Chapitre 2.1

5 minutes de lecture

Regeropaïk volait plein ouest, quittant la ville qui soufflait des volutes de fumées blanches. Entre le train et les diverses machines à vapeur qui faisaient tourner les usines, Revel se targuait de pouvoir fabriquer des nuages. Mais l’arrivée du charbon dans la vie des revelais, apportaient de la noirceur dans ces fumées claires. Pour le dragon, cette source d’énergie soi-disant miraculeuse et extraordinaire n’apportait rien de bon. Ces crachats grisâtres ne pouvaient être qu’un mauvais signe. Son père lui avait raconté de nombreuses histoires et à chaque fois, la pierre noire entraînait des catastrophes. D’ailleurs c’était souvent un dragon aux écailles sombres qui cherchait à s’approprier son pouvoir, ceux qui sont connus pour cracher des flammes aussi obscures qu’une nuit sans étoile. Cela faisait beaucoup de coïncidences.

  • Je n’aime vraiment pas ça. En plus ça pue, dit-il en faisant part de sa crainte à sa partenaire.

Adrianne se tenait sur son dos, équipée d’un manteau épais, de gants et de lunettes qui lui couvraient une bonne partie de son visage. S’il faisait pourtant doux au sol, malgré l’automne, c’était une autre histoire dans les airs. Le vent apportait du froid qui pouvait glacer jusqu’aux os. La peau des humains n’était, hélas, pas assez épaisse, contrairement au cuir des dragons qui pouvait résister à toute épreuve. Se couvrir était alors, une obligation pour ne pas souffrir d’hypothermie.

  • T’aurais pas plutôt peur de perdre de ton boulot ? lui répondit-elle, un sourire taquin aux lèvres.

Elle entendit son ami grogner. Elle savait que sa remarque le ferait réagir, car au fond, c’était la vérité. Mais le dragon fit preuve de mauvaise foi :

  • Ah, bien sûr que non ! Ils ont trop besoin de nous ! Quand ils verront qu’ils sont en train de suivre la mauvaise voie, ils reviendront vers nous en pleurant ces bougres ! J’attend avec impatience ce moment où ils vont nous présenter leurs excuses pour avoir mis nos confrères au placard.

Il repensa au moment où, faute de demande, de nombreux Grimpe-Tour et Gratte-Pierre furent contraints de trouver un autre travail. Avec l’arrivée du charbon, la demande en Piezorath, qui était la principale source d’énergie du pays, a diminué drastiquement. Moins dangereux à aller récupérer, plus abondant et par conséquent, moins coûteux, le gouvernement et les industriels ont vite fait le choix de se tourner vers cette nouvelle pierre qui peut brûler pendant des heures. Adrianne et Regeropaïk faisaient office de résistants, avec quatre autres binômes. Ils étaient une cinquantaine de couples il n’y a même pas deux ans.

S’ils continuaient d’aller récupérer des Piezorath, ils en ramenaient beaucoup moins. Désormais, leurs clients attendaient plutôt des pierres précieuses ou des métaux rares. Des éléments précieux et coûteux pour les acheteurs, car ils étaient difficiles à récupérer.

Adrianne comprenait la peur de Roger. Elle n’aurait pas de difficulté à trouver du travail, les mines recrutaient sans cesse. Mais pour un dragon, c’était plus compliqué. Si, auparavant, le transport de marchandises et de courriers étaient impensables sans eux, ces métiers pourraient bien disparaître avec le développement de nouveaux moyens de transports égalant leur vitesse et leur force. Bien sûr, n’importe qui peut faire professeur, érudit, ingénieur ou encore artiste. Mais Roger aimait le travail manuel, comme il le dit si bien :

  • Je suis bon qu’avec mes pattes ! Ma tête, elle sert juste à casser les portes des tours !

Beaucoup de dragons rejoignaient l’armée, seule niche où les humains ne pouvaient pas rivaliser, même avec leur technologie. Mais en temps de paix, ce n’était pas le travail le plus excitant qui puisse exister. Roger était un dragon d’action.

