Chapitre 5

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Interlude

J'aimerais pouvoir dire que je m'ennuie. Que ces heures qui se suivent et se ressemblent, qui n'ont ni n'auront de fin me paraissent interminables. Mais ce n'est pas le cas. Elles me semblent insuffisantes, trop courtes. Toujours trop courtes. Puisqu'elles sont ma roue et mon pilori, le seul moyen qu'il m'ait été donné d'expier ma faute, il m'en faudrait encore des milliers. Car mon crime est trop lourd pour que des heures, aussi nombreuses fussent-elles, suffisent.

Chapitre 5

A peine arrivée dans sa chambre, Hortense verrouilla la porte derrière elle. Elle se précipita sur la plus petite valise, qu'elle avait pris soin de glisser sous le lit à baldaquin, et l'ouvrit. Par chance, rien ne semblait cassé -pas même les fioles en verre.

Son poursuivant n'était pas humain.

Ou plutôt, il n'en était plus un. Elle avait bien évoqué l'hypothèse, mais s'était cru paranoïaque. La connaissance de certaines sciences - jugées occultes par ses pairs - la prédisposait à penser à ce genre de possibilités, mais Hortense s'évertuait à ne pas voir de la magie partout. Seulement, Clarence venait de confirmer son sentiment. Depuis son bain, elle s'était décidée à utiliser un rituel de vision pour percer le mystère. Elle ne pouvait désormais plus attendre. Si l'âme qui hantait cette demeure était malintentionnée, elle devait s'en prémunir au plus vite.

Elle attrapa l'énorme recueil que lui avait offert son père pour ses quinze ans. Les recettes étaient classées par thème. Elle se rendit au chapitre « Augmenter ses sens et ses capacités », puis tourna les pages : TéléVision (permet d'observer des événements ayant lieu ailleurs), SuperVision (donne de l'autorité), EuroVision (rend la voix un peu plus belle (mais pas beaucoup)... MétaVision. Eurêka ! C'était ce dont elle avait besoin. Elle survola l'avertissement, dont elle ne tiendrait évidemment pas compte - puis parcourut la liste des ingrédients. Elle les possédait tous, ce qui n'était pas étonnant : l'augmentation des capacités demandait surtout de puiser et de canaliser sa propre énergie. Une fois le rituel terminé, sans doute ses autres sens auraient-ils diminué. Tant pis, elle ferait simplement en sorte de ne pas finir sourde comme un pot.

Elle se saisit d'un mortier en porcelaine et d'un pilon miniature, d'huile essentielle de sauge, d'herbes coupées et de beurre issu du lait des chèvres de Beyrouth (il avait coûté ses dernières économies à son père, mais permettait d'augmenter la durée de l'effet des potions, ce qui était bien utile), puis se rendit à la salle de bain. Là, elle se figea.

Sur le miroir, écrit au savon gras, cinq mots : « Reste et tu le paieras. »

La colère l'envahit. Qu'avait-elle fait à cette âme pour qu'elle veuille à ce point la faire fuir ? Et avant elle, les autres fiancées de Clarence ? A moins que... le problème ne vienne justement de celui-ci ?

Elle inspira profondément et psalmodia trois fois :

- Armuratum theum protegum againsto tutti malo espiritu.

Puis elle déclara de la voix la plus calme possible :

- Si tu es là, écoute-moi. Je ne partirai pas car j'ai besoin d'argent, et pour cela, je dois épouser Clarence. Je vais faire en sorte de te voir, de t'entendre. Ainsi, tu pourras m'expliquer pourquoi tu ne souhaites pas ma présence ici.

Comme Hortense s'y attendait, elle ne reçut pas de réponse. Seul resta dans sa bouche le sentiment d'être la personne la plus vénale du comté. Seulement, désormais, l'esprit savait ce qu'elle comptait faire et pouvait tenter de l'en dissuader. La protection qu'elle avait invoqué ne durerait que quelques minutes. Il fallait s'atteler à la préparation de l'onguent.

