La fin de la compétition

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J'étais en train de manger mes oeufs au fromage et au jambon avec des rôties, du gruau aux raisins secs, des fruits tranchés, du bacon et des patates rôties, lorsque Braden entra avec mon père, claironnant que Moller, le premier nageur que j'avais dépassé la veille, était parti recommencer la nage il y a 20 minutes.

J'avalai de travers la bouchée que je venais de prendre... Mon père me dit alors que j'avais une heure et vingt d'avance sur lui, soit 5 km, puisqu'il avait arrêté de nager deux minutes après que je l'aie dépassé... Il me calma encore davantage quand il me dit qu'à présent, ce n'était plus une course, mais une épreuve d'endurance : l'histoire ne retiendrait mon nom que si je parvenais à atteindre Frederikshavn à la nage, et que je réussisse l'exploit à la première ou à la deuxième position n'aurait que peu d'importance

- Et qu'est-ce que je t'ai toujours dit, Sabine ?

= La préparation et la méthode valent mieux que l'empressement...

- Je viens d'engager deux masseuses qui arriveront dans cinq minutes pour te faire un massage à quatre mains. Il finira donc à 9h... Après, je veux que tu fasses 20 minutes d'échauffement. Tu pourras ensuite recommencer ta traversée, soit à environ 9h30. Tu as un avantage : le paquebot a jeté l'ancre tout près de l'endroit ou tu t'es arrêtée hier. Le règlement stipule que tu dois recommencer à nager 12h maximum après avoir cessé. Tu recommