Chapitre 3 : L’impératrice Arya

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Pour laisser le médecin travailler, nous étions retournés dans la chambre de Célestina. Cela faisait déjà une heure que j’étais, pour ces deux femmes, la Seconde Princesse, mais l’Impératrice n’avait pas prononcé le moindre mot.


— On est d’accord que tu sais lire et écrire ? m’interrogea ma sœur en souriant, alors qu’elle m’avait vu écrire.

— Oui. J’ai toujours été première de ma classe. Enfin, jusqu’à ce que je m’enfuie à dix ans.

— Heureusement que depuis quatre ans, tu suis les cours avec moi.

— Je dois avouer que pouvoir reparler librement, redevenir moi-même, ça fait du bien.

— Pourquoi ne pas être venu nous dès que tu as su ? me questionna enfin ma mère.

— J’avais peur que vous m’ayez abandonné et que vous alliez me tuer en apprenant mon existence. J’avais peur que vous soyez à l’origine du meurtre du médecin qui a découvert mon identité.

— La famille impériale non. Celui qui t’a enlevé quand tu avais quatre mois, oui. Le duc de Glass.

— Le père de Keyran ?

— Oui. Il voulait s’assurer que tu sois la seule à pouvoir monter sur le trône pour être certain que son fils devienne Empereur en t’épousant.

— Et après, Père se demande pourquoi je ne veux plus l’épouser.

— Parce que tu ne veux plus l’épouser ?


L’Impératrice avait les bras croisés, assis sur le lit de sa fille qu’elle regardait fixement. Célestina baissa les yeux et se frotta la nuque, geste qu’elle faisait quand elle était nerveuse ou prise sur le fait, comme en cet instant.


— Et bien, c’est que… c’est compliqué à expliquer, mais…

— Les mariages impériaux n’ont pas comme base l’amour, ma fille, mais le devoir.

— Je sais bien ! C’est juste que…

— On en discutera plus tard, toutes les deux.

— Lila sait tout, nous pouvons parler devant elle.

— Certes, mais…

— Excusez-moi de parler si crûment, Votre Majesté, mais cet homme est une ordure. Si c’était vous qui deviez regarder et écoutez pendant leurs ébats, jamais vous ne la forceriez à l’épouser. Lord Keyran se croit surpuissant, juste parce qu’il est fiancé à la Première Princesse. Mais si vous voyez comment il la traite, comme il me traite, jamais vous ne le nommeriez Empereur.

— Qu’est-ce qu’il s’est passé ?


Pour nous empêcher de dévoiler la vérité sur le fils d’un homme puissant, la porte de la chambre s’ouvrit sur celui-ci. Célestina forma instantanément son masque de Cour tandis qu’une grimace de dégoûts se dessina sur le mien.


— Lord Keyran, que venez-vous faire à cette heure-ci ? l’accueilli Célestina.

— J’avais un peu de temps libre avant la course de chevaux. Je suis venu vous rendre visite. Votre Majesté, je ne vous avais pas vu.

— Bonjour Lord Glass, répondit-elle froidement.

— Célestina, ce serait possible de discuter seulement tous les deux ? Sans ta servante, cette fois-ci.

— Non.

— Tu… très bien, se retient-il. J’ai trouvé ce joli collier au marché ce matin. J’aimerais que tu le portes au bal de la semaine prochaine.

— Il est très joli, merci. Je le porterais avec plaisir.

— Je ne vais pas vous déranger plus alors. Au revoir, Princesse.

— Au revoir, Lord.


Il attrapa délicatement la main de sa fiancée et y déposa un baisé avant de faire une révérence à l’Impératrice et de partir. Dès que la porte fut fermée, Celestina me tendit le collier. Je le posais sur le bureau et allumais la petite lampe pour l’étudier, comme nous en avions l’habitude.


— Verdict ? m’interroge-t-elle en s’approchant.

— Encore un faux.

— Et il prétend être mon fiancé ? Quelle pourriture !

— Célestina ! Votre langage !

— Ce n’est que la vérité, mère. Lila, tu sais quoi faire.

— Votre sœur s’appelle Eva et non Lila.


Les deux femmes se tournèrent vers moi en même temps. Allaient-elles me demander de faire un choix ? Je ne pouvais pas. Je n’y étais pas prête. Ignorant les appels silencieux qu’elles me lançaient, je récupérais le bijou frauduleux et partis retrouver le bijoutier du palais, en reprenant mon rôle de fille muette.


— Mademoiselle Lila, ça faisait longtemps que je ne vous avais pas vu. Que m’apportez-vous cette fois-ci ?


Je lui tendis le bijou de pacotille qu’il examina sous tous les angles.


