Épisode 17 - L'apprentissage.

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 Je n’ai pas pris de repos depuis plusieurs jours. Les nuits semblent de plus en plus longues et je ne me laisse que peu de temps libre. De plus, les événements récents ont considérablement fait chuter mon moral. Aucune mission de police n’arrive à me redonner le sourire et aucune anecdote de boulot ne trouve grâce à mes yeux. Alors que je scrute l’horloge de la voiture en espérant y lire l’heure indiquant notre pause repas, mon oreille est attirée par un appel fait sur les ondes de la Police. Je coupe Rire & Chansons pour mieux l’entendre. Un véhicule est poursuivi par des collègues depuis un petit moment et se dirigerait vers nous. Pendant un instant, j’hésite à privilégier cette mission au détriment de celle qui m’occupe actuellement. Puis, malgré l’insistance de mon collègue pour me rapprocher de cette prise en charge, je décide toutefois de rester là. Nous sommes installés sur un point stratégique secret afin d’effectuer un travail des plus prioritaires et il serait stupide de nous disperser dans des futilités. Prendre en flagrant délit des conducteurs qui n’ont aucun respect pour les feux rouges, voilà quelque chose qui inspire le respect. Je suis sûr d’avoir fait le bon choix, mais j’ai bien du mal à l’imposer comme tel aux yeux de mon jeune stagiaire inexpérimenté qui fait des bonds à côté de moi. De toute façon, depuis le début de la nuit, je crois qu’il m’en veut personnellement. J’ai pris la décision de conduire, de donner des ordres et de me positionner ici et il ne semble visiblement pas enchanté par cette dernière volonté. J’ai pourtant bien tenté de lui expliquer que c’est en observant les professionnels qu’on apprend le mieux mais ça ne l’a pas convaincu non plus. Au fond de moi, je sais qu’il finira malgré tout par me remercier.


 Cela fait plusieurs minutes que nous traquons les criminels de la route et nous n’avons toujours rien à nous mettre sous la dent. Pendant ce temps-là, le véhicule poursuivi s’est lamentablement retrouvé dans un mur. Le conducteur va bien, n’a pas le permis de conduire et finira sa nuit à l’hôpital, au chaud et sous l’agréable surveillance des forces de l’ordre. Intérieurement, je souris, mon collègue, lui, trop fier, refuse toujours de me remercier. Je remonte le son de la radio. Chevallier et Laspalès terminent leur sketch et débute alors le show Francis Cabrel. Il faut reconnaître qu’il est beaucoup plus drôle que le duo auquel il succède, et il a l’avantage de le faire en musique. À peine ai-je pu apprécier son accent particulier que je dois à nouveau faire taire l’autoradio. Une nouvelle annonce nous informe qu’un vol à mains armées est en train de se commettre sur ma commune. Comme j’avais bien fait de laisser tomber l’affaire précédente ! J’aurais la reconnaissance de mon acolyte et il me remerciera enfin pour ce travail exemplaire. Ni une, ni deux, donc, j’oublie les priorités et je fonce tête baissée à l’adresse donnée. Il n’en fallait pas plus pour mettre le stagiaire dans tous ses états. Je lui demande d’accuser réception de l’appel qui vient d’être lancé. Je lui précise préalablement que s’il ne se détend pas, personne ne comprendra son message. Il n’entend rien, s’emballe encore plus et finit par déblatérer des onomatopées. Quand on lui demande de réitérer son message, je décide de prendre le contrôle et signale que je suis presque arrivé sur les lieux. Vous noterez qu’un professionnel peut à la fois rouler à vive allure, être calme et avoir un discours sensé. Je ne manque pas de le faire remarquer à mon apprenti qui ne daigne toujours pas me remercier.

