Épisode 7 - Erreur de parcours.

5 minutes de lecture

 Il est souvent de bon ton de se remettre en question, même quand on n’a vraiment pas grand-chose à se reprocher. Parce qu’il faut faire avec les soucis quotidiens d’un monde qui ne nous veut que du mal, il est nécessaire de faire son travail encore mieux que ce que la loi prévoit. Après ce passage à l’Inspection Générale des Services qui n’a rien d’encourageant, tant le poil n’a pas été caressé dans le bon sens, je décide de prendre les choses en main et d’aller plus loin dans la politesse de mes propos et la douceur de mes gestes.

 Premier essai, lors d’un tapage nocturne assez bruyant. Je tape à la porte délicatement et sonne une fois pour annoncer ma présence. Le harcèlement n’étant pas dans ma nature, et ne souhaitant pas m’ajouter au bruit ambiant, je n’insiste pas. Malheureusement, personne ne répondant, me voilà tiraillé entre deux choix : partir la queue entre les jambes ou verbaliser le contrevenant sans le prévenir, celui-ci ne m’ayant visiblement pas entendu. Je ne peux laisser un perturbateur impuni et le voisin, même s’il ne pourra toujours pas dormir tranquille, sera au moins soulagé à l’idée de lui avoir fait perdre une belle somme d’argent. Je laisse donc un lourd timbre amende dans la boîte aux lettres du tapageur et prévient le requérant que je n’ai rien pu faire d’autre.

 Deuxième essai, lors d’un contrôle routier. Je demande, avec une extrême courtoisie, et armé d'excuses pour le dérangement, si monsieur veut bien se donner la peine de me présenter ses papiers ainsi que ceux du véhicule. Jusque là, tout va bien, sauf qu’il ne les a pas. Je lui signale que, quand même, il devrait les avoir sur lui, parce que la loi est ainsi faite. Il se défend de penser toujours à des choses inutiles et signale que les oublis ne sont pas impossibles, même pour moi. Comment pourrais-je contredire une parole aussi sensée, car, même s’il a tort, je ne peux me donner en exemple, ma nature étant exceptionnelle. Je me contente de lui dire qu’il a raison et que pour cela il ne sera verbalisé que pour la non présentation de son permis de conduire. Autant dire, une broutille compte tenu de toute son œuvre. Je lui demande à tout hasard s’il a consommé de l’alcool. La conversation étant alimentée de sarcasmes crédibles envers ma profession, je suis à peu près certain que ce n’est pas le cas, mais on ne sait jamais. Il me répond qu’il ne boit pas, et je peux le croire sur parole, mais il veut bien se soumettre au test si besoin. Je lui dis que ce ne sera pas nécessaire, la parole humaine étant généralement digne de confiance. Je le laisse donc repartir dans des échanges de sourires polis.

 Troisième essai. J’interviens chez un couple en proie à un différend. Le mari prend la parole et explique le désaccord. Évidemment, sa version ne laisse aucun doute sur l’issue. On ne va pas rester longtemps pour régler quelque chose qui peut se régler entre eux. Les deux sont calmes et je ne sais même pas pourquoi nous avons été appelés de prime abord. Je décide toutefois d’entendre ce que la femme a à dire, dans une pièce, à l’écart. Elle dissimule à peine une rougeur sur la tempe gauche de son visage. Elle ne souhaite pas s’étaler sur le sujet mais voudrait que la dispute cesse et que son mari se calme. Je lui réponds qu’il me semble plutôt calme et enclin à la discussion. Je retourne voir l’homme et lui signifie qu’il ne sert à rien de hausser le ton pour se faire comprendre, ni de montrer les poings. Bien sûr, je dis cela à tout hasard, en prévention d’un possible énervement. Le mari semble prendre le conseil favorablement. Je déclare toutefois que pour que les choses se règlent plus facilement, celui-ci devrait dormir à l’hôtel pour ce soir. Il me répond qu’il n’a pas les moyens, qu’il a un appartement, et qu’il ne le quittera pas. Il ajoute que sa femme aussi va rester, pour les mêmes raisons. Celle-ci n’ayant aucune objection à faire, je n’insiste pas, leur souhaite une bonne nuit et les invite à continuer cette conversation dans le calme, comme ils savent visiblement le faire.
Mes nouvelles résolutions manquent sérieusement d’expérience. À vouloir croire les gens sur parole, et d’écouter celui qui veut bien s’exprimer, on perd un peu de la réalité. Mais que pouvais-je bien faire de plus, même si tout me parait suspect ? Je ne peux pas obliger les gens à parler, s’ils ne veulent pas, comme je ne peux pas les faire taire s’ils souhaitent s’épandre. Seulement, voilà, des trois essais, aucun ne sera cité en exemple. Moi qui voulais éviter tout problème, je me retrouve avec trois rapports d’explication à rédiger.

 Le premier coupable, ne souhaite pas payer puisqu’il n’était pas chez lui le jour de la verbalisation. Il a des témoins qui peuvent l’attester alors il voudrait comprendre comment un agent assermenté a pu le verbaliser alors qu’il n’a même pas pris contact avec lui. Son absence étant une raison évidente (même si fausse) à cela. Deuxième incohérence : un accidenté de la route rejette la faute sur un fonctionnaire pour l’avoir laissé conduire dans de mauvaises conditions. Celui-ci, positif à l’éthylotest après un accident de la circulation, se demande pourquoi je ne l’ai pas arrêté quand j’en ai eu l’occasion. Il a montré à des collègues du commissariat voisin que je l’ai verbalisé deux minutes avant l’accident et que je l’ai laissé repartir alors que visiblement il était ivre. L’homme n’assumant pas ses actes jusqu’au bout, remet donc en cause la responsabilité de la Police. Troisième exemple d’incompétence, une femme est à l’hôpital en soins intensifs après violences conjugales, et ce, quelques heures après mon intervention. Les apparences ne présageaient pourtant rien de tel.

 Mais voilà, les apparences sont souvent trompeuses, et c’est mon travail de les cerner. Et mon travail, c’est aussi de m’imposer, de faire valoir mon jugement, et de faire comprendre les enjeux, la loi, et les obligations de chacun à se soumettre à mon avis. J’aurais dû taper plus fort sur cette porte, insister plus longuement sur la sonnette, quitte à réveiller tout le quartier. J’aurais dû faire souffler ce menteur alcoolisé, la parole humaine ne valant que peu de chose. Et j’aurais dû poser les bonnes questions, apporter réconfort à une femme en détresse, et l’éloigner d’un lâche bourreau des corps. La faiblesse n’est pas de mise quand la responsabilité de vies humaines nous incombe. J’en ai fait l’amère expérience et ne compte pas la réitérer. L’avantage d’une profession aussi complexe, soumise aux aléas hiérarchiques, c’est que j’ai moins de problèmes en faisant mal mon boulot, que lorsque je fus convoqué chez les bœufs-carottes. Ma capacité à raconter de belles histoires, par rapport administratif, m’évitera des problèmes légitimes, mais, à l’avenir, il faudrait que je redevienne le fonctionnaire zélé, sarcastique, et autoritaire que j’ai toujours été.

Annotations

Vous aimez lire Violent Policier ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0