Ce ne fut pas long et bientôt Hortense s'installa en tailleurs sur le tapis de la chambre. Elle alluma une bougie, entra en méditation et se concentra sur ses yeux et ses oreilles. Ces deux sens devaient croître en puisant dans les autres. Elle récita la formule indiquée dans le livre en appliquant le baume préparé sur ses yeux qui se mirent à chauffer.

Trois minutes. Elle devait tenir trois minutes.

Hortense se focalisa sur sa respiration pour tenter de juguler la douleur qui pulsait de ses paupières au fond de ses orbites. Déjà les larmes dévalaient ses joues, tentant vainement d'apaiser l'incendie qui envahissait ses globes oculaires.

Elle glissa ses mains sous ses cuisses afin d'éviter tout geste réflexe. Enlever l'onguent avant le temps impartit signerait l'échec de la procédure. La douleur augmentait, diffusait de plus en plus. Elle gémit. Ce n'était plus une légère brûlure, c'était un brasier.

Sa respiration devenait anarchique. Elle croisa les bras, enfonçant ses ongles dans ses épaules le plus fort possible. Stop.

On lui aurait arraché les yeux, cela aurait été un supplice plus doux.

Stop, stop, stop !

Elle se leva brusquement, paupières closes, tituba sur quelques mètres. Il lui fallait de l'eau. Qu'elle enlève ce mélange ou elle mourrait de douleur !

Mais où était la salle de bain ? Elle avança à l'aveugle, ahanant. Soudain, son pied heurta un objet. Elle manqua de trébucher, mais retrouva l'équilibre en sautant à cloche-pied.

Elle ne la sentit pas tout de suite, l'odeur de brûlé qui se répandait dans la pièce. L'esprit embrumé par le mal, Hortense mit un moment avant de comprendre.

Sa chambre prenait feu.

Paniquée, elle rouvrit les paupières. De petites flammes floues ondulaient devant ses yeux qui ne distinguaient plus que les formes. Elle agrippa le dessus de lit et le jeta sur l'incendie, puis, avec ses dernières forces sauta sur le foyer. Il lui sembla que le feu s'éteignait, mais elle n'eut pas le temps d'en être certaine que tout devint noir.

- Tu crois qu'elle est morte ?

Une voix de petit garçon.

- Mais non, elle respire ! chuchota une autre, tout de même inquiète.

- On devrait peut-être la gifler ?

Silence. Soupir.

- Une autre idée de génie à suggérer ?

Hortense avait l'impression qu'une massue lui avait fracassé le crâne. Les voix au-dessus d'elle résonnaient comme en écho. Elle peinait à remettre de l'ordre dans ses pensées. Seule certitude : elle avait mal.

- Moi, au moins, je suis force de propositions ! râla la première voix.

Nouveau silence.

- Heureusement que le feu n'a pas pris...

La bougie ! Le souvenir du rituel qui tournait au cauchemar revint par bribes à Hortense. Ainsi elle avait pu éteindre les flammes avant le drame... Malgré l'étau qui enserrait son cerveau, la jeune femme réussit à se réjouir un instant de cette nouvelle.

- Oui, mais tout de même ! Elle ne doit pas être bien maligne, celle-là. Poser une bougie sur un tapis et l'utiliser comme un ballon de football, franchement...

La remarque ne réussit pas à contrarier Hortense. D'abord parce que le garçonnet avait raison, mais aussi parce que son ton désabusé aurait presque rendu la situation amusante. Elle essaya de récupérer d'autres informations, mais ses sens semblaient ensevelis au sein d'un brouillard sans fin. Du bout des doigts, elle palpa la surface sur laquelle elle reposait, mais elle ne sentit rien d'autre qu'un fourmillement diffus. Puis, soudainement, la jeune femme réalisa : il n'y avait pas d'enfant dans la demeure du comte, du moins pas à sa connaissance. D'ailleurs, elle ne reconnaissait pas non plus la voix féminine.

Où se trouvait-elle ? Et qui étaient les individus qui parlaient à quelques mètres d'elle ?

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