Louise

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Tous, alimentés par l’alcool et par leur légère bêtise, continuèrent à s’esclaffer. Nul doute que si un passant eut entendu les cris depuis la rue, il les aurait pris pour des cochons dans un abattoir. Parmi cette débauche de sueur, de vin et de rires, seul Etienne gardait sa dignité. C’était à peine s’il pouffait. Il tenait sa valise serrée contre lui, comme si elle contenait un trésor inestimable et qu’il soupçonnait Langlois de la convoiter. Bientôt, les éclats se calmèrent, ravivés tout de même de temps à autre par une soudaine vision du mariage. Enfin Langlois put continuer le tour. Il se tourna vers une imposante femme au visage aussi rond d’une orange. Elle partageait également avec ce fruit une étrange teinte orangée.

« Et toi Louise? Raconte donc ton histoire !

- Alors, moi…. Eh bien, c’est plus simple. J’aimais un homme. Un beau Black baraqué et classe, bref, le rêve. Un jour, on a flirté et puis on s’est mis ensemble. Le paradis ! On sortait ensemble régulièrement, on se voyait souvent, c’est torride ! Une fois, au lit, je…

- Louise ! Ça va, les détails !

- Ok, ok ! Bon. Je tombe enceinte. Paf, comme ça. Il ne le savait pas. Je ne voulais pas non plus lui dire. Du coup, j’ai décidé de forcer les choses. Un mariage, ça vous donne des liens éternels…

- Et du bon vin, hips !

- Il était pas trop pour. Mais j’ai réussi à le forcer. Vous savez, les hommes… Je l’ai emmené sur le canapé et j’ai…

- Louise…

- Donc on se marie ! Tout va bien. Le fanatique des anges à poil nous demande si on veut se marier. Moi pas tellement, j’aurais préféré me packer ou je sais pas quoi. Mais bon, les bagues c’est joli, alors que le pack c’est du papier… Bon alors ! On est marié, youpi, tout le monde est heureux. Le repas, par contre… Mémorable ! Alcool à souhait, c’était incroyable ! Combien de verres j’ai bus ? J’ai arrêté de compter après vingt…

- Louise ! C’est super les détails, mais viens-en fait, s’il te plaît !

- Oui, ça va hein ! On rentre de la soirée. J’étais pompette, mais je tiens très bien l’alcool, donc j’étais encore lucide. Lui en revanche, il était éclaté, ajouta-t-elle en détachant chaque syllabe. J’en ai profité pour lui annoncer que j’étais enceinte. Vous auriez vu sa tête, j’aurais pu lui dire n’importe quoi qu’il aurait avalé comme un cookie. J’ai glissé quelques allusions pour tâter le terrain, il a approuvé sans réfléchir. Il hochait la tête en disant « oui, chérie, oui ». C’était excellent !

- Ce n’était pas forcément une bonne idée, intervint Etienne froidement, les yeux inquisiteurs. Cela revient à fuir lâchement la réaction de votre mari. Et ce n’était même pas sûr qu’il s’en souvienne le lendemain.

- Oui, oui, je sais, je sais. Mais écoutez la suite, monsieur le frigidaire.

- Le quoi ?

- Le frigidaire. Vous êtes glacial, ça me donne la chair de poule. Je préfère les mecs bouillants, comme un four, ou une théière. Ou une casserole ! Ou…

- Ca va, j’ai compris ! fit Dastous, blessé dans son ego.

- Eh ben là, figurez-vous qu’il a fait une tête incroyable. Il s’est dressé comme un ressort, a écarquillé les yeux et ouvrait et fermait la bouche sans cesse. On aurait dit un poisson ! Il a oublié tout l’alcool d’un coup. Il m’a fixé puis est parti se coucher sans un mot. Je suis resté là, sans rien piger. Le lendemain, il était parti avec sa voiture et ses affaires. Il m’a juste laissé un mot me disant qu’ils m’enverraient la pension alimentaire et qu’il s’occupait de la paperasse. J’étais… paumée… »

Cette fois-ci, personne ne rit. Un silence offusqué et atterré s’installa. Etienne seul trouvait que c’était bien mérité. JP but une grosse goulée de vin et rota bruyamment. Ceci ramena efficacement l’assemblée à la réalité. Personne ne sembla remarquer l’odeur nauséabonde. Langlois s’essuya le front d’un air gêné. Il est évident qu’il cherche ses mots.