— La Première Princesse à de la chance de vous avoir à son service. Je vais vous refaire le même avec de vraies pierres. Ça devrait être prêt dans quarante-huit heures.


Je le remerciais d’un signe de tête et pris mon temps pour retourner dans la chambre de Celestina. Quand je poussais la porte, les deux femmes étaient toujours là.


— Il faut qu’on décide quoi faire de toi, déclara l’Impératrice en me regardant.

— C’est-à-dire ?

— En tant que mère, je voudrais te faire retrouver ta place tous de suite. Mais qu’est-ce que tu en penses ?

— Et si on prenait notre temps ?

— Si je te laisse jusqu’au bal pour prendre ta décision, ça t’irait ?

— Oui, merci.


Alors que j’étais nerveuse, que je n’osais m’approcher de l’Impératrice ni ne savais quoi faire, celle-ci se leva du lit, s’approcha et me prit dans ses bras. Incapable de réagir, mes bras restaient pendus dans le vide.


— Peu importe ta décision, me chuchota-t-elle, je la respecterais et te soutiendrais. Ta sœur pourra le confirmer, être Princesse c’est beaucoup de sacrifices. Tu as l’opportunité de choisir, ma fille, alors prend ton temps. Ne deviens pas Princesse pour moi, deviens-le parce que tu en as envie.

Elle déposa ensuite un délicat baiser sur mon front avant de sortir de la chambre. Célestina, toujours assise sur son lit, m’observait sans rien dire. Déstabilisé par son regard, je tournais la tête et aperçus l’heure.

— Vos Dames de compagnie vont arriver dans une heure, Votre Altesse.

— Il est déjà neuf heures ? Je ferais mieux de me dépêcher.


Sans attendre une minute de plus, je sortis de son dressing l’une des robes qu’elle mettait lors des goûters avec ses Dames de compagnie. Le jupon de sa robe était fait de voile et de satin, tandis que le buste, rouge lui aussi, était agrémenté de perles argentées. Le bustier offrait même un beau décolleté, comme pratiquement toutes ses robes. Je bouclais ensuite ses cheveux, fit deux petites tresses sur le haut de sa tête, partant de la gauche pour rejoindre la droite puis ajouter quelques fleurs, comme elle aimait tant.


— Je n’ai jamais eu l’occasion de te le dire, lui chuchotais-je, mais tu es magnifique.

— Merci, Lila, répondit-elle en rougissant.


Après m’être assurée qu’elle était prête, je lui tendis mon bras pour qu’elle se lève. Je l’accompagnais ensuite dans son salon personnel où l’attendaient ses deux Dames de compagnie.


— Votre Altesse, la saluèrent-elles.

— Mademoiselle de Nivière, Mademoiselle de Rémusat, comment allez-vous ?

— À merveille, répondit Mademoiselle de Nivière. J’ai tellement de choses à vous raconter.

— Je sens qu’on va s’amuser, chuchota Célestina.


Tandis qu’elle allait s’asseoir sur l’un des canapés, je partis récupérer les gâteaux et le thé, tout en me retenant de rire. Après avoir repris contenance, j’apportais les tasses aux trois jeunes femmes et leur servit le thé.


— Qu’avez-vous donc tant hâte de nous raconter, Mademoiselle de Nivière ? commença Célestina.

— Lord de Comto à enfin demander ma main à mon père, expliqua-t-elle, tout heureuse.

— Vraiment ? Depuis le temps que vous attendiez ça, enchaîna Mademoiselle de Rémusat.

— Votre père a-t-il accepté ? questionna la Princesse.

— Bien sûr. Il est beau, riche et c’est un Duc puissant.

— Et comme vous êtes Marquise, il doit en être que plus fier.

— Exactement.

— Profitez-en, enchaîna Célestina. Ce n’est pas tout le monde, au sein de la noblesse qui à la chance de se marier par amour.

— Votre relation avec Lord Keyran se passe si mal ?

— C’est compliqué. Mais j’ai de la chance d’avoir une servante hors du commun. Elle prend soin de moi.

— Nous sommes d’accord, Lila est la meilleure. Si elle n’était pas déjà votre servante, j’aurais tout fait pour l’employer dans ma suite. Sept ans au service de la même famille, ce n’est pas rien.

— Sept ans au service de la famille impérial, vous voulez dire. Buvons cette tasse de thé à la santé de votre servante.

— Et si elle buvait avec nous ? proposa Célestina le plus innocemment possible.


