mes recherches, je me suis assoupie sur mon lit. Quelques heures plus tard, un ciel noir déverse sa haine contre le sol. La nuit tombe en même temps qu’un torrent de pluie.

Mais ce qui m’a réveillée, c’est un affolement général. Plutôt, un sentiment. Un bruit métallique avait retenti.

Je me lève, encore comateuse et attrape le post-it déposé devant la porte. Le poids de la feuille est anormalement lourd. Au dos, une petite clé ronde y est scotchée. À côté, de la nourriture est recouverte par un film alimentaire. Mon ventre gargouille. Je m’empresse d’avaler la piémontaise servie dans une assiette à dessert, ainsi qu’un grand verre d’eau qui accompagne le plat.

Au moment de lire le message, mon cœur se réveille. Mes mains se mettent à trembler. J’enclenche mon cerveau. Lentement, il assimile les mots comme s’il venait de recevoir un coup de poignard.

Je suis désolée. Pour tout. Pardon ma fille.

Mes yeux s’écarquillent comme s’ils avaient vu un revenant. Nous n’en sommes pas loin. Les informations s’enquillent sans que je puisse les analyser ou même les comprendre.

Mon frère, mon père, ma mère. Tout se mélange, si bien que je suis incapable de distinguer le vrai du faux. Je m’écroule sur mon lit en répétant les trois derniers mots en boucle dans ma tête.

Pardon ma fille. Pardon ma fille. Pardon ma fille.

Mais putain ! Pourquoi ? Pourquoi maman !

Un cri de terreur et de haine explose dans toute la maison. J’aurais aimé vous dire que c’était le mien. Aucun autre bruit ne retentit. Silence absolu.

À ce moment, j’entends presque mon cœur battre la chamade, tels des clous plantés au marteau sur une planche de bois.

Boum. Boum. Boum.

La vitesse est vertigineuse. Mon regard ahuri balai l’extérieur et constate que le pommier est toujours malmené par le temps. Le climat souhaite sa perte. Un second hurlement, plus aiguë que le précédent, m’hérisse les poils des bras.

Tout comme la personne qui se trouve dans la maison réclame celle de ma mère.

Je n’ai plus aucun doute. Elle est en danger de mort. Quelqu’un lui veut du mal. Mais qui ?

Je perçois des sons étouffés. Des supplications. Un rire d’homme. Démoniaque. Une voix grave emportée par le temps. Poursuivie par la mort. Un esclave de Satan.

J’ai l’impression que, s’il m’attrape, mes os se transformeront en pâte à modeler. En sa présence, mieux vaut coopérer. De là où je me trouve, les seuls échos qui me parviennent me prouvent que la folie a déjà rongée une bonne partie de son esprit.

Les larmes roulent le long de mon visage. Je suis impuissante. Ma mère est en bas, maltraitée par un individu dont j’ignore tout. Frapper contre la porte ne fera qu’empirer les choses.

Soudain, les précédents messages se confondent avec les souvenirs de ces derniers jours et la révélation que je viens d’apprendre. Ma mère est mon agresseur. Celui qui m’a enfermée pendant tout ce temps. Celle qui me connaît par cœur.

Aujourd’hui, elle me livre une clé, permettant d’ouvrir une serrure. Sans doute celle de la porte de ma chambre.

Avant de réaliser que ma propre mère est responsable de ma séquestration, les images des deux précédents messages s’affichent dans ma tête.

Pardonne-moi et Reste ici, je t’en prie. C’est pour ta sécurité.

Un flash me saisit en même temps qu’un troisième gémissement terrifiant.

Elle voulait me protéger de quelqu’un ! Je mets ma main à couper qu’il s’agit de la personne juste en dessous de mes pieds. Mais, qui est-elle ?

D’apparence, une idée émerge. Je la refoule. Elle est plausible, mais je refuse d’y croire. Tout concorde pourtant. Tous les éléments que j’ai pu embarquer au cours de mes recherches et réflexions diverses.

Pas de conclusions hâtives Alice.

Un gigantesque tremblement me fait sursauter. Un meuble qui est projeté dans le salon. La rage de l’homme qui s’expulse de son corps.

Maman !

Je dois la sauver et cesser de réfléchir. Ce ne peut être qu’elle. Mais que faire ! Si je sors, il m’attrape et nous mourrons toutes les deux. Si je ne fais rien, elle mourra. Je suis piégée, pour la énième fois. La peur me détruit de l’intérieur.

À cette ultime pensée s’ensuit un gros pincement au cœur. Des larmes ruissellent, mais un objet pointu transperce ma poitrine. En tous cas, c’est la sensation que j’aie. Je m’allonge instinctivement sur le sol, près de la porte, sans faire de bruit.

Mes battements s’accélèrent. Une bouffée de chaleur vient noyer le peu de quiétude que je préserve. L’oxygène se raréfie autour de moi. Mes yeux se brouillent. Des vertiges jouent avec mes cinq sens. La claustrophobie est de retour.

Je reconnais le grincement des escaliers en acajou lorsqu’on pose le pied dessus. Un son sourd et long agresse mes oreilles. Il ressemble au bruit que fait ma valise quand je la traîne sur les marches, sans les frictions des roulettes.

C’est précisément à cet instant que le silence reprend possession du trône. Un instant qui ne dure pas plus de dix secondes. Ma mère et son agresseur doivent se tenir à seulement quatre ou cinq mètres de ma chambre. Je comprends, malgré mon état lamentable, une partie de la discussion.

— Tony, arrête ! Non !

— Je vais te faire souffrir maman. Tu vas rattraper les quinze bonnes années de douleur que j’ai endurées !

Le choc. Mon corps se relâche. Mes symptômes s’aggravent et me font encore plus mal. Je me sens partir.

Des coups répétés surviennent sans que je puisse les discerner clairement. Je suis inefficace.

Tandis que je perçois, impuissante, les sévices que subit ma mère, je ne peux que me détester. C’est moi qui ai voulu retrouver le frère que je n’ai jamais connu. Le ciel a exaucé ma prière. Répondu à mes questions.

Maintenant, je l’entends prendre du plaisir à la frapper. Les aboiements surviennent au moment où des déchirements se répandent. Des claquements successifs martèlent le sol et, j’en suis convaincue, le corps meurtri de sa victime.

Avant de m’évanouir et d’échapper à toutes ces atrocités, j’entends un couteau râper le mur, puis s’entrechoquer avec un autre objet métallique, comme un boucher aiguisant ses outils. Tony ajoute d’une voix grave et monotone :

— J’ai changé d’avis. Finalement, je vais commencer par la jambe droite.

Mon corps ne répond plus et mes membres cessent de bouger. Des beuglements surgissent, mêlés à des bruits de dissections et de déchirements.

Ensuite, le noir m’emporte.

Je suis désolée. Pour tout. Pardon maman.

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