1 - Promenons-nous dans les bois

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Alicia s'arrêta un moment et se retourna. Personne. Soulagée, elle reprit sa marche sur le manteau neigeux. Il y avait maintenant plus d'une heure qu’elle avait abandonnée sa voiture. Le bruit de la route se faisait lointain, et laissait place au silence hivernal. Des bourrasques soufflaient de temps à autre. Elle fermait les yeux, afin d'éviter les projections de flocons dans ses yeux. À chacun de ses pas, ses baskets s'enfonçaient dans la poudreuse, et l’humidité s'installait dans ses pieds. Elle n'avait plus de sensation dans ses orteils. Pas d’autre choix, il lui fallait continuer.


Hormis les grands sapins au loin, il n'y avait rien d'autre que du blanc tout autour d'elle. Alicia avançait à découvert, et demeurait facilement repérable. Sans parler de ses traces de pas, dispersées dans la neige. Celles-ci mèneraient inévitablement jusqu'à elle. Pour alliée, elle ne disposait que de son avance certaine. La jeune femme n'était qu'un pion sur un échiquier. Elle devait atteindre l’une des extrémités, tout en gardant à distance le pion adverse, se transformer en reine et l'avaler. Sinon, ce serait l'échec. Par acquit de conscience, elle sortit son téléphone portable de son blouson, et constata qu'il ne captait toujours pas. Les dés étaient jetés : elle ne pouvait compter sur le soutien d'aucune autre pièce du jeu.


Épuisée, Alicia s'accorda une pause pour reprendre sa respiration. L'air glacial pénétra ses poumons, brûlant le thorax au passage. Durant quelques secondes, sa tête tournoya. Ses jambes flageolèrent, puis, ce fut la chute. Lentement, elle reprit ses esprits et se releva. La jeune femme était à jeun, affaiblie. Elle fouilla ses poches et en sortit un chewing-gum à la menthe. Il lui permettrait de retrouver un peu d'énergie pour la dernière ligne droite.


Une fois dans la forêt, elle pourrait brouiller les pistes et semer son poursuivant : Celui qui hantait ses nuits depuis de longues années, malgré le soutien de ses amis. Celui qui avait transformé sa vie en un cauchemar, par le souvenir de minutes infâmes. De longues minutes inoubliables, qu'elle ne pouvait pardonner. Libéré depuis quelques mois, le monstre avait refait surface. Que voulait-il ? Recommencer ?


**


L'homme avait rendez-vous avec une vieille connaissance. Il se contentait de suivre les traces de pas, qui se dévoilaient une à une. Main dans la poche, contre son arme qu'il n'espérait pas devoir utiliser. Cependant, si la dissuasion ne fonctionnait pas, sa nouvelle vie s'écroulerait. Ce n'était pas envisageable. Il évoluait lentement dans ce paysage maussade, prenant le temps de réfléchir au déroulement de l’entrevue. Ces pas étaient lourds, son regard vide fixait le sol immaculé. Il était pensif, absent, quelques années en retrait de l'instant présent. Une fois de plus, ses doigts crispés par le froid, plongèrent dans sa poche pour en sortir une cigarette et un briquet. Il l'alluma tant bien que mal, en protégeant la flamme des bourrasques, et tira de grandes bouffées. La Marlboro fut consumée rapidement, en partie par le vent. L’homme jeta le mégot rougissant au sol, celui-ci devint cendre grisâtre instantanément. Il releva la tête et regarda droit devant lui. Un brouillard laiteux se formait, se repérer deviendrait bientôt difficile. Certes, il connaissait le chemin et n'avait qu'à suivre les empreintes, tout de même, il décida de presser le pas.


