Une réalité

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Les mois défilent, je suis assez fière de mon travail avec mes petits gars. On a réussi à installer un climat de confiance. Un jour, un d’eux n’est pas venu aux cours. J’ai demandé s’il était malade, ils m’ont regardé d’un air effaré.
- Quoi vous n’êtes pas au courant ? Il s’est fait choper avec du cannabis lors d’une visite.
- Et ?
- Il a reconnu ce que c’était et s’est fait tabasser par un type de la sécurité. Un nouveau qui voulait faire du zèle en appliquant le règlement à la lettre. Et devant le chef de service, n’a pas reconnu avoir donné le premier coup.
- Et ?
- Ben ils l’ont mis au placard pour 3 jours !
- Mais qu’est-ce que ça veut dire être mis au placard ? On lui a interdit d’assister au cours ?
- Non m’dame, c’est pas çà, il est en isolement.
- Pourrais-tu être plus précis ?
Un autre a pris la parole.
- Il est au cachot, quoi, au mitard !

Je n’en croyais pas mes oreilles. Je pris ma tête entre mes mains en serrant les dents. Après quelques instants, je sors de l’état de panique dans lequel cette nouvelle m’avait plongé.
- Vous n’étiez pas au courant ?
Mes petits élèves m’expliquent alors la vie du centre en dehors des heures de cours, la vie dans les chambres et les tournées des surveillants, le couvre-feu, les toilettes, les douches, les repas, les cris, les gémissements et les pleurs de la nuit. Je n’en revenais pas. Ils me parlent aussi de l’économie parallèle qui s’est imposée. Des services et des trocs entre eux, mais aussi de celui entre eux et les surveillants. J’allais d’horreur en horreur.
- Vous croyez que vous êtes ou m’dame, au parc Astérix, ou au Hilton ?
Ils se sont tous mis à rigoler. Moi pas.

On ne travaille pas beaucoup ce jour-là et les jours suivants non plus d’ailleurs. Ils me racontent leurs petites histoires, sujet qu’on n’avait pas abordé. Pourquoi et comment sont-ils arrivés ici ? Combien de temps devront-ils y rester ? Ceux qui iront directement en prison quand ils seront majeurs. Les procès en cours, leurs contacts avec les avocats.

La nuit suivante, je n’ai pas trouvé le sommeil. J’ai prévu que je serai absente et que j’allais aller consulter mon médecin. Mais quelle idiote, comment ai-je pu fermer les yeux à ce point ? J’en ai l’estomac et les intestins tout noués. Mon médecin remarque que suis crispée, prescrit un relaxant et quelques jours de repos. Quelle perspicacité, wouah ! Ça vaut bien la peine de faire 5 années de médecine. Il a essayé de me questionner un peu, sur les situations stressantes que je pourrais être en train de vivre… Cinq ans je vous dit. Pour au final me conseiller d’aller voir un psy. Qu’ils aillent se faire foutre. Moi ce que je venais chercher, c’est ce putain de certificat médical pour justifier mon absence et traîner dans mon lit. J’en profite pour appeler mes amis et leur demander leurs avis à propos de mon boulot. Mes chers amis et leurs réponses toutes faites, remplies de clichés… pour certains je m’investis trop dans mon boulot, pour d’autres je n’ai rien à foutre là-bas. Aucun n’est choqué par ce que je raconte. Ils trouvent cela normal qu’ils soient punis, c’est la règle. Putain de règles. Les règles sont faites pour définir un cadre. Mais quand il n’apporte aucune solution, il faut ouvrir les yeux et se rendre compte que le cadre est trop lourd et demande à être adapté et pas juste repeint. Une remarque de l’un d’eux retient tout de même mon attention : on ne crache pas dans la soupe. Je ne l’ai pas comprise directement. Je l’avais prise personnellement. Mais en y réfléchissant et en changeant de point de vue, l’idée que le centre ne peut pas être efficace, c’est-à-dire remplir sa mission (à savoir : corriger, soigner, redresser) car ce n’est pas dans leur intérêt. Tout ce secteur vit grâce à ces jeunes désœuvrés. Plus de client, plus de boulot. Mais qu’est-ce que je fous encore dans cette galère ? Je n’arrive pas à penser à autre chose. Je me fatigue comme un cheval dans un manège pour enfants. Je tourne sans voir le bout du chemin. Pour sortir de mes pensées, je vais me rendre dans ce nouveau café qui a ouvert près de la sortie de l’autoroute. Il paraît que c’est sympa et que l’ambiance y est bonne. J’envoie quelques messages pour être accompagnée. Ils resteront sans réponse. J’y vais quand même.

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