Épisode 6 - L'Inspection des Gens Sérieux.

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 On entend dire ici et là que tout bon flic se rend au moins une fois dans sa vie à l’I.G.S. Je ressens une légère fierté lorsque je reçois ma convocation pour y aller en fin de mois. Il semblerait qu’une plainte ait été déposée auprès d’eux pour violences et arrestation arbitraire. J’ai beau ressasser mes souvenirs sur cette fameuse nuit, je me demande vraiment ce que j’ai bien pu faire d’affreux. Outre le fait qu’elle ne se soit pas vraiment retrouvée arrêtée, celle-ci goûtant à sa liberté assez rapidement, il me semble impossible qu’être menotté ou jeté dans une voiture puisse être assimilé à des violences. Évidemment, j’ai peut-être ignoré à tort son âge, et sa santé fragile, ce qui me coûte aujourd’hui les foudres de l’administration. Malgré tout, je reste assez confiant quant à l’issue de ce procès interne.

 Je me présente dans les bureaux redoutés de l’Inspection en compagnie de mon collègue. Je sais que je peux lui faire confiance, car ce qu’il va dire est la copie conforme d’un rapport détaillé de ce qu’il a vu et fait lors de l’intervention, que j’ai pris bien soin d’écrire moi-même. On nous fait attendre dans une pièce fermée, un certain temps, comme pour nous observer et écouter les secrets qu’on aurait envie de se dire, par hasard, ici et maintenant, avant une mort imminente. Le lieu n’étant pas aussi agréable que chez mon psy, je préfère ne pas me lancer dans les confessions. Mon collègue n’a pas autant de scrupule à faire dans le mélodrame et pleure sur mon épaule qu’il aurait préféré ne pas me connaître. Heureusement, rire à l’appui, je comprends que ma confiance n’est pas remise en cause et je plains les excellents fouille-merde qui vont avoir du mal à rester calmes.

 Voilà qu’on nous sépare et que je me retrouve face à un homme d’une trentaine d’années, dossier devant les yeux. Regard glacial et gestuelle militaire, j’ignore si c’est un rôle qu’il souhaite incarner ou sa propre personnalité qu’il met au profit de son travail. Je décide d’attendre les questions, même si les hostilités ont déjà commencé dans ma tête. Il me demande si je sais pourquoi je suis là. Je lui réponds que j’hésite entre plusieurs bavures de ma responsabilité. Bien sûr, je me vois rétorquer que je devrais moins faire d’humour. On m’explique donc que je suis là à cause d’une femme qui se serait plaint de mon comportement et de mes actes lors d’un contrôle routier. Je lui fais comprendre que tout ce qu’il veut savoir se trouve sur le rapport que je lui ai envoyé il y a quelques jours. Il me dit que certains points restent à éclaircir. En gros, il sous-entend qu’un des deux ment, et qu’il se peut que ce soit moi. Je lui confirme donc que je ne changerai pas de version, celle écrite étant une description précise de la réalité. Il veut que je confirme que je lui ai mis les menottes, il veut que je confirme que je l’ai assise dans la voiture. Je ne peux pas vraiment dire le contraire. Toujours aussi aimable, il tente d'expliquer qu’asseoir quelqu’un dans une voiture est différent de jeter quelqu’un sur une banquette, au risque que ce quelqu’un se cogne. Je lui demande donc s’il sait lire. Car, si oui, il verra que j’ai écrit le verbe asseoir sur le rapport. Je me rends bien compte que ce n’est pas de celui-ci qu’il souhaite discuter. Je lui explique que cette femme a beau dire ce qu’elle veut, elle n’a sûrement aucune trace de coup sur son corps. Et concernant les actes professionnels que nous avons pu entreprendre, mon collègue et moi, il suffit de connaître la loi pour se rendre compte qu’ils étaient justifiés.

