Chapitre 1 : La Princesse Célestina

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Sept-heure trente, mon réveil sonna. J’avais une demi-heure pour me préparer avant d’aller réveiller Son Altesse la Première Princesse Célestina. J’enfilais mon uniforme et me fis une simple queue de cheval avant de sortir du placard qui me servait de chambre. En ouvrant la porte, j’entrais dans la chambre de la Princesse. Elle et son fiancé étaient toujours endormis dans l’immense lit princier.

Avec délicatesse, j’ouvris les rideaux pour laisser entrer la lumière. J’entendis Lord Keyran grogner et la Princesse remuer dans le lit.

— Encore ta fichue bonne. Elle ne peut pas nous laisser dormir ?

— Je suis très occupée aujourd’hui, mon cher. Il doit déjà être huit heures. Lila, apporte les vêtements de Keyran.

Les fameux vêtements étaient éparpillés dans la chambre de la Princesse, comme à chaque fois qu’ils lui rendent visite. Sans un mot, je les récupérais un par un et les lui tendis. Comme à chaque fois, il me les arracha des mains et me repoussa d’un geste. Je me tournais, levais rapidement les yeux au ciel avant d’aller préparer les affaires de Mademoiselle Célestina.

Entre deux gloussements et baisés à sa fiancée, le fils de Duc s’habilla avant de quitter la chambre. J’attends une minute après son départ et ferma la porte à clef. J’allumais la chaîne Hi-fi de la Princesse, lançais la première musique et la laissais pleurer. Depuis deux ans, chaque matin je mettais la musique suffisamment forte pour que personne n’entende les pleurs qu’elle étouffait dans son oreiller pendant une heure. Quand neuf heures sonnèrent sur les cloches du palais, elle sortie de son lit, éteignis la musique et se sécha les yeux.

— Merci Lila. On va pouvoir commencer.

Elle s’assit à sa coiffeuse et je commençais par enlever tous les nœuds que son fiancé avait créés durant la nuit. Après avoir passé près d’une demi-heure sur sa coiffure, je l’aidais à s’habiller. Aujourd’hui avait lieu la Grande Réunion mensuelle impériale. La réunion que la Princesse détestait tant, parce qu’elle était obligée de parler à ses parents. Je l’aidais à vêtir sa chemise, le corset qu’elle mettait seulement pour cette occasion ainsi que la robe blanche qui était de viveur. Une fois satisfaite de sa tenue, elle se tourna vers moi et me sourira. Comme chaque matin après la visite de Keyran, elle avait les yeux rougis par les pleurs. Je lui tendis ma main et l’invitais à se rasseoir. À l’aide d’une bonne couche de fond teint et de maquillage, je réussis à faire disparaître les traces de ses pleurs et de sa fatigue. Cette fatigue qu’elle accumulait depuis que sa relation avec son fiancé s’était accentuée au profit des rumeurs de la Cour. Cette fatigue qu’elle n’arrivait aujourd’hui plus à faire disparaître sans maquillage.

— Heureusement que tu es là, Lila. Je ne sais pas ce que je ferais sans toi.

Ayant fait vœu de silence depuis mes dix ans, l’ensemble du palais me croyait muette et illettrée. C’était pour ça que j’étais aujourd’hui la servante personnelle de la Première Princesse. Être Première Princesse n’était qu’un titre puisqu’en réalité, elle était la seule.

— Si ce n’était pas toi, reprit-elle, ça aurait été quelqu’un d’autre. Le fait que tu me connaisses depuis mes treize ans, même si tu n’as commencé à travailler pour moi il y a seulement quatre ans, ça compte beaucoup. Je te dois beaucoup, Lila.

Je travaillais au palais depuis que j’avais dix ans et j’en avais aujourd’hui dix-sept. C’était la gouvernante du palais qui m’avait recueilli et l’Impératrice qui m’avait nommé servante personnelle de Son Altesse Impériale la Première Princesse Célestina quand j’avais treize ans. Célestina avait seulement deux ans de plus que moi, c’est ce qui faisions que nous étions aussi proches. Je connaissais le moindre de ses secrets, de ses habitudes. Je savais ce qu’elle pensait quand elle était au lit avec son fiancé alors que ce qu’elle montrait en était l’inverse.

