Épisode 16 - Pris en sandwich.

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 Je rentre chez moi. La nuit a été plus longue que prévue et je suis lessivé. J’en veux à ce collègue, à cette hiérarchie, et j’en veux au monde entier. Le regard du môme me fixe encore et toujours. Si seule l’adrénaline avait été présente au tout début, j’étais ensuite passé par tous les stades. Il y a trop de choses qui se bousculent dans ma tête pour que je puisse faire abstraction. Je peux donc faire une croix sur une bonne journée de sommeil.

 Il est onze heures du matin, je pénètre dans mon appartement et m’enferme à double tour. Je jette mes affaires au sol, pose mes clés sur le meuble à chaussures et me déshabille. J’ouvre le robinet de la douche et me glisse sous l’épais filet d’eau pour me laver de la crasse humaine. Perdu dans mes pensées, je n’entends pas le téléphone qui sonne. Après quelques minutes sous la chaleur humide, je sors de ma torpeur et met fin à mon moment de détente. Je me sèche, enfile de nouveaux habits et me dirige dans mon alcôve. Mon téléphone se déclenche à nouveau. Je ne suis plus disponible pour personne mais je jette un coup d’œil pour voir qui essaie de me joindre. Appel inconnu. Par expérience je sais que c’est synonyme de Commissariat. Et par expérience, je sais aussi que si je ne réponds pas, c’est par l’interphone qu’on voudra me parler. Je décroche, c’est ma banque. N’ayant rien à signaler sur mes comptes, ni aucun problème à évoquer, je ne prends même pas le temps de dire au revoir et je raccroche. Peut-être n’est-ce pas très fair-play, mais je suis à saturation et je n’ai vraiment pas la tête à discuter avec un voleur.

 Alors que je projette pourtant de repartir m’aérer, j’allume la télévision en quête de divertissement. Sur une des innombrables chaînes du câble, je tombe sur une rediffusion. Il s’agit d’une émission à sensations sur les services de secours du pays. Comme si je ne vivais pas assez de choses dans ma propre vie, je reste scotché devant le grand écran. Je pose la télécommande devant moi et m’enfonce tel un poids mort dans le fauteuil. Un journaliste suit de près les folles aventures d’une B.A.C parisienne. À coups de phrases chocs et d’effets d’annonce, le reportage enchaîne les situations dangereuses. Pour garder le téléspectateur en émoi, des coupures publicitaires bien placées tronquent inlassablement la chronique. Tantôt les fonctionnaires de Police sont à la poursuite de délinquants, tantôt ils participent à des perquisitions ou à des interpellations sensibles dans des appartements pourris et surpeuplés de banlieue.

 Loin d’envier ceux-ci, je regrette toutefois de ne pas avoir plus souvent opéré à six heures dans les grands ensembles. C’est quand même assez jouissif de réveiller un branleur qui ne s’est plus levé à cette heure matinale depuis qu’il a quitté l’école. Comme d’habitude, la famille qui l’entoure s’oppose aux forces de l’Ordre en prétextant que c’est un ange, qu’il n’a rien fait et que c’est de l’abus de pouvoir. La mère est en larmes, le père, lui, pose des questions à son fils qui ne veut rien entendre. Enfin, les frères et sœurs, sûrement levés du pied gauche, s’excitent jusqu’à l’hystérie. Des chiens parcourent l’appartement à la recherche de drogue tandis que des fonctionnaires zélés retournent les placards à la recherche d’objets, d’argent ou de documents compromettants. Une fois que tout a été mis à sac, ces forces du désordre laissent l’innocente petite famille calmer ses nerfs en rangeant le taudis qui lui sert de maison.