 Sans me donner tort, mon interlocuteur semble toutefois vouloir que je reste encore un peu. Il me demande d’attendre et sort de la pièce. Quelques minutes plus tard, un autre homme vient prendre sa place. La probabilité pour qu’il y ait deux hommes avec le même comportement étant faible, je suis donc convaincu que le sérieux qu’ils affichent n’est qu’une façade. Il me déclare, avec l’air de dire que je suis en mauvaise posture, que mon collègue a reconnu que j’avais poussé un peu trop fort la plaignante sur le lieu du contrôle et que j’aurais eu des mots crus à son égard. J’ai beau nier en bloc, il ne me lâche pas. Et il ajoute que mon passé ne plaide pas en ma faveur. Je ne suis pas sûr de comprendre ce qu’il veut sous entendre, mes souvenirs ne faisant pas état d’une histoire de ce type. Voyant mon incompréhension, il décide d’éclairer ma lanterne. Il évoque une conversation des plus intéressantes qu’il aurait eu avec sa supérieure, une capitaine de Police. Le monde est donc si petit. Par le plus grand des hasards, ma muse de supermarché est de retour dans ma vie. L’âme en joie, malgré l’effet contraire que l’annonce aurait dû m’inspirer, je lui demande des nouvelles de celle-ci. Ne trouvant rien à répondre qui me regarde, il me fait savoir que ce n’est pas vraiment le sujet. Je lui réponds que ce qui est de l’ordre du privé est effectivement hors sujet, et c’est pourquoi il ne devrait pas prendre en compte cette histoire, d’autant plus qu’il n’en a qu’une version. J’arrive à placer qu’il s’agit d’un simple malentendu et j’essaie de savoir si l’intéressée se trouve à proximité. Visiblement jaloux, le fourbe ne veut pas me fournir de renseignement. Sans doute a-t-il vu l’ampleur de l’adversité, et il veut garder toutes les chances de son côté.

 L’entretien s’éternise et cet homme commence sérieusement à m’énerver. Il parle pour rien, accuse sur du vent et menace sans pouvoir ni raison. Quand je lui demande ce que je fais encore là, il ne trouve rien d’autre à répondre que l’enquête suit son cours. C’est assez étonnant qu’il ne se soit pas encore rendu compte que les vraies enquêtes étaient résolues par des gens comme moi, pendant que des gens comme lui brassaient de l’air. Enfin, il est décidé que je suis libre. On me fait signer mes déclarations et on me fait comprendre que je suis passé près de la correctionnelle. On me dit aussi que la prochaine fois, ce ne sera pas aussi facile de m’en sortir. J’ose demander comment il peut en être ainsi alors que mon collègue m’a lâchement dénoncé. On me répond qu’il est parti depuis longtemps et qu’il n’a rien dit de plus que le rapport. Je masque difficilement ma surprise en lançant un « sans blague » provocant. Je me demande toutefois pourquoi je n’ai pas eu droit au même traitement de faveur. Pourquoi attendre si tard pour me libérer alors qu’il n’y avait rien de plus à dire?

 Peut-être qu’une capitaine de Police de ma connaissance avait des projets pour ce soir mais qu’elle a dû quitter précipitamment les lieux, scellant ainsi la fin de ma journée. Je n’ai donc plus qu’à attendre une autre opportunité. Je prends la direction de la sortie, et respire à nouveau l’air des gaz d’une ville qui s’éteint. Entre ces lumières blafardes, cette lune invisible, cachée derrière des nuages de pollution, et ce sentiment étrange d’avoir raté quelque chose, l’odeur de la liberté ne peut avoir plus mauvais goût. Si le professionnel que je suis est libre comme au premier jour de service, l’homme, lui, a trouvé en cette femme de pouvoir, sa prison dorée. Heureusement que je ne vis que pour le travail, elle aurait vite fait de me rendre fou, à se cacher de moi. Je regagne ma cité de tous les vices pour oublier tout ça et maltraiter de nouveaux contrevenants, comme pour compenser ce malaise affectif qui me ronge. Cette arrivée dans ma vie est un frein à mon ambition, et je compte bien trouver une parade à ce harcèlement des sentiments. Je ne remettrai plus les pieds à l’Inspection, qu’on se le dise.

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