Ses deux Dames de compagnie et moi, on s’étouffa en même temps. Célestina me regarda et j’aperçus une pointe d’hésitation dans son regard. Sa main glissa dans son cou, trahissant sa nervosité. Je sentais qu’elle avait envie de leur parler de moi. Ses deux jeunes femmes de la noblesse en qui elle avait confiance. Deux femmes qui ne l’avaient jusque là jamais trahie, alors qu’être aux côtés de la Princesse, c’était connaitre tous ses secrets et être en position de force.


— Excusez-moi Votre Altesse, mais je crains de ne pas comprendre, ajouta Mademoiselle de Rémusat.

— Eh bien, Lila…


Comprenant qu’elle hésitait, je décidais de prendre l’initiative. J’approchais, sous le regard perplexe de deux femmes, m’assis à côté de Célestina et attrapais sa main. La réaction des deux aristocrates fut immédiate et j’entendis leur stupéfaction. Mais je n’y prêtai pas attention, alors que Célestina avait tourné la tête dans ma direction, que nos regards se croisaient.


— Puis-je leur dire ? Je ne veux pas te forcer alors que ma mère te laisse te temps de réfléchir.

— Tu peux leur dire, ça met égal, chuchotais-je.

— Merci. Sers-toi une tasse de thé.


Ignorant les yeux ronds des deux Dames de compagnie, je partie récupérer une tasse et me servis du thé avant de m’asseoir aux côtés de ma sœur, là où personne ne s’était jamais assis.


— Votre Altesse ! s’indigna Mademoiselle de Nivière. Comment… veuillez m’excusez par avance, mais comment pouvez-vous autorisé une simple servante à boire le thé avec nous ?

— Je me posais justement la même question, enchaîna Mademoiselle de Rémusat.

— Pour êtes honnête avec vous… Lila n’est pas qu’une simple servante. Elle…


Comme pour l’empêcher de dévoiler la vérité, l’Empereur entra précipitent dans le salon, suivit par l’Impératrice. Je n’eus même pas le temps de réagir.


— Arrêtez enfin ! Nous pouvez-vous donc pas la laisser respirer, ne serait-ce qu’une journée ! s’énervait l’Impératrice.

— Vous n’avez aucun ordre à me donner, femme. Célestina, vous m’expliquez pourquoi vous êtes sortie en douce du palais ce matin ?

— Merde, soupira ma sœur le plus bas possible. Père, ce n’est pas…

— Je ne veux pas de vos excuses ! Dites-moi la vérité !


Son regard glissa sur moi et il s’aperçut enfin de ma présence, assise sur le canapé réservé à la Princesse.


— Et elle, qu’est-ce qu’elle fait là ?

— Père, s’il vous plait.

— Gardes ! Enfermez cette fille pour outrage à la princesse.


En une fraction de seconde, je me levais, des soldats attrapèrent mes deux bras et l’Impératrice bloqua la sortie, furieuse. Elle avait dit qu’elle me soutiendrait, peu importe ma décision. Je n’avais toujours pas choisi et elle prenait déjà ma défense.


— Touchez à un seul cheveu de cette petite et vous le regretterait.

— Est-ce une menace, Impératrice ?

— C’en est une. Laissez cette petite tranquille. Laissez ma fille tranquille.

— Elle…

— Par la Sainte-Mère, s’énerva-t-elle encore plus. Obéissez-moi pour une fois ! Avez-vous oublié que le pouvoir appartient aux femmes ?

— Comment pouvez-vous prendre la défense d’une simple servante ?

— Lila n’est pas…


Là était la limite. Je n’avais encore rien décidé, elle ne pouvait plus rien pour moi. Impuissante, elle baissa la tête et l’Empereur la poussa violemment pour libérer le passage. Cet homme était une ordure. Il avait volé le pouvoir à l’Impératrice. C’était à la fois un mari et père violent que personne ne pouvait arrêter.


— Dépêchez-vous de l’enfermer ! C’est un ordre !

— À vos ordres, Votre Majesté.


Ne pouvais lutter contre les soldats impériaux, je me devais d’avancer. Célestina voulut s’interposer à son tour, mais je l’en empêchais d’un regard. Si même sa mère n’avait réussi à convaincre l’Empereur, Célestina n’y parviendrait pas non plus.


— Excuse-moi, chuchota ma mère quand j’arrivais près d’elle. Je ferais tout pour te sortir de là.


Les soldats impériaux m’emmener alors dans les cachots du palais. Là où certains domestiques étaient enfermés le temps de payer leur péché, au bon vouloir de l’Empereur. Les cachots étaient sombres, humides et sentaient la pourriture, le sang, mais aussi la mort. Si personne, là-haut, ne se souciait de ceux qui étaient en bas, on pouvait finir par mourir de faim. Par chance, je savais que ni l’Impératrice ni la Princesse ne me laisserait bien longtemps ici.

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