Chapitre 1

7 minutes de lecture

Fiouh ! Fiouh ! Fiouuuuh !

Le sifflement du train délestant sa vapeur, prévenant les passagers de son arrivée en gare, réveilla Adrianne qui ouvrit lentement les yeux, faisant face à la lumière du jour qui filtrait à travers les rideaux de sa chambre. Elle grogna en se redressant péniblement sur son lit et se frotta les yeux dont les paupières ne s’ouvraient pas complètement. Il était 6 h 30, soit l’heure du premier train qui partait pour les mines. Son signalement n’était jamais accompagné seul. Des bruits de pas précipités provenant des escaliers de son immeuble, indiquaient que des ouvriers étaient en retard. Heureusement pour eux, la gare était juste de l’autre côté de la rue.

C’était avec tout ce vacarme que la jeune femme était extirpée violemment de son sommeil tous les jours. Elle n’avait jamais besoin de réveil : elle était toujours levée avant qu’il sonne. De toute façon, il était cassé. Adrianne se leva et s’étira. Elle était encore bien engourdie. Elle n’était pas spécialement du matin, mais jamais elle ne s’habituera à toute cette agitation. Quelle idée lui a traversé l’esprit d’habiter ici ? La raison lui a imposé ce choix : son porte-monnaie ne lui permettait pas de louer dans un autre quartier, plus tranquille et aussi plus prisé.

Elle prit la direction de sa salle de bain - ou plutôt salle d’eau au vu de la taille de la pièce – et regarda son reflet qui apparaissait dans le miroir. Ses longs et épais cheveux bruns étaient en pagaille, encadrant comme ils le pouvaient son visage à la peau pâle. Elle n’était pas encore bien réveillée et ses yeux laiteux étaient perdus dans le vide. Des cernes sombres marquaient son regard absent. Elle allait encore galérer à démêler le tas de nœuds qui lui servait de chevelure. Elle ferait bien d’aller chez le coiffeur pour les couper, un jour peut-être. C’était ce qu’elle se disait tous les matins, sans jamais faire quoique ce soit.

Après avoir mis de l’ordre sur sa tête avec une tresse, elle se dirigea vers son placard, pour troquer sa chemise de nuit contre une tenue plus conventionnelle. Sa garde-robe n’était pas extravagante : des chemises blanches, des pantalons et des vestes en cuir marron ou noirs et quelques vêtements en tissus, plus légers mais tout aussi peu colorés. Adrianne était plutôt simple dans ses choix vestimentaires et préférait toujours porter ce qui est pratique et solide. Elle n’a jamais eu le courage de se laisser tenter par des robes colorées, ni même un simple foulard fleuri. Pourtant, ce genre de vêtement ne lui déplaisait pas.

Elle fit un rapide passage dans la cuisine pour prendre un petit-déjeuner minimaliste : trois tranches de pain et un verre de lait. Un repas fade pour une personne au dynamisme encore inexistant. Elle termina de se préparer et enfila ses bottes noires ainsi qu’un long manteau lui arrivant au niveau des genoux. Il était 7 h 15, comme le signalait l’arrivée d’un autre train en gare, amenant la deuxième tournée de Charbonniers. Contrairement aux ouvriers qui dévalaient encore les escaliers, Adrianne n’était pas en retard.

Elle ne travaillait pas dans les mines de charbon comme la majorité des habitants de son quartier. Elle faisait aussi partie de la classe ouvrière, mais elle ne faisait pas le même métier. Elle prit la direction opposée de la gare, allant en contre-sens d’une foule pressée par les sifflements du train. Dans le ciel, l’agitation était moindre, même si de temps à autre, une ombre immense masquait le soleil matinal.

Le quartier de la gare avait été construit rapidement pour répondre à un besoin important et immédiat. Suite à la découverte du charbon comme source d’énergie, il y a de cela trois ans, une importante main d’œuvre était nécessaire pour l’exploitation des mines. Celles-ci étaient éloignées de la ville et une ligne de chemin de fer a été construite afin d’y amener les ouvriers, entraînant l’urbanisation rapide autour de la gare. Le bois et la brique ont été choisis comme matériaux privilégiés pour les immeubles, donnant un quartier aux couleurs fauves qui détonnaient avec le reste de la ville plus ancien, où les bâtisses étaient faites de pierres massives et grises. Autre fait surprenant : ici, il n’y a aucune habitation pour les dragons.