  • Tu pourrais faire antiquaire. Tu as déjà la marchandise.
  • Ah ah, très drôle jeune fille. Je ne vendrai rien, même si je sais que ça te ferait plaisir.

Elle avait souvent pensé au prix que pouvait coûter les objets en vracs dans la maison. Il lui était arrivé de penser à en voler un pour arrondir ses fins de mois, mais jamais elle n’oserait le faire. Aussi bordélique soit-il, Roger connaissait très bien son inventaire. La moindre pièce manquante serait tout de suite remarquée. Adrianne était aussi une mauvaise menteuse et aurait bien du mal à cacher son crime face à son collègue. Surtout son collègue. Si elle pouvait être prête à tout pour ne plus être fauchée, elle connaissait les limites à ne pas dépasser. Rendre fou de rage Roger était l’une d’entre elle.

  • On y est.

En face d’eux, se dressait une tour toute en longueur, faite de pierres grises aux formes arrondies. La science n’a jamais su expliquer comment un édifice de cette hauteur pouvait tenir sur une base aussi étroite, avec un assemblage aussi tordu. La tour était si haute que les nuages masquaient son toit. Si leur hauteur était impressionnante, elle restait néanmoins mesurable. C’était la partie sous le sol qui était la plus étonnante. C’était un puit qui s’enfonçait à des kilomètres dans la terre, si bien que personne n’avait jamais pu en voir le fond. Ces étranges bâtiments, dont l’époque de la construction reste inconnue, étaient dispersés partout sur le continent. Une vingtaine d’entre eux étaient exploités, mais il y en a bien plus qui ont été découverts et certainement d’autres qui n’ont pas encore été localisés.

Le dragon fit le tour de l’édifice, à la recherche d’une entrée.

  • Les Orézs sont plutôt vers le sommet de la tour. On devrait normalement rester en haut.

Il trouva finalement une porte en bois déjà enfoncée et s’agrippa au rebord de celle-ci. Adrianne s’était fermement accrochée au harnais, pour ne pas subir le contrecoup de l’atourissage. Ils étaient à des centaines de mètres au-dessus de la terre et le moindre faux-pas pouvait la faire tomber. Regeropaïk se hissa ensuite et passa l’encadrement de la porte. Toutes les entrées des tours étaient suffisamment grandes pour qu’un dragon puisse y rentrer.

  • On n’est pas les premiers à être passés par là. J’espère qu’il va en rester, remarqua Adrianne.

Ils avaient fait le pari de venir ici en sachant qu’ils n’avaient pas encore exploré ce recoin de la tour, ayant plus l’habitude de rester plus proche du sol, zone où les Piezorath pouvaient être trouvées plus facilement.

  • Ne t’inquiète pas, on arrive toujours à en trouver derrière les autres. Accroche-toi, je vais basculer, la prévient-il.

Malgré la simple épaisseur du mur comme plateforme de fortune, et la largeur de la porte, le dragon réussit à se retourner. Il laissa pendre ses pattes arrière dans le vide et glissa dans la tour, s’agrippant aux pierres pour ne pas tomber. Les dragons étaient équipés naturellement d’atouts pour l’escalade : la peau sous leurs pattes permettait de facilement s’accrocher à n’importe quelle surface et leurs griffes solides pouvaient s’insérer dans les interstices sans aucun mal. Les humains devaient user d’artifices pour arriver au même résultat, même s’ils étaient bien plus petits et légers.

Adrianne jeta un coup d’œil vers le bas. Elle ne voyait que les murs de la tour qui s’effaçaient dans l’obscurité que la lumière du jour, qui passait par les portes ouvertes, n’arrivait pas à éclairer. Au-dessus d’eux, le sommet de la tour était encore bien loin, mais elle pouvait apercevoir le toit. De couleur or, elle n’en n’avait jamais vu un seul qui était terni par le temps. Contrairement au fond du puit, les rayons du soleil se reflétaient sur lui, révélant son éclat. Le haut de la tour était alors très lumineux, même si les ouvertures n’étaient pas plus nombreuses.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Rayeuse ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0