« Et… Tu voudrais récupérer ton homme, c’est ça ?

- Hein ? Quoi ? Non, pas du tout ! se récria Louise avant de soupirer bruyamment avec un air imbu d’elle-même. Pour qui me prenez-vous ? Les hommes, j’en ai plein à mes pieds. Tenez, par exemple, un qui s’appelait… Tom ? Ou Sam ? À moins que ce ne soit Jacques… Ou Marcel…. Oui oui, j’abrège ! Eh ben, ce Jean-Luc, là, une fois, ouf, je m’en souviens très bien, eh ben il m’a…

- Louise !

- Donc non, lui, j’m’en fiche. C’est la bague que je veux ! ‘Tain, elle m’a coûtée une blinde ! Avec sa monture en or et tout, là… Je la lui donne, et il se barre avec...»

Le silence fut cette fois encore plus désolé que le précédent. Mais ce n’était non pas l’histoire de Louise qui le plombait, mais Louise en elle-même. Comment pouvait-on être aussi inconsciente et égoïste ? Cela valait aussi pour l’homme, quelle ordure, celui-là. Mais dans ces pensées pleines de reproches se glissait tout de même une pointe de jalousie. Eux aussi aimeraient oublier leurs états d’âme pour s’adonner à leur frivolité – et ainsi, à une certaine forme de liberté absolu – de la même façon qu’à la boisson. Louise à la tête d’agrume était tout aussi emprisonnée que libre. Une question planait tout de même encore.

« Et l’enfant ? dit Langlois qui semblait craindre le pire, non sans raisons.

- Ah lui. Ben c’est un petit bout de chou, je m’occupe très bien de lui.

- Ah, vraiment ? demanda Etienne, suspicieux.

- Ah bah oui ! La preuve, il ne crie même plus quand je ramène des mecs au lit !

- Ah… fit-il, douché.

- J’ai la solution miracle ! Il adore la télé, vous ne savez pas combien. Il arrive même à zapper tout seul, à neuf mois, rendez-vous compte ! Roh le p’tit coquin, une fois je l’ai vu sur BFM. Il fixait l’écran avec une telle attention… Je vous dis, il est intelligent, ce môme ! Alors moi, je veux pas le déranger, hein, je le laisse toute la journée devant, il s’amuse bien. Tenez, il doit être devant Gulli, là.

- Ah… répéta-t-il, médusé. Mais il ne mange pas ?

- Si si ! Biberon lait-coca, ça tient au corps, ça. Et ça aide pour le rototo. J’ai tenté le whisky coca, mais il était bizarre après, plus excité que les mecs quand j’enlève le haut. »

Etienne n’avait même plus la force de faire une remarque cinglante. Il était bouche bée. Langlois se curait l’oreille avec véhémence. Il roulait des yeux sans comprendre. Même Gégé avait cessé de bouder pour afficher une tête stupéfaite. JP avait lâché sa bouteille de stupeur. Tous prenaient maintenant conséquence de l’incompétence complète de la mère. Il n’était plus libre, mais libertine. Elle n’était plus inconsciente, mais incapable de penser pour autrui. Elle était passée d’un frivole petit ange heureux à un parent dangereux. Malheureusement, le rôle de l’Assemblée était de l’aider à retrouver la bague, ou à l’oublier, mais pas de jouer les services sociaux.

« Bon… Merci Louise, on verra ce que l’on peut faire…

- De rien, dit-elle, convaincue du bien-fondé de son mode vie. Mais bon, tu me dis ça depuis trois semaines, hein, depuis que j’ai rejoint, et ma bague, ben je l’ai toujours pas reven… Euh, récupérée.

- On fait ce que l’on peut ! Alors ! À toi, Vera ?

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