Épisode 9 - Derrick à la campagne.

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 Les turpitudes de la vie citadine étant bien lointaines depuis maintenant vingt-cinq jours d’un repos mérité, je parcours la douce campagne de mon enfance en toute quiétude. Mes bras sauvés de l’amputation, mon répondeur blasé par les messages de sympathie qui ont suivi mon coup d’éclat, je peux vaquer tranquillement aux occupations d’un fonctionnaire délesté de toute responsabilité. D’aucuns diront qu’il est malvenu de s’écarter de tous, moi, je considère qu’un mois sur douze complètement dédié à ma propre personne n’est rien comparé aux onze autres que je dévoue à mon prochain.

 Je marche donc, l’esprit libéré de toute contrainte, dans un petit village connu seulement de ses habitants. Ici, les gens ne voient en moi qu’un simple homme, un égal de confiance, alors que dans la grand ville la méfiance en aurait déjà inquiété plus d’un sur mon cas. Il est évident que les personnes n’ayant jamais connu la ville ne peuvent se rendre compte à quel point elle est remplie d’incohérences de la nature. Ils ne peuvent comprendre toutes les facettes de l’homme s’ils n’y ont pas été confrontés. Bien sûr, les mentalités ont tendance à évoluer, les voitures ne sont plus laissées ouvertes n’importe où, les garages ou dépendances inhabitées sont un peu plus sécurisés, et ceci, grâce (ou à cause) d’une plus grande dépendance à la télévision et à toutes ces séries policières qui, concurrence oblige, plongent vers plus de noirceur au fil des années. Si on peut concevoir la possibilité des actes inhumains qui sont évoqués, il est toutefois difficile de reconnaître que tout se passe dans la même ville, aux mêmes policiers, et aux même familles en si peu de temps. Pour un flic, même pour un ancien, il est par exemple impensable de le voir tirer avec son arme, et encore moins à chaque intervention. Et ce n’est qu’un exemple parmi tant d’autres.

 Je me perds dans ces pensées professionnelles et sociologiques alors même que je suis confronté à un magnifique décor. Je finis par croire que je ne suis pas si libre que ça et aucunement loin de mes responsabilités. Me perdre dans mes divagations n’est, de plus, finalement pas bien perçu par les paysans que je croise. J’ai passé ma route sans répondre à leurs saluts cordiaux et j’entends déjà derrière moi fuser des « parigots, tête de veau…. Parisien…. ». Je suis alors pris entre l’envie de me retourner et de m’excuser, ou simplement de leur dire que je suis flic, de surcroît. Mais cette deuxième solution aurait alors supposé que je reconnaissais être parisien, et ça, c’est hors de question. Un peu désappointé par cette image qu’on veut me coller, je repars dans mes pensées, la tête basse.

 Je me revois, petit, crier aux oreilles de touristes cette tirade de campagne, et j’y mettais, j’avoue, tout mon cœur. Il est toujours facile d’insulter ou de se moquer, quand on ne sait pas de quoi on parle. Les personnes à qui j’avais un jour dit cela, étaient-ils tous fonctionnaires parisiens, ou était-ce simplement la capitale qui rendait tout le monde considérablement pensifs à chaque minute de leur vie, et ce, même durant des vacances loin de tout ? Alors que j’en suis à me demander si la ville n’est pas une erreur de la nature, je remarque qu’un homme, qui n’est visiblement pas de la région, monte dans une automobile de sport et part en trombe en direction du nord. Ma curiosité piquée au vif, je monte dans ma voiture de location, garée à quelques pas, et poursuis, tant bien que mal, l’étranger.

 S’il y a bien une chose qui empêche de passer inaperçu lors d’une filature, c’est bien la vitesse. Lancés que nous étions sur les routes sinueuses de ma jeunesse, j’ai vite fait d’être repéré par celui qui me précède pourtant de quelques centaines de mètres. Alors que le conducteur a tout loisir de prendre la poudre d’escampette, son véhicule étant bien plus puissant que le mien, il s’avère que celui-ci semble avoir envie de jouer avec moi. Tantôt ralentissant son allure jusqu’à me laisser approcher de très près, tantôt accélérant jusqu’à ce qu’il ne me voit plus du tout. C’est ainsi qu’après quelques mouvements d’accordéon, et après l’avoir perdu de vue pour la énième fois, je décide de faire demi-tour. Alors que je suis en train de chercher l’endroit propice pour effectuer ma manœuvre sans danger, j’aperçois celui que je cherchais, sur le bas-côté, assis contre la carrosserie de son bolide. Je ne crois pas avoir participé à une course automobile mais son air de satisfaction suggère qu’il a gagné quelque chose et il tient à ce que je m’arrête, si j’en crois son signe de la main.

 Je stoppe mon véhicule à sa hauteur et baisse la vitre côté passager afin d’entendre ce qu’il semble avoir envie de me dire. Pour des raisons qui m’échappent, et expérience oblige, je m’attends à tout moment à ce qu’il me dise qu’il est un de mes nombreux supérieurs hiérarchiques, par le grade. Mais, cette fois, il n’en est rien. Celui-ci tente de savoir pourquoi je le suis, je feins de ne pas comprendre. Il se présente longuement, même un peu trop. Il me pose des questions auxquelles je reste sourd. Puis il me propose d’aller boire un verre. Il finit par me demander pourquoi je ne le reconnais pas. J’avoue qu’il ne me dit rien, même si son nom m’est vaguement familier. Il me fait remarquer que nous étions dans la même classe étant petits et que lui, m’a tout de suite reconnu. Je m’excuse poliment pour l’oubli, ou sa méprise, ou la poursuite qui n’en était pas une, ou pour celui que je n'ai pas compris tout de suite qu’il est devenu, tant qu’à faire, et je prends congé. Alors que ma fuite aurait dû le mettre sur la voie, dans un au revoir souriant, il jette sa carte de visite sur le siège à ma droite.

 Après avoir retrouvé mon chemin, par de nombreux détours, et une fois confortablement installé dans la cour de la maison familiale, mes souvenirs refont surface. Je me rappelle enfin de l’homme au bolide alors que je regarde doucement brûler sa carte de visite dans le barbecue en préparation. Pour ce que j’en sais, il ne comprenait pas grand-chose à l’époque, et ne comprend toujours rien. Et je lui en veux encore plus aujourd’hui de m’avoir piqué l’amoureuse de mon enfance, pour finalement en être arrivé là. Enfin, je me comprends. Cette mauvaise rencontre aura toutefois servi de leçon et il faut que je garde en mémoire que suivre quelqu’un en campagne prête à confusion. Même si le but est d’oublier Paris, mon travail et mes collègues quand je quitte cette région de dégénérés, je ne peux renier les réflexes professionnels qui font de moi un bon fonctionnaire. Et c’est malheureusement pour cela que je ne serai jamais à l’abri de désagréables incompréhensions, la probabilité étant, de plus, augmentée par les nombreuses vacances qu’on m’autorise.

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