Épisode 11 - J'aurais voulu être un flic.

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 Je n’ai pas oublié combien j’aurais voulu être flic à l’époque où je n’étais encore rien. Petit, tuniques bleues en mains, je me souviens que je m’opposais toujours aux vils indiens pour les tuer. Puis, avec l’âge, j’ai commencé à regarder les classiques du cinéma qui traitaient de la Police, celle qui était représentée par d’autres hommes en bleu (ou pas). De Leslie Nielsen aux héros de Police Academy, en passant par Gérard Jugnot simple flic, j’ai étudié des heures de documentation visuelle. J’ai bien sûr évolué dans l’apprentissage de l’humanité et je n’ai plus simplement voulu tuer, surtout des peuples qui n'avaient rien demandé à personne. Je me suis tourné vers un visage plus doux de la justice, celui qui sait pardonner et qui donne une chance, et encore une autre, et encore une autre. J’ai aussi appris que les méchants ont de l’humour, que le bon gagne toujours et que le principal, ce n’est pas le sang versé par les victimes mais la rédemption du criminel. Comme je me suis rendu compte que les peines ne sont pas forcément ma tasse de thé et que les méchants sont plus drôles dehors, le désir de les arrêter a été plus fort que celui de les juger. J’ai alors commencé à regarder autour de moi, plutôt que de rêver devant mon poste de télévision, et j’ai apprécié l’attitude de ces super-fonctionnaires. Je me rappelle avoir pavoisé devant ces personnes de pouvoir qui, le printemps venu, paradaient poings aux poches en plissant les paupières sur jupes polissonnes et postérieurs passifs. En associant cette belle image à ma conception de la paix ou de l’ordre public, je ne pouvais pas perdre mon objectif de vue. Je me suis épris de cette institution du pouvoir au point qu’elle était devenue une obsession, et, d’aussi loin que je me souvienne, il n’y a jamais eu, ni rien, ni personne d’autre qu’elle.

 Mais voilà, je n’ai pas encore passé le cap de la trentaine et pourtant je sens le poids des ans affaiblir mon jugement et mes réflexes. Je deviens négligent, je bâcle mon travail et je perçois toute nouvelle tâche comme un fardeau insupportable. Pire, je crois que je n’aime plus ce que je fais. Me voici parcourant la ville à la recherche d’une utopie professionnelle qui ne m’enthousiasme même plus. Il ne se passe rien sans que je n’en ressente une grande lassitude et, ni affaire ni rencontre ne trouvent grâce à mes yeux. Qu’il est loin le temps où je m’extasiais devant la verbalisation d’une victime du droit policier. Qu’il est loin le temps où je donnais, avec le sentiment génial d’être utile, des leçons d’éducation à des quinquagénaires en mal de reconnaissance filiale. Et enfin, qu’il est loin le temps béni où je ne vivais que pour retrouver mon bourreau de supermarché, ma douceur des bœufs-carottes. J’ai tout essayé et mes états de service n’ont pas suffit à la convaincre. Il y a quelques mois, j’ai transmis un rapport à ma hiérarchie pour rejoindre l’IGS, et elle a appuyé ma demande. En retour, le service en question a rapporté qu’il ne me voulait pas, mon profil n’étant pas adéquat. J’ai donc fini par me faire une raison et j’ai tenté tant bien que mal de survivre. Au fond, si elle est aussi aveugle, c’est qu’elle ne doit pas me mériter et que je n’ai fait que perdre mon temps.

 Aujourd’hui, la pilule est définitivement digérée et je croyais que régler mes déboires amoureux me donnerait un second souffle professionnel. Belle erreur. J’en suis à un point qui ne permet aucune respiration, et je crève lentement de désespoir pulmonaire. Je n’ai plus aucune soif d’apprendre parce que je sais déjà tout, et je n’ai pas faim d’affaire parce que plus aucune ne me subjugue. Et c’est là que réside le seul problème. Je n’ai plus rien à prouver à personne et quand on a atteint un tel degré de compétence, il est difficile de prendre du plaisir dans ce que l’on fait. Je suis devenu un professionnel du pavé, une machine du pouvoir et un justicier insensible. Et pour le commun des mortels, je représente le chasseur, le juge et la peine. Je me contente de faire mon travail et aucune surprise ne vient plus me distraire.

 Comme mes idoles de jeunesse, j’ai aidé le petit peuple et ça ne me procure plus rien. Il faut d’ailleurs préciser qu’aider les gens n’est, en fait, pas une bonne chose. Du moins si j’en crois les regards inquisiteurs des victimes, qui ont tendance à mener leur enquête sur vous pendant que vous enquêtez sur celui qui leur a porté atteinte. J’ai aussi tenté de parlementer avec des mineurs pour leur inculquer des valeurs que leurs parents ne connaissent pas. J’ai dirigé des touristes perdus pour qu’ils retrouvent leur chemin. Et enfin j’ai aussi vu défiler dans le commissariat des fumeurs de joint du dimanche, des délinquants de la route octogénaires, des tagueurs à la craie, des voleurs de fleurs municipales, et j’en passe. Que me faut-il donc de plus ? Par qui pourrais-je encore être surpris dans cette ville détruite par la haine de ses grands criminels ? Ces questions sont rhétoriques pour un flic d’ici, mais ailleurs, les réponses pleuvent. Et c’est donc là-bas que je dois aller. Je peux très bien me défaire de l’emprise d’une femme, mais abandonner ce pourquoi je suis né, c’est une autre paire de manches. Je ne peux décemment pas laisser tomber l’institution que j’ai toujours aimée alors que je lui ai tout donné, jusqu’à me lessiver pour elle. N’y voyez pas là une provocation quelconque car c’est simplement l’expression de mes sentiments incommensurables, mais je crois qu’il me serait plus facile d’abandonner mon propre enfant que de tourner le dos, ne serait-ce qu’un instant, à la Police.

 En définitive, grâce à quelques échanges professionnels agrémentés de conseils variés, je commence à apercevoir au milieu de ce brouillard une nouvelle lumière dans mon métier, et le désir de changement prend petit à petit le dessus sur le sentiment de désespoir dans lequel, jusque là, je m’enfonçais dangereusement. Cela dit, rien n’est encore fait et un second souffle peut très bien renaître sans que je ne demande de mutation. Un illustre inconnu* a dit un jour, en substance, que tout ce que je sais c’est que je ne sais rien, et je commence à croire qu’il avait en partie raison. Il y a une partie que je connais par cœur, c’est mon travail actuel en brigade de nuit. Et en ce qui concerne mon possible avenir, je sais trois choses : Il y a plusieurs façons et lieux pour être fonctionnaire de Police, j’en serai toujours un, mais pas à l’IGS.


Note de l’auteur : * Rendons à Socrate ce qui lui appartient.

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