Épisode 10 - Résolutions.

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 Les fêtes de fin d’année viennent de se terminer dans un rituel ancestral. Cela dit, ça reste pour moi une étrange coutume que de brûler des voitures pour accueillir un lendemain. Alors que je contemple faiblir le dernier incendie en date de la nuit sous les jets d’eau lancés par des Sapeurs Pompiers toujours aussi pyromanes et amoureux de la chaleur, je m’égare dans mes pensées annuelles. Que vais-je bien pouvoir attendre de ces 365 nouveaux jours? Que vais-je bien pouvoir entreprendre pour atteindre une maturité toujours plus grande? Je n’ai pas le souci d’arrêter de fumer, ni de boire. Je peux toujours m’obliger à manger mieux, mais je n’en vois pas l’intérêt. Je peux aussi m’interdire les pornos, mais j’adore le cinéma. Je n’ai aucun vice dont je pourrais me défaire, je n’ai aucun ami dont je voudrais me séparer. Au niveau professionnel, j’envisage toujours mieux mais les opportunités n’appartiennent qu’à ceux qui (se) couchent rapidement. L’expression originale étant un peu trop édulcorée, je ne peux l’utiliser sérieusement. Celui qui a écrit cette fameuse phrase ne devait d’ailleurs pas travailler dans la Police, car il n’y a pas que les paysans et le travail de la terre dans la vie, il y a aussi vos nocturnes héros bleus vivant entre l’éther, l’amer, et l’ennui.

 « Bonne année les schmitts ». Les curieux éméchés de fin de soirée me sortent de ma torpeur. Peut-être devrais-je lui répondre que « schmitts » n’est pas un terme à employer au lieu d’hésiter à lui répondre violemment. Je tente malgré tout de m’adapter à son langage codifié, me retourne et, sourire aux lèvres, réponds: « Bonne année, mon négro ». Malheureusement, j’ai l’impression que les politesses ne sont acceptées que dans un sens parce qu’il n’a pas l’air de bien le prendre. Je remarque aussi que pompiers et collègues me dévisagent étrangement lorsque commence devant nous à s’agrandir la masse de mécontents. Comme je ne veux pas gâcher la fête que ceux-ci espéraient célébrer autour d’un bon feu, j’essaie d’inciter les pompiers à leur laisser quelques flammes. Ceux-ci refusent poliment, procèdent à l’extinction complète de l’incendie et quittent le quartier pour un nouvel appel. Pendant ce temps-là, la rumeur a enflé, et se propage comme une traînée de poudre. Un policier aurait insulté un jeune de « sale nègre ». Alors que j’essaie de savoir qui a bien pu dire ça, je vois passer à quelques centimètres de moi une bouteille de bière pleine qui vient s’écraser sur le sol, laissant s’échapper le précieux liquide. Je dévisage le lanceur et le remercie du geste en lui signifiant que, malgré tout, je n’ai pas soif.

 Plus rien ne nous retenant dans les parages, je propose à mes collègues de partir vaquer à d’autres occupations. Ils me répondent que les jeunes sont trop nombreux et qu’il risque d’y avoir quelques débordements vu leur état d’excitation. Je réponds que notre présence trop marquée a le don de provoquer la populace. Ils me rétorquent qu’à trois, on ne provoque pas grand monde, et je ne leur donnerais pas forcément tort si je n’avais pas ce spectacle sous mes yeux. Ils ajoutent en cœur, l’air gêné, que je n’aurais peut-être pas dû dire « sale noir ». Je leur propose d’aller se mettre dans les rangs qui nous font face et de me jeter des bières, juste histoire d’assister au magnifique rapprochement entre deux ennemis historiques, réunis, pour l’occasion, par leurs problèmes d’audition.

 Mes deux compères ne souhaitant visiblement ni appeler de renfort, ni partir, je me décide à trouver rapidement une solution. Celle-ci ne met pas longtemps à surgir dans mon cerveau ingénieux et je la partage à voix basse à mes collègues. D’abord réticents, ils finissent par céder devant mon insistance. Je m’écarte alors d’eux et me dirige vers le groupe de couche-tard. Après une vingtaine de mètres parcourus à pas lents, où je me contente de dire aux belligérants que je n’ai rien dit de grave, qu’ils se méprennent et qu’ils devraient se calmer pour pouvoir parler plus facilement, j’entends crier l’un de ceux que j’ai laissé derrière moi : « Saïd ! Saïd ! ». Je me retourne et lui demande ce qu’il veut. Il m’enjoint de revenir, ce que je fais d’un pas plus preste. Une fois que je suis revenu vers eux, il se penche vers moi et fait mine de me dire quelque chose dans le creux de l’oreille, comme si quelqu’un pouvait nous entendre de cette distance. Tout en faisant semblant d’être attentif au discours qu’il ne me fait pas, je scrute la foule qui se disperse en amont. J’entends voler quelques « traître » ici et là mais les jeunes se sont sensiblement calmés et ont l’air décidés à rentrer chez eux.

 Mes collègues me regardent en souriant, soulagés qu’ils sont de ne pas avoir à en découdre ce soir. Ils me demandent toutefois ce que j’ai dit pour qu’ils partent aussi aisément. Je leur rappelle que je leur ai fourni le plan avant et que je pensais qu’ils l’avaient compris. On insiste quand même lourdement en me disant que régler le différend était le moins que je puisse faire. C’est sûr que compenser une erreur de compréhension par une autre et prendre les gens pour des cons, c’est ce qu’il y a de mieux. Car loin de moi l’idée de dire que si les jeunes se sont laissés berner par une perception erronée, c’est qu’ils sont forcément tous cons. Sinon, je pourrais aussi dire que mes collègues n’ont pas de problème auditif mais un sérieux problème d’intellect, encore plus s’ils m’appellent Saïd sans savoir pourquoi.

 Plus tard, alors que j’enfile ma tenue bourgeoise, je suis informé qu’un véhicule de collègues a été pris à parti par un petit groupe d’individus, dans le quartier où nous étions intervenus. Il semblerait donc que tous ne soient pas cons, et qu’ils en aient encore après moi. Ou pas. Je décide de rentrer chez moi et de les questionner un autre jour sur leur motivation première. Il me parait évident que l’année commence de la plus belle des manières. Je suis soutenu, et dans la rue, et dans mon travail. Je suis passé de raciste à traître par la population, et je vais certainement m'entendre appeler Saïd pour encore un certain temps par la profession. Quant à ma résolution principale, c’est finalement la même que les années précédentes : faire attention à ce que je dis.

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