 Dans la voiture de police qui fait retour au commissariat, le journaliste essaie d’avoir des informations en questionnant le jeune trafiquant. Celui-ci semble plus intéressé par les caméras que par son propre sort. Il est flouté, une capuche sur la tête, et s’égosille contre la Police, contre la justice et contre la société toute entière. Il justifie ses actes par un besoin de défier ce monde qui ne tourne pas rond. C’est aussi parce que personne ne lui a donné sa chance qu’il s’est retrouvé hors-la-loi. Les racistes sont partout, les emplois sont réservés à une population sans couleur, les logements sociaux sont une honte, et j’en passe et des meilleures. Il finit par dire, je cite, qu’il ne restera pas longtemps derrière les barreaux et qu’il baisera la France jusqu’à ce qu’elle l’aime*. Alors que j’ai toujours eu une certaine fierté à pouvoir citer des phrases d’auteurs, de philosophes, ou de poètes connus et reconnus, le jeune de quartier, lui, ne cache pas sa joie en exprimant son point de vue à travers des paroles de musique urbaine. On a la culture que l’on mérite et il se trouve que j’ai les deux. Je suis donc à même de me rendre compte à quel point la jeunesse banlieusarde manque d’originalité et de classe puisqu’en plus de citer un rappeur, le délinquant ne prend même pas soin d’en donner le nom. Le journaliste termine son histoire en annonçant que l’individu sera en prison pour au moins un an et que la B.A.C parisienne repart, je cite, à la chasse aux truands.

 En conclusion du reportage, un collègue est questionné sur ses ambitions, sur la hausse de la violence, sur le trafic de drogue, sur la dangerosité du travail en banlieue… Il semble avoir appris une leçon et chacun de ses termes est mesuré. Ce n’est pas lui qui discréditera la profession et il ne changera pas non plus les mentalités. Je n’écoute déjà plus que d’une oreille et seule la citation de l’interpellé finit par résonner dans ma tête. Ces laissés pour compte cherchent la reconnaissance, l’amour et un quelconque soutien. La jeunesse veut être entendue et passer à la télévision ne serait-ce que pour les quinze minutes de gloire promises par Warhol. Qu’ils sachent déjà qui il était et on pourra en reparler. On leur demande juste de réussir et de montrer une image positive. Au lieu de ça ils font tout pour se faire haïr et deviennent quand même des célébrités locales. Avoir une réputation qui se restreint à son propre quartier, ça ne fera jamais changer les choses et ça renforcera l’effet de ghetto toujours plus puissant dans ces zones de survie sociale. Quand les petits prennent exemple sur des aînés qui n’ont rien de mature et qui participent à une société de plus en plus « bling bling », le cercle vicieux de la délinquance ne peut pas s’interrompre. Comment veux-tu inculquer l’honnêteté à un inadapté social si tout ce qu’il recherche se trouve dans la criminalité ? Le crime est la seule activité ouverte à tous et c’est aussi la plus facile. S’il permet en plus de se confronter à l’État et à la société que le jeune déteste plus que tout, le crime remporte tous les suffrages.

 Pour contrer cette haine des institutions, nos politiques, amateurs de bijoux, de grosses voitures et de belles femmes, se contentent de leur répondre, je cite, la France, tu l’aimes où tu la quittes. Je souris, les yeux clos. La télé est toujours en marche, mais je ne l’entends plus. Alors que je m’endors, les infos annoncent qu’un fonctionnaire de Police a tué son fils de deux ans. Je remercie mon esprit contestataire d’avoir suffisamment travaillé pour me permettre de roupiller en oubliant ça. Il est effectivement bien plus facile de s’endormir quand on apprend seulement que les hommes politiques sont des jeunes de quartiers en puissance. Depuis longtemps, je constate avec bonheur que, grâce à eux, la Police aura toujours autant de supporters. Si ces diplômés ont le même talent d’orateur qu’un vulgaire rappeur, il nous sera bien difficile de représenter l’État en toute crédibilité. Mais j’aime les causes perdues et dès ce soir, je serai encore au milieu de la mêlée pour faire mon travail.

Note de l’auteur: * Référence à la chanson 93 Hardcore, du duo Tandem composé de Mac Tyer et de Mac Kregor.

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