Ce monde est réel, bien réel. Il n’existe pas d’arrière-monde, et je ne vis ni dans un rêve, ni dans une réalité dégradée ou diminuée.

Mais cette réalité est complexe, multiple, changeante, elle possède de nombreux niveaux, mais peut aussi se montrer claire, distincte, transparente.

C’est cette clarté, souvent désagréable qui nous rebute. Notre protection est de déformer la réalité, de se réfugier dans la magie ou l’illusion.

Je propose un autre chemin : comprendre, accepter, aimer cette réalité dans sa complexité : l’amor fati,encore et encore.

Ce qui nous dérange dans la réalité c’est notre impuissance, notre incapacité, malgré l’illusion de la technologie, à transformer le réel.

L’âge renforce la déchéance, l’impuissance, en particulier corporelle. Mais il nous donne aussi l’antidote : la lucidité.

Oh la lucidité n’est ni douce, ni gentille, ni agréable:c’est une déesse bien cruelle à adorer !L’homme âgé secrète la lucidité comme une vésicule malade trop de bile.

Je deviens vieux et je n’ai plus de vésicule : je suis mûr pour la lucidité !

Mais toute cette bile, toute cette amertume ne viennent que d’un usage masochiste de la lucidité. Elle n’est alors qu’un cache sexe pour ne plus voir notre impuissance, on arrive à l’ironie suprême : la lucidité comme ultime refuge de l’illusion du pouvoir !

Pourtant, elle peut aussi donner son carburant à la philosophie : le doute !

Le poison de la vieillesse c’est l’égoïsme et la rancœur. La lucidité, mal utilisée, ne peut que rendre ce poison encore plus mortel.

La philosophie nous apprend à dépasser ce petit moi, cette petite amertume, ce dévoiement de la lucidité.

Alors la lucidité enrichit la philosophie par le doute.