Canopée

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J’aime les matins, lorsque la brume se lève sur la canopée. On peut entendre les oiseaux se réveiller, un par un, et entamer le Chorus Matinal. Il s’agit du chant de tous les oiseaux, qui s’activent et prennent leurs marques les uns avec les autres, histoire d’avoir, dans la tête, la position de chacun, l’humeur de chacun. Morning chat, revue de presse : on appelera cela comme on voudra. Mais il est clair qu’il y a là une forme d’organisation mélodique, de communication. Pourquoi le chant des oiseaux nous plaît-il ? Après tout, ces espèces ne nous ressemblent pas. Pourtant, elles sont assez justes. Comme ça, d’instinct, sans avoir fait le Conservatoire, elles savent. Qu’est-ce que l’instinct, d’ailleurs ? Ce mot ne devrait pas exister, il n’est là que pour recouvrir notre ignorance. Lorsque quelque chose se passe, dans le monde animal où humain, et que l’on ne sait pas d’où ça vient, on dit « C’est l’instinct ». Que les oiseaux chantent d’instinct – et juste de surcroît - soit. Mais que tous les oiseaux partagent cette qualité communicationnelle avec les humains, voilà qui est étonnant.

Hypothèse. Les oiseaux et les humains partagent ceci : ils élèvent la sphère symbiotique au-dessus du sol, au-dessus des matrices chaudes et fusionnelles des interfaces biologiques, pour atteindre une chose nouvelle et avant tout mentale, le chant. Les arbres et les oiseaux forment un réseau social de premier ordre, équivalent au notre dans la canopée, quoique beaucoup plus simple. On pourrait placer ici le chant des baleines, le chorus des loups, et d’autres activités encore. Aucune n’atteindrait pourtant le niveau mélodique des oiseaux, ni l’ampleur de leur réseau, sur les immenses forêts brumeuses des matins du monde. Hypothèse Canopée. Hypothèse séduisante. Elever les boucles rétroactives de la symbiose au-delà du simple biologique, c’est éviter la répétition abrutissante, et trouver dans le domaine de la communication, la possibilité du chant. Un jour, l’homme s’est redressé et s’est mis à chanter. L’arbre, lui, s’est élevé, accueillant les oiseaux.

Il y a longtemps, la terre était un immense océan. Parmi quelques îles, émergeait une masse imposante, un continent appelé Gondwana. Dans cet espace d’un seul tenant sont nés les arbres, avant la dérive des continents. Quel était le climat du Gondwana ? Quelles étaient ses zones climatiques ? Ses grandes familles végétales et animales ? Son relief ? Ses rivières ? Ses lacs ? Connaissez-vous le Dévonien (-420/-360M d’années) ?

Alors que le Silurien, qui le précède dans l’échelle des temps géologiques (-445M/-420M d’années) ne connaît que quelques rares mousses ou fougères, à peine plus hautes que le genou, le Dévonien voit évoluer certaines Filicophytes. Feuilles et racines font leur apparition. Arriver sur la lande Gondwanienne, au Silurien, c’est tomber dans un marécage fétide, où rien n’arrête la vue jusqu’à l’horizon. Les pieds dans la boue, on voit émerger des poissons à cartilage, les premiers poissons à écailles, des arthropodes, toute une faune grouillante… Pas vraiment le pied, la terre au Silurien ! Alors que débarquer au Dévonien, c’est tout à fait autre chose. C’est débarquer dans la forêt. L’espace a été conquis sur les tout premiers mètres, en hauteur. Surtout, arriver au Dévonien, c’est arriver dans un autre climat. L’air est beaucoup plus frais. Il y a beaucoup plus d’oxygène, un ciel plus bleu, un air plus froid. Voire très froid ! Le Dévonien voit se succéder plusieurs glaciations. En quelques dizaines de millions d’années, l’arrivée des arbres va bouleverser la chimie de l’atmosphère. L’explosion de la masse verte entraine la baisse du carbone atmosphérique - le carbone est stocké par la matière végétale puis enfoui dans les couches sédimentaires - un accroissement de l’oxygène (Ha ! Le ciel bleu !) et la chute des températures. Des phénomènes d’anoxie des océans sont probables, à grande échelle, lors des périodes de déglaciation. Au final, le Dévonien verra disparaître 75% des espèces, et, surtout, 19% des familles.

Alors, l’homme ne serait-il pas le seul serial-killer aggripé à l’échelle des temps géologiques ? Comme dans une enquête policière, il convient de chercher à qui profite le crime. Les arbres se portent bien, merci pour eux… Arbre, mon frère, mon égal sous l’oeil de Caïn ! Nous connaissions déjà la météorite, qui a provoqué l’extinction des dinosaures, il y a 65 milllions d’années. Faudra-t-il mettre l’arbre au rang de ce dangereux malfaiteur ?

Depuis le Dévonien - avec une mention spéciale pour le très actif Carbonifère - la planète stocke du Carbone. Aujourd’hui, la planète déstocke. Nous retournons aux climats antérieurs humides et chauds, avec leurs calottes glaciaires réduites, leurs grands déserts intermédiaires. Lorsque nous en serons au Dévonien, juste avant le triste Silurien, prévenez-moi. Mars, paraît-il, est notre prochaine destination. Je tiens absolument à réserver un billet pour la Planète Rouge, avant qu’il ne soit trop tard. J’aurai n’en doutons pas, au fond des poches de ma combinaison spatiale, quelques graines de l’ère bio-géologique nouvelle. Certains lieux du Maquis Minier m’inspirent et je me sens déjà, à l’aube extra-terrestre, l’âme d’un semeur.

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