Épisode 3 - Éducation parentale.

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 Les joies d’une profession exercée de nuit sont souvent légion. Par de nombreuses occasions, il nous arrive de prendre énormément de plaisir grâce aux comportements extrêmes des insomniaques, laissés pour compte ou autres marginaux. Ce n’est pas pour autant que nous négligeons les familles modèles, confrontées malgré elles à certains problèmes inévitables. C’est ainsi qu’un soir d’hiver, le froid frappant nos joues, nous nous dirigeons d’un pas décidé chez une veuve dans le besoin. Parce que le malheur des uns ne fait pas forcément le bonheur des autres, nous affichons sur nos visages le sérieux qui nous caractérise. Nous frappons donc à la porte de cette mère de famille qui ne s’en sort pas avec son fils et pénétrons, sur son invitation, dans l’appartement.

 Pendant que je m’entretiens avec elle, mon collègue s’en va à l’écart évoquer les problèmes relationnels que peut avoir le jeune garnement. La quinquagénaire me décrit son fils comme renfermé, ne sortant pas, n’allant plus à l’école et ne faisant rien de ses journées. Elle partage ses craintes quant au devenir de celui-ci et met en relation la mort de son mari avec les récentes sautes d’humeur de son protégé. Me reconnaissant par certains côtés dans ce portrait valorisant, je tente de faire comprendre à celle-ci que les motivations d’une génération à l’autre ne sont pas souvent les mêmes. Évidemment, cette envie de ne rien faire ne doit pas entrer en ligne de compte si c’est pour vivre aux crochets de la société et plus spécialement aux crochets de sa propre mère, même si la tentation est compréhensible.

 Je lui fais toutefois comprendre que je ne suis pas assistante sociale et que je ne suis pas le plus compétent en ce qui concerne l’éducation. J’insiste bien sur le fait que des missions de la plus haute importance nous attendent et que nous ne pouvons donc pas intervenir trop longtemps chez elle. Exposé que je suis à ses relances incessantes me demandant de l’aide, je décide d’aller moi-même disputer son fils, me doutant bien que mon collègue l’a pourtant déjà fait. D’une, cela me permet de ne plus l’avoir sur le dos, et, de deux, je vais pouvoir exercer une autorité fictive ponctuée de menaces appuyées. En somme, un rêve.

 Je fixe d’abord le futur chômeur d’un regard sévère. Je constate d’ailleurs qu’il n’a pas dû prendre de douche depuis une semaine et qu’il a sans doute perdu son peigne dans ses cheveux hirsutes. Prenant ma voix la plus grave, je le félicite de faire pleurer sa mère. Je poursuis en lui faisant part du respect qu’il fait naître en moi. En effet, réussir à nous faire venir parce que sa mère lui interdit logiquement l’accès à l’ordinateur défectueux, et jeter des affaires au sol par désarroi, tout ça parce qu’il ne peut discuter sur MSN* avec ses amis, sont autant de motifs forçant l’admiration. Évidemment, le ton employé n’est pas le même suivant l’âge de l’interlocuteur. Étant sorti depuis peu de l’adolescence, je préfère donc lui parler dans un langage qu’il intègre plus facilement, tout en laissant penser que je pourrais être son père. Cette technique s’avère être un échec cuisant, quand au cours de la conversation, le jeune rebelle annonce, non sans fierté, qu’il fêtera ses 20 ans à la fin de l’année. Je passe donc du possible père, au rôle d’improbable grand frère. Je dois admettre que, malgré mon admiration toujours en hausse, mon envie de lui mettre une baffe a fait irruption dans un coin de ma tête. Mais la déontologie étant ce qu’elle est, je ne peux me résoudre à mettre en pratique mes méthodes personnelles d’éducation. Il faudrait d’ailleurs que l’on se penche sur certains cas particuliers de la profession, ceux-ci méritant grandement le recours aux sévices corporels. Je prends sur moi, lui conseille de grandir, de quitter le domicile de sa mère et de trouver un travail. Je l’oblige également à nettoyer le désordre qu’il a pu provoquer.

 De retour aux côtés de sa mère, et pendant que nous regardons le petit s’éreinter à la tâche, je confie mes espoirs à celle-ci quant au devenir de son fils, qui semble avoir compris la leçon. Je les invite à se parler posément, tous deux étant finalement adultes, du moins en âge de l’être. Ceux-ci commencent donc à nouveau à converser, mais malheureusement dans un langage de sourds. Voyant que nous ne nous en sortirons pas, nous décidons de quitter ce lieu de sinistrés sociaux, et c’est en refermant la porte que je comprends enfin que la fautive n’est autre que la mère. Moi qui n’avais rien soupçonné et qui me suis jeté sur l’enfant comme on se jette sur un bon gâteau, je me rends compte à quel point j’avais tort. En effet, il semblerait que cette mère indigne ne veuille jamais jouer à la console avec lui, alors qu’il en émet le grand besoin. Ayant déjà refermé la porte sur cette complainte, j’hésite à entrer à nouveau pour insulter la coupable. Mon collègue comprenant mon intention, il m’empêche toutefois de le faire et nous partons définitivement.

 Je n'ai de cesse durant le chemin du retour au commissariat de réfléchir à une nouvelle campagne du Ministère de L’Éducation : N’oubliez pas que le sein se donne aux enfants âgés de 0 à 5 ans, l’apprentissage de l’habillage autonome se termine à 18 ans et les loisirs en tête à tête entre mère et fils, et en particulier les jeux vidéos, peuvent se pratiquer jusqu’à 77 ans, selon les nécessités de l’enfant. Il y a des erreurs dans la vie qui n’entraînent pas d’énormes conséquences, la mienne m’oblige à sentir une épée de Damoclès perchée au-dessus de ma tête. Mon erreur d’appréciation pourrait mener au suicide d’un laissé pour compte insoupçonné, et ce, à l’âge de 20 ans.



Note de l’auteur : * Ancienne plate-forme populaire de conversation virtuelle.

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