Aujourd’hui, je voyais qu’elle était au plus mal. Elle avait cette mine affreuse, chaque fois que la Grande Réunion mensuelle impériale avait lieu, mais aujourd’hui, c’était différent. En quatre ans, c’était la première fois qu’elle me parlait ainsi. Si j’avais pu la réconforter avec des paroles, je l’aurais fait. Mais ça faisait sept ans que je n’avais pas prononcé le moindre mot ni écrit la moindre lettre. En étais-je toujours capable ?

— Ce n’est pas tout, mais il est déjà presque dix heures. Je ferais mieux de me dépêcher.

Pour la rassurer, je lui offris mon plus beau sourire et mon bras. Elle me sourit à son tour et l’attrapa. Elle redressa ses épaules, releva la tête fin prête à affronter ses parents. Je déverrouillais la porte de sa chambre et l’accompagnait jusqu’au bureau de son père, en silence. Derrière nous, les deux soldats chargés de sa protection nous suivaient. Quand on arriva devant les portes du bureau ouvertes, l’Empereur et l’Impératrice y étaient déjà.

— Vous êtes en retard, ma fille, cingla l’Empereur.

— Excusez-moi, Votre Majesté.

— Laissez-la donc tranquille, intervint l’Impératrice. Lord Keyran a passé la nuit ici.

— Pourquoi défendez-vous toujours votre fille ?

— Parce qu’elle est ma fille, comme vous le dites.

— Ne perdons pas plus de temps.

La famille s’installa autour du bureau tandis que j’attendais debout au fond de la pièce. J’avais le droit de rester ici uniquement parce qu’ils me considéraient tous comme muette et ne sachant pas écrire. Pourtant, c’était ce que j’apprenais ici qui me permettait d’aider autant la Princesse. Même s’ils étaient ses parents, ils ne voyaient en elle que leur héritière. Celle sur qui reposant l’avenir de tout un Empire. Elle était certes douée en tout, ayant eu la meilleure éducation possible, mais elle le faisait pour tromper les apparences. Elle ne voulait pas de ses responsabilités. Elle ne voulait pas devenir Impératrice ni même se marier avec Lord Keyran. Pendant deux heures, l’Empereur Simon examinait attentivement chaque décision de Célestina. Pendant deux heures, elle encaissait ses critiques sans rien dire tandis que sa mère, l’Impératrice Arya, plus douce, félicitait sa fille.

Officiellement, le pouvoir revenait aux femmes dans cet empire. Officiellement, l’Impératrice Arya prenait l’ensemble des décisions. Officieusement, c’était l’Empereur qui dirigeait. C’était lui qui contrôlait les deux femmes de sa famille sans que personne, hormis elles et moi, ne le sache.

— La séance est terminée. Célestina, n’oubliez pas votre cours d’équitation à quatorze heures.

— Je n’oublierais pas, père.

La Princesse se leva et m’adressa un rapide coup d’œil. C’était le moment pour moi de sortir de mon coin et de la raccompagner dans sa chambre. Quand on fut dans le couloir, loin des dirigeants, elle glissa sa main dans la mienne et accéléra le pas. Une fois dans sa chambre, elle s’affala sur son lit et couvrit ses cris par son oreiller. Je me dépêchais de mettre de la musique et m’assis à côté d’elle. Allongée sur le ventre, son oreiller sur la tête, elle ne me vit pas arriver. Elle sursauta quand ma main se posa sur son dos. Elle se redressa, entoura mes épaules de ses bras et cacha son visage ravagé par les larmes dans mon cou.

— Pourquoi est-il aussi odieux avec moi ? Que lui ais-je fait ?

Ne pouvant lui répondre, je lui frottais le dos. Couvert par la musique, aucune de nous deux n’entendit la porte s’ouvrir. Ce fut seulement quand le silence régna que j’aperçus que l’Impératrice était entrée. Je repoussais doucement Célestina, me levais du lit, saluais l’Impératrice et lui laissais la place auprès de sa fille.

— Ma chérie, soupira sa mère.

— Ce n’est pas juste. Je ne cesse de faire des efforts pour lui plaire, mais ça ne lui convient jamais. Même mon don aux orphelinats de la région ne lui a pas suffi.

— Votre père est exigeant, c’est vrai. Mais il fait ça pour vous. Pour que vous deveniez l’Impératrice qu’il faut à l’Empire de Caldonian.