 Je stationne le véhicule au frein à main devant des badauds ahuris. Nous descendons du bolide à toute vitesse, et j’entends mon collègue jurer en faisant tomber son tonfa*. Puis, il court, tout droit. J’ignore ce qu’il a vu et, à vrai dire, je doute que ce soit sa vision qui guide ses actes. Je demande à un client du bar ce qu’il s’est passé. Il pointe du doigt une direction et me signale qu’ils sont partis par là en moto. Évidemment, le stagiaire est dans l’autre sens et à pieds. Je porte mon sifflet à la bouche et tente de diriger le chien fou qui me sert de coéquipier. Le cou tendu, il s’arrête au son strident de mon appareil de dressage et se retourne vers moi. Je lui fais comprendre de revenir. Les bras écartés pour simuler l’incompréhension, il fait quand même chemin retour. Le client ajoute que c’était il y a trente minutes. Loin d’être sourd mais croyant à une mauvaise blague, je lui fais répéter. Il ne change pas de discours et précise qu’ils étaient deux, casqués, habillés de sombre, et qu’ils avaient un couteau, un pistolet et une matraque en guise d’armes. Je pénètre dans le troquet pour prendre contact avec le serveur derrière le comptoir. Il m’indique qu’ils étaient peut-être deux, casqué(s), habillé(s) en noir et qu’ils sont partis en scooter. Je l’oblige à me parler des armes et il n’a pas l’air de comprendre. Il répond qu’il y avait seulement un canif dans l’histoire et que, du coup, il a pu se défendre facilement. Un pilier de bar confirme à côté de moi. Le gérant ne veut pas déposer plainte parce qu’il n’y a rien de volé, que le ou les individus ont été mis en fuite et qu’il a autre chose à faire.

 Il me désigne cependant une personne assise dehors sur le trottoir opposé et me dit que cet homme a reçu un coup et n’a pas bougé depuis un moment. Poussant mon enquête un peu plus loin je vais donc demander à celui-ci de me décrire ce qu’il a vu. Quand il évoque trois individus, un fusil à pompe et une bombe lacrymogène, je deviens suspicieux. Quand il prétend ensuite avoir vu les trois suspects sur un quad, je décide de laisser là mes investigations. Malheureusement, la victime souhaite donner suite à la claque qu’il a reçu de la part d’une femme, membre du trio de malfaiteurs. Il ajoute que ça ne va pas se passer comme ça et qu’il connaît du monde. Il met en avant sa popularité et souhaite que je sois discret afin que l’affaire ne s’ébruite pas trop. Je lui conseille de rentrer chez lui s’il veut effectivement que cela ne se sache pas. Voyant qu’il ne m’avait fait aucun effet, il m’apprend qu’il a été célèbre dans les années 80 ou 90, dans une série française pour adolescentes lobotomisées. Comme son activité récente consiste à présenter une obscure émission d’une chaîne câblée tout aussi obscure, j’ai de moins en moins de mal à regretter l’affront que je lui ai fait en ne le reconnaissant pas. Ça doit quand même être frustrant d’avoir été star et de devoir se présenter ainsi à un fonctionnaire aussi cultivé que moi. Après de longs palabres, il finit par reconnaître que la jeune femme n’avait rien à voir dans l’histoire et qu’il n’aurait pas dû la traiter, je cite, de salope, juste parce qu’elle l’avait éconduit. Il se lève et regagne son pavillon tout proche. Affaire classée.

 Tous les effectifs de Police des environs sont sur place depuis longtemps et brassent principalement de l’air. Parce qu’ils n’ont pas eu la bonne idée de le faire, j’avise moi-même sur les ondes qu’il n’y a rien à signaler, ou presque, et je remonte dans mon véhicule pour me détendre au son de Raymond Devos. Le stagiaire me regarde, me sourit et me fait comprendre qu’il aurait peut-être mieux fallu sauter sur un défaut de permis de conduire avec refus d’obtempérer plutôt que sur un vol à mains armées sans vol, sans arme et avec un différend pour couronner le tout. Beaucoup plus fair-play que lui, je le remercie d’être aussi honnête et perspicace. Pour joindre des actes à mes paroles, et pour lui montrer que j’apprécie vraiment sa remarque, je retourne devant mon feu rouge dans le but d’y rester toute la nuit.

 Note de l’auteur: * Bâton de défense à poignée latérale.

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