Humus

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Humus (n.m.) Pour un arbre.

Là d’où l’on vient. Là où l’on va. Matrice.

Il y a des termites à Noumea. Dans la charpente de ma maison ? Non. Au Parc Forestier. Dans l’humus de la terre, ces petites bêtes ont construit des monticules, sonnant creux, qui servent à la régulation thermique. Les termites sont des as de la relation hétérospécifique durable, appelée symbiose. Grâce à des cultures de champignons, dans des chambres souterraines, la lignine et la cellulose du bois sont prédigérées. Il ne reste plus aux termites - et à leur très riche flore interne de bactéries - qu’à finir le travail. La conversion énergétique est remarquable, 95%, dont il ne restera que poussière et cendres, émanations gazeuses, aboutissement de la logique économique en mode maximum. Les termites comme les fourmis, nous ressemblent un peu. Elles ont, comme nous, des rôles sociaux déterminés au sein de la colonie, rôle qui s’inscrit par la transformation épigénétique - et donc bio-chimique et physique - des individus. En arrêtant son développement, l’individu devient Ouvrier ou Soldat. Grattez une termitière, un peu après la pluie, et vous verrez accourir quelques termites, mandibules en avant et corps blanc laiteux. Le travail de développement s’est arrêté au milieu, entre larve et individu. Il n’y a qu’un couple reproducteur, Roi et Reine, dans chaque termitière. Mais, qu’il y ait un problème, et un ouvrier du rang ou une servante continuera sa transformation. Comme dans les Contes pour Enfants, le Vaillant Petit Tailleur ou Cendrillon, il ira jusqu’au stade royal, épousera la Reine s’il est Roi, ou le Prince.

L’Humus est nécessaire à la vie. L’humus est habité par la vie. C’est un milieu chaud, humide, stable, protégé des excès du soleil - chaleur et ultra-violets - par une ombre tamisée. Et c’est un milieu d’une richesse biologique incroyable. On appelle ça un incubateur. Faisons une coupe verticale. Nous passerions d’un rocher stérile à l’espace aérien, en traversant une très mince couche d’humus, mais avec quelle richesse dans ces quelques centimètres ! Cette jungle écologique n’est comparable qu’à la densité bactériologique de nos intestins, ou à la panse des ruminants. Oui, l’intestin ou la panse sont une comparaison adéquate pour l’humus, chacun étant à sa façon un réacteur biologique optimisé. Les termites sont de redoutables émettrices de méthane. Chaque termite en produit un demi micro-gramme par jour, mais il y a tellement de termites. En forêt tropicale, elles consomment 6 à 7 tonnes de matière par an et par hectare, soit 50% du total, produisant 27 M de tonnes de méthane, et 10% du total mondial. Le réchauffement de la planète ? Ce n’est pas leur problème. L’humus est chaud, humide, stable. L’incubateur parfait, non seulement pour des millions d’acariens, nématodes, micro-arthropodes, bactéries ou champignons, mais aussi pour toutes les graines, petites ou grandes, du règne végétal.

Dès qu’une graine tombe dans l’humus, elle est soumise à une attaque en règle. Chaleur, humidité, champignons, ont bien vite fait de briser la résistance de la coque, d’inactiver les substances chimiques de la dormance. L’incubateur, par toute une série de moyens intrusifs, casse les résistances, et les belles endormies – les Belles au Bois Dormant – se mettent à dérouler leur programme, dans une frénésie d’activité cellulaire que seule la mort, un jour, arrêtera.

Les termites, ce n’est pas très spectaculaire. Sous terre, que se passe-t-il ? Comme en haut on le suppose, naissances, morts, guerres, destructions, travail. Les rêves en moins, peut-être. Je n’ai pas vu de termite sur le toit de sa termitière, à regarder les arbres et les étoiles. Jusqu’où imaginer le plus loin du regard ? Où est le plus petit, le plus grand ? Sommes-nous seuls ? Ce ne sont pas là questions de termites. Mais la question de savoir s’il faut se débrouiller seul ou pas, ça c’est une question de termite. Et les termites ont clairement donné une réponse, celle de la prédation systémique et du détournement massif de l’interrelation symbiotique à leur profit.

Résumons. Les lieux symbiotiques par excellence sont des lieux d’interface, chauds, humides, riches. Chambres d’incubation des colonies d’insectes sociaux, intestins, panses et humus. Tout cela est bien sombre me direz-vous, et un peu triste, voire désespéremment trivial. Détrompez-vous. Il est possible de dépasser l’horizon borné des réacteurs biologiques. Car la graine, pour peu qu’elle soit une graine d’arbre, ne va pas en rester là. Rester au chaud, dans la chaleur humide de la matrice, c’est bien. Mais quelque chose manque. La lumière. Dans le réacteur biologique, chaud, humide, la seule source d’énergie vient d’une forme extérieure, feuille morte ou bois sec, qui n’est point source. Pour trouver l’énergie, il faut casser les molécules constituées. La source première, elle, est plus loin, plus loin que cette masse sombre au-dessus. Encore au-dessus, c’est la lumière. C’est vers elle que les arbres un jour ont décidé d’aller. Héliotropisme, l’attirance pour le soleil. Seul le géotropisme, l’attirance pour la source terrestre, l’eau des failles profondes, est assez fort pour faire la balance. Vers le haut et vers le bas. Symétrie des branches et des racines. Dois-je l’avouer ? Je suis plus sensible aux feuilles qu’aux racines. Je ne suis point termite. En élevant leurs sommets, les arbres ont élevé leur sphère à des hauteurs qui nous ravissent, nous les humains. Ce que nous partageons avec l’arbre au dessus du sol, pour le meilleur et pour notre joie, c’est la lumière.

L’arbre s’est redressé. En allant vers la lumière, il a fait le bon choix, et, s’éloignant de la logique auto-destructrice de l’humus, il jaillit désormais à la source inépuisable.

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