**


Aux abords de la forêt, Alicia jouait sa dernière carte avant de rejoindre le chalet. S'y rendre nécessitait un bon sens de l'orientation. Rien n'indiquait la présence du lieu de son enfance. Cet endroit chargé de souvenirs était l'idéal pour s’abriter. Une fois à l'intérieur, elle préviendrait Jack, si toutefois elle captait enfin le réseau. Elle devrait tout lui avouer, ce qu’elle n’avait osé faire jusqu’à maintenant. La jeune femme plongea les mains dans les poches, à la recherche de son téléphone. Elles étaient vides. Une injure qu'elle ne put retenir sortit de sa bouche. Elle tourna sur elle-même, le regard bas, scrutant chaque centimètre carré autour d'elle. Celui-ci avait dû tomber lors de sa chute, un peu plus tôt. Soudain, la panique l'envahit. Son cœur s’emballa. Elle ne pouvait pas rebrousser chemin et prendre le risque de tomber sur son poursuivant. Qu'en ferait-il, s'il trouvait l'appareil en chemin ? Alicia se retourna en direction des bois. Peu importe, elle devait arriver avant la tombée de la nuit. Une fois sur place, elle utiliserait le fixe.


Le soleil n'était pas de la partie, et la brume envahissante. Les grands troncs centenaires ressemblaient à des ombres figées, comme posées au milieu de nulle part. Le vent s'engouffrait entre eux pour composer des mélodies fantomatiques. Au sol, la fine couche de neige verglacée, permettait à la jeune femme de ne plus laisser de traces de son passage. Elle longea le petit ruisseau en direction du nord, jusqu'à atteindre l'arbre marqué d'un cercle rouge, où elle pivota sur sa gauche, de la moitié d'un quart de tour. Sur la rose des vents, le nord-ouest, trois cent quinze degrés. Elle avait emprunté tant de fois ce chemin, qu'elle y avait trouvé d'autres repères, comme le sapin courbé ou encore la grande crevasse.


Alicia semblait plus détendue. Même si l'endroit était d'un calme inquiétant, elle estimait avoir beaucoup d'avance, cela la rassurait. Pourtant, le silence fut rompu par un bruit derrière elle. Un déplacement furtif et peu discret. La jeune femme se retourna. Elle ne vit que des arbres droits et immobiles. Elle ne savait dire dans quelle direction ni à quelle distance, mais quelque chose avait pourtant bel et bien bougé. Elle ratissa le paysage inerte, de gauche à droite. C'est alors qu'un second bruit se fit entendre. Un craquement de branche, bien trop sonore pour être anodin. La jeune femme se retourna dans l'autre sens. Celui de la fuite. Elle se mit à courir sans se retourner. Slalomant entre les troncs d'arbres, la peur au ventre. Si c'était son poursuivant, comment avait-il pu la rattraper si vite ? À moins qu’il ne s’agisse que d’un animal ? Prise dans une course folle, la jeune femme ne voulait pas savoir. Cette forêt devenait sa hantise. Mètre après mètre, elle s'attendait à tomber nez à nez avec une silhouette tapie dans la pénombre.


**


L'homme aperçut un petit objet noir dans la neige. Intrigué, il s’en approcha, le ramassa, et resta sans voix. Il s’agissait du téléphone d'Alicia. Jack comprit, et le brandit en poussant un cri de rage. Il posa son pied au sol pour y créer une empreinte. Juste à côté de celle dont il pensait appartenir à Will Coster. La sienne était bien plus grande. Du quarante-trois, alors que l'autre devait correspondre à un trente-huit. Petit, pour un pied d'homme. Il se sentit idiot de ne pas l'avoir remarqué plus tôt. Sa femme se trouvait ici, mais pourquoi ? Si Coster lui révélait la vérité ? Était-elle en danger ? Il n'arrivait plus à réfléchir avec cohérence.


Torche en main, Jack courait maintenant sous le regard d'une lune naissante, annonçant la tombée de la nuit. Il ne comprenait pas exactement où Will voulait en venir, et imaginait le pire. Sur ces gardes, il pénétra dans la forêt désertée par la lumière. Il attrapa son arme qu’il chargea d’un geste déterminé. Le cliquetis brisa le silence mortuaire des lieux. Dans le même temps, un battement d'ailes se fit entendre au-dessus de sa tête. Surpris, l'homme pointa le faisceau lumineux en l'air et crut apercevoir le coupable de ce vacarme.
- Saleté de volatile ! et si j'étais cardiaque ?

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