Gégé

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« Voilà ! Merci. Alors, je déclare ouverte la seizième séance de l’Assemblée des Cœurs à recoller ! »

Cette annonce fut chaleureusement accueillie par un tonnerre d’applaudissement. Etienne tira une chaise à lui et s’assit les sourcils froncés. Chaque fois, ça se déroulait à l’identique. Et pourtant, il était toujours aussi agacé par ces « abrutis au cerveau imbibé », jugeait-il. Beaucoup pourraient se demander alors ce qu’il faisait là. Si ces poivrots le mettaient hors de lui, pourquoi continuer-t-il à fréquenter leurs assemblées ? Tout d’abord par respect pour Langlois. Eh oui ! Malgré son humour et son goût immodéré pour tout ce qui s’approche de près ou de loin à l’alcool, ils étaient tous deux amis. La deuxième raison était qu’il avait terriblement besoin de ces réunions. Il ne voulait pas l’avouer mais y venir était très important pour lui.

« Les amis, les amis ! Tout d’abord, rappelons le but de ses séances ! dit Langlois avant de prendre une pose et une voix solennelle. Vous avez des soucis de cœur ? La gent féminine vous a déçu ? Vous vous sentez seuls ? Vous vous sentez plus proche de votre chien que des hommes ? Alors, l’Assemblée des Cœurs à Recoller est faite pour vous ! Ici, extériorisez vos malheurs et ressortez fier, prêt à renouer avec l’amour !

- Et surtout, on a du bon vin, gloussa l’homme à terre.

- Oui, aussi, mais là n’est pas le sujet ! On va commencer par un tour de table… Euh, faute de table, de fauteuil ? Enfin, bref, on va chacun exprimer notre peine et ce que l’on aimerait retrouver ! Ok ? Je vous rappelle que l’Assemblée est là pour vous aider, pas pour vous juger !

- Et pour vous donner du bon vin !

- Hem… Gégé, tu commences ?

- Qui, moi ?

- Non, le pape !

- Ah bon, bon…

- Mais oui, toi, triple-buse !

- Ah ! Tu pouvais le dire plus tôt, enfin ! »

Langlois soupira bruyamment, expulsant une nauséabonde haleine avinée. Il essuya son front couvert de sueur et agita la main, l’air de dire « Bref, passons ! ». Il jeta un regard insistant à Gégé qui comprit qu’il n’avait pas à discuter.

« Oui, oui, j’arrive. Alors voilà. Moi c’est Géronce, Gégé pour les intimes. J’avais à moi la belle Tartante, Rosélia. Je l’appelais comme ça parce qu’elle te tartait dès que tu n’allais pas dans son sens. Je me rappelle une fois, té, c’était un soir d’été. Ou d’hiver, j’sais plus… À moins que ce ne soit en…

- Viens en au fait, veux-tu. L’Assemblée est là pour vous aider, par pour écouter la vie inintére… Euh, bref, la vie des autres !

- Et pour vous donner du bon vin !

- Ta gueule, JP !

- Oui, alors… Ben je sais plus, moi !

- Rosélia !

- Ah oui, oui… Donc elle nous frappait…

- Pas ça, imbécile ! Ce qui s’est passé !

- Ca va, pas besoin d’être si agressif, enfin ! Donc elle m’appelait Gégé, comme tout le monde. On s’aimait, té, on était deux beaux tourtereaux ! On allait se marier. Je me souviens encore de sa magnifique robe ! Donc tout va bien, voyez, on allait devoir jurer sur le petit Jésus et tout le tralala. Le prêtre me demande si je la veux comme épouse. Pardi, j’dis oui ! Et vient son tour. Il lui demande si elle accepte de prendre Géronce Bongarçon comme époux. Et là… Elle éclate de rire, comme ça, paf ! Elle hurle de rire. Quand je la questionne, elle me dit… Je vais vous le dire mot pour mot, té ! « Tu t’appelles Géronce ? Et par Gérard ? C’est la meilleure ! ». Elle a tellement ri que le mariage a été annulé. Et je n’ai plus voulu la voir… C’est fâcheux, non ? »

Tout le monde se mit à rire aux larmes, y compris Etienne. Gégé les regarda avec un air profondément contrarié. Il devint tout rouge et ses sourcils se rejoignirent. Il se dressa de toute sa petite taille et, gesticulant, vociféra :

« Mais enfin ! Je vous y prends ! Qu’est-ce qu’il y a de drôle ? C’est dramatique !

- Exactement, Gégé, exactement, rit Langlois, peinant à recouvrer son souffle. Et qu’est ce que tu aimerais ?

- Changer de prénom et retrouver Rosélia !

- Mais pourquoi l’avais-tu évitée ?

- Ben comme je ne voulais pas avouer que mon prénom était cocasse, elle me frappait tout le temps… »

Cette annonce fit repartir de plus belle tous les rires. Langlois se tenait les côtes et Etienne tentait de dissimuler son visage. Gégé était furibond.

« Mais fermez là ! Vous parlez d’une assemblée pour recoller les cœurs…

- Ah ah, oui, pardon, Gé… Ronce ! » lança-t-il avant de rire encore plus fort.

Gégé eut alors l’attitude d’un enfant et, croisant les bras et rentrant la tête dans ses épaules, s’éloigna avec une bouteille de blanc maugréer dans un coin. Cette attitude ne fit qu’attiser l’hilarité générale. Etienne soupira. Il n’était pas tombé dans le bon endroit, en effet. Plutôt que les recoller, ils éparpillaient les morceaux plus loin. Malgré tout, il ne voulait pas partir. C’était devenu une habitude, bien que ce fut la première fois qu’ils aillent tous chez Langlois. Il retint un sourire, car, bien qu’il trouvât pitoyable le pauvre Gégé et qu’il ne désirait pas l’affliger plus que de raison, son histoire demeurait très comique. Quelle idée d’appeler son fils Géronce ?

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