Revel était la capitale du pays du même nom, où humains et dragons vivaient en parfaite cohabitation. Si le quartier neuf n’en était pas un exemple, c’était parce que ces derniers n’avaient pas besoin de train pour rejoindre les mines. A tire d’aile, ils pouvaient y être aussi rapidement. Ils étaient aussi moins sollicités pour les travaux de Charbonniers, n’étant pas suffisamment adaptés pour aller dans les galeries. Les humains ne dépassaient pas les deux mètres, mais un dragon de cette taille était considéré comme petit parmi ses congénères. La plupart faisait dans les trois mètres au garrot, certains plus, sans compter leur envergure quand ils déployaient leurs ailes. Ils étaient tous quadripèdes, mais ils pouvaient très bien se tenir sur leurs pattes arrière, les rendant plus grand qu’ils ne l’étaient déjà. Il existait aussi tous les types de silhouette et toutes les couleurs chez eux. Comparés aux humains, aucun d’entre eux ne se ressemblait et il était très facile de les différencier. Ils n’avaient pas besoin de s’habiller pour rendre leur apparence unique, ni même par pudeur. Leur peau d’écailles les couvrait suffisamment. Cela ne les empêchait pas de porter des accessoires : beaucoup d’entre eux faisaient attention à leur apparence.

Avec leur taille, les dragons ne pouvaient pas s’entasser dans des immeubles, des « boîtes » comme ils aimaient bien les appeler. Ils avaient donc de grandes maisons adaptées, souvent aménagées comme des lofts. Leurs habitations étaient disposées dans toute la vieille ville, aux côtés de celles des humains, donnant un aspect complètement désordonné à la capitale. C’était ce qui faisait son charme. Les nouveaux plans d’urbanisation perdaient cet aspect-là, par soucis de simplicité pour les constructeurs. Il était toujours plus facile de reproduire la même chose plusieurs fois, que de fabriquer quelque chose d’unique.

Adrianne quitta le quartier rouge pour aller frapper à la première maison grise. La porte faisait plus du double de sa taille, mais elle n’eut aucun mal à la pousser quand une voix grave lui donna l’autorisation d’entrer.

Regeropaïk, alias Roger, était un dragon de taille moyenne aux écailles vert émeraude usées par le temps, sans artifice pour les cacher, et à la corpulence respectable. Court sur pattes, il ressemblait plutôt à un gros lézard qu’à un majestueux dragon longiligne comme on en voyait sur les publicités des journaux. Pourtant, son agilité n’était plus à démontrer et sa souplesse pouvait en faire jalouser plus d’uns. A commencer par Adrianne qui, bien que petite et menue, était toujours étonnée des prouesses de son collègue.

  • Comment tu fais pour supporter ça ?

Roger ne commença même pas par dire bonjour. La jeune femme n’est pas surprise : depuis l’arrivée du train, il était de mauvais poil le matin. C’était pire qu’elle.

  • Je ne peux pas, répondit-elle sur un ton tout aussi aimable.

Ils faisaient une belle paire tous les deux. Aucun d’entre eux ne pouvait supporter les sifflements assourdissants du train. Même le dragon, qui habitait pourtant à la bordure du quartier, l’entendait. Il ne voulait même pas imaginer le bruit que l’humaine subissait depuis sa « boîte » juste au-dessus des quais.

  • Quand je pense qu’il n’y avait rien de tout ça il n’y a même pas trois ans… Maudit train, j’étais là avant lui ! grommela-t-il.

C’était le même discours qu’il répétait sans cesse tous les matins. Des années étaient passées depuis le développement soudain du voisinage, mais il ne s’y faisait toujours pas. Lui qui avait l’habitude d’avoir des plaines dégagées juste à côté de chez lui, l’entassement d’immeubles cachait à présent le beau paysage qu’il avait l’habitude de voir. Adrianne lui avait demandé s’il comptait déménager, rejoindre les hauteurs de la ville par exemple. Il lui avait répondu :

  • Tu rigoles j’espère ? Jamais je n’abandonnerai cet endroit ! Mon arrière-arrière-arrière-grand-père l’a construit avec ses propres pattes, il n’est pas question que je bafouille sa mémoire !

Il tenait beaucoup trop à ces vieilles pierres. Construite quasiment dans les premières heures de Revel, cette maison contenait de nombreux souvenirs. Beaucoup de bibelots se trouvaient par-ci et là, signe que Roger détestait jeter ses affaires, même si elles ne lui servaient plus. Avec un peu de rangement, il pourrait très bien en faire un musée.

  • Bon, aller, prends tes affaires, ce n’est pas en râlant qu’on va aller bosser, lança-t-il à sa partenaire en indiquant une malle.

Comme l’appartement d’Adrianne était trop petit, ils avaient convenu qu’ils stockeraient leur matériel dans la maison du dragon. Elle ouvrit le coffre pour y trouver tout le nécessaire d’escalade : piquets de fer, des pioches de toutes tailles, des sacs pour récupérer les pierres, un ensemble d’analyse rudimentaire de roches… Leur attirail comprenait bon nombre d’ustensiles, mais aussi équipements de sécurité volumineux. Car le risque le plus important dans leur travail était la chute… Mortelle.

Il était Grimpe-Tour. Elle était Gratte-Pierre. Ensemble, ils parcouraient les terres de Revel à escalader les multiples tours de pierre qui étaient si hautes qu’elles chatouillaient le ciel, et s’enfonçaient si profondément dans la terre qu’il n’en était pas possible d’en voir la fin.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Rayeuse ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0