Épisode 1 - N'est pas expert qui veut.

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 Me voilà sur ma première scène d’infraction. On me demande de prouver mes nouvelles compétences, ce qui, en soi, est complètement stupide, vu que je ne les ai pas étalées du tout et que je préfère m’en cacher. Les choses se sachant rapidement, et les anciens désignés accueillant avec bonheur de nouveaux punis, il a ainsi été décidé que je m’y collerai. Aussi, à peine arrivé sur place, excité que je suis à l’idée de montrer ce que j’ai appris, je me précipite pour attraper ma mallette de petit enquêteur et enfiler gants et masque. Premiers regards suspects. On me rit au nez, en s’appuyant sur des particularités vestimentaires qui ne sont pas de mon fait mais bien de ma profession. Il semble donc qu’il faille privilégier son aspect physique plutôt que le travail bien fait. Je passe outre cette première remarque et commence à sortir pinceaux et poudres, histoire de coincer le ou les coupables dans les mailles de mes « transferts » techniquement parfaits. De nouveaux regards suspects. Je vérifie mon masque, mes gants, mais il semble que ces nouveaux regards se portent maintenant sur le pinceau et la poudre que je m’apprête à étaler sur la porte. Je commence à croire que ma formation n’a pas été totalement ingérée. Pendant que mes yeux tentent de percevoir chez mes compères l’erreur que j’aurais pu commettre, j’applique délicatement la poudre sur le bois. À voir les soupirs de mes fervents supporters, j’ai dans l’idée que cette manœuvre n’était en fait pas prévue au programme.


 Cette formalité passée, nous entrons dans l’antre du crime. La victime nous précise, larmes aux yeux, qu’un Polaroid appartenant à sa grand-mère lui a été dérobé. Il se sent obligé de préciser qu’elle est morte quelques années auparavant, ce détail pouvant sûrement être utile à l’enquête. À voir le désordre de la pièce on se dit que d’autres objets ont disparu. Fort de mon expérience naissante, je tente la question pertinente de savoir s’il y a des objets qui ont été déplacés ou si des choses dont il ne connaît pas la provenance se trouveraient maintenant chez lui. Alors que notre pauvre victime se lance dans une réflexion digne des plus grands penseurs, qu’il énumère à voix haute tous les objets qui lui appartiennent mais qu’il ne touche pas et qu’il n’a jamais touchés, je sens déjà poindre sur moi d’autres regards désapprobateurs. Il semblerait que ma question n’avait de pertinence que pour le requérant, qui, lui, voyant très bien où je veux en venir, tente désespérément de nous montrer que les traces qui sont sur l’interrupteur de la lampe ne peuvent pas venir de lui. Il nous montre ses doigts, puis la trace. Dans mon malheur, il se peut donc que monsieur soit aussi spécialiste. Celui-ci s’évertuant toujours à affirmer qu’il ne touche jamais ce bouton, je me dis qu’un dispositif de commande de lumière à distance a dû être installé en lieu et place de son cerveau.


 Après diverses confrontations d’idées entre experts, la victime et moi décidons alors que le mieux serait de trouver les coupables sans empreintes, vu qu’il n’y en a pas. Pour être sûr, je lui pose encore une fois la question de savoir si des objets sont susceptibles d’avoir été touchés par les voleurs, et là, une lueur jaillit dans ses yeux. Il me répond oui. Je m’attends donc à devoir ressortir mon matériel. Mon entrain est définitivement coupé lorsque celui-ci ajoute, non sans préciser judicieusement que j’aurais du mal à trouver des empreintes, que les criminels ont dû toucher le Polaroid volé. J’esquisse une moue contrite pour lui faire comprendre que ses propos sont sensés et que je suis moi-même le plus désolé dans l’histoire. Pas parce qu’on passe de peu à côté de l’affaire du siècle, ni parce que sa grand-mère est encore dans ma mémoire, mais bien parce que celle-ci doit se retourner dans sa tombe en voyant ses gênes maltraités ainsi.


 Mon interrogatoire n’étant pas terminé, je finis par supposer que les auteurs ont bien dû toucher des choses, vu le désordre ambiant. En entendant qu’il n’y a rien d’inhabituel dans ce bordel sans nom, je suis définitivement soulagé (pour des raisons professionnelles, pas vraiment pour lui), mon intervention touchant à sa fin. Je prends donc congé de mon nouvel ami polyvalent, tout en lui souhaitant bon courage dans cette épreuve difficile qu’est de perdre un polaroid. Je lui soumets également l’idée de penser à faire le ménage ne serait-ce que pour retrouver son antiquité sûrement oubliée dans un coin. Je lui demande toutefois, avant de partir, la période durant laquelle il a été absent, afin de connaître l’heure approximative du vol (supposé). Celui-ci m’achève en déclarant fièrement ne pas avoir quitté son domicile et avoir juste entendu le bruit sur sa porte. Je décide de couper court à la conversation, et je rejoins mes vrais collègues, partis depuis bien longtemps pour m’attendre dans la voiture. Je leur expose les faits, le montant du prétendu larcin, et leur tends le « transfert » (bien inutile) avec une joie non feinte.


 Enfin, nous regagnons notre base pour un léger débriefing. D’après les éléments en notre possession, il s’avère que seule la porte a été dégradée, que le polaroid n’a sûrement pas été volé, et que personne n’est entré dans l’appartement. Nous arrivons donc à la conclusion que je ne dois plus endosser cette énorme responsabilité. Pour des raisons de gain de temps, de salive, de poudre et pour une meilleure santé mentale.
Sauvé.

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