— Mais ce n’est pas ce que je veux ! Mère, je vous en supplie. Je ne veux pas prendre votre place.

— Vous n’avez malheureusement pas le choix, ma fille. Vous êtes notre seule héritière. Je me doute que c’est un grand sacrifice pour vous, mais…

— Non, vous ne savez rien. Lila sait, mais…

— Votre servante est muette, ma fille.

— Je sais. À cause de pères, encore. Tout ça pour être qu’elle ne trahira aucun de mes secrets.

— Ce qu’elle n’a jamais fait en quatre ans de toute façon. Je ne vais pas vous déranger plus longtemps, vous devez avoir beaucoup de travail.

— Merci mère.

Quand l’Impératrice quitta la chambre de sa fille, je reçus l’oreiller de la Princesse en pleine tête. Elle était en colère, déçue et c’était sur moi qu’elle évacue ses émotions.

— Pourquoi tu ne parles pas toi aussi ? Ce serait tellement plus simple si nous pouvions avoir une réelle discussion. J’en ai assez de toujours parler seule. J’en ai assez de me sentir seule.

La situation que je redoutais le plus venait d’arriver. Soit je continuais dans mon mensonge et ne pouvais aider Célestina, soit je lui avouais tout, au risque qu’elle en parle à son père, qui me tuerait sur le champ.

— Réagis, Lila !

La Princesse avait besoin de mon aide. Ne réfléchissant plus, je m’approchais d’elle, lui attrapait la main sans autorisation et la tira jusqu’à son bureau. Je récupérais son stylo ainsi qu’une feuille et commençais à écrire.

Je ne suis pas muette. Je sais lire, je sais écrire, mais je ne peux rien faire ici. Si l’Empereur le découvre, je suis morte. S’il découvre qui je suis vraiment, je suis morte. Si vous voulez parlez, si vous voulez en savoir plus, ça devra se faire en dehors du palais et le plus discrètement possible. Excusez-moi de vous avoir menti, mais je devais me protéger.

Perplexe, elle resta un instant à côté de moi sans rien dire. Il lui fallait le temps d’assimiler la nouvelle. Quand elle reprit ses esprits, elle brûla le papier dans sa cheminée et s’assura qu’il ne restait pas le moindre morceau.

— Merci de m’avoir dit la vérité, me chuchota-t-elle. Je trouverais le moyen pour qu’on puisse discuter tranquillement.

Délicatement cette fois-ci, j’attrapais sa main et la fis entrer dans ma chambre, elle s’essaya sur mon lit tandis que je récupérais un document caché dans la doublure de ma valise. Une fois le papier soigneusement plié dans mes mains, je m’assis à côté d’elle et m’approcha de son oreille.

— Mon bien le plus précieux, chuchotais-je le plus bas possible. Mon secret.

Mes sept premiers mots en sept ans étaient pour elle. Pour lui avouer qui j’étais réellement. Ce pour quoi j’avais attendu pendant des jours dans le froid, devant le palais Impériale. Ce pour quoi tout le monde croyait que j’étais muette et illettrée.

— C’est un vrai ?

Je hochais la tête de haut en bas pour lui répondre. Ce test génétique avait coûté la vie au médecin qui l’avait fait. Ce simple bout de papier qui affirmait légalement que j’étais la fille biologique de l’Empereur Simon et de l’Impératrice Arya, mais aussi la sœur de la Princesse Célestina.

— Tu es sérieuse ? Tu es vraiment…

Pour l’empêcher de parler, je posais un doigt sur ses lèvres, ce qu’en temps normal, je n’aurais jamais fait. Mais parlez ici, dire le mot sœur au palais c’était risquer ma vie. Ce que je ne permettrais jamais.

— Excuse-moi. Je vais faire en sorte qu’on puisse en parler dès demain.

— Merci, dis-je du bout des lèvres.

Avec délicatesse, comme si j’étais un morceau de sucre qui pouvait se casser au moindre contact, elle me prit dans ses bras et me serra contre elle. En cet instant, je n’étais plus sa domestique. Je n’étais plus celle sur qui elle se reposait. J’étais devenue sa sœur, sa petite sœur. Dans la douceur de ses bras, je savais que désormais, elle allait me protéger, qu’importe ce que je lui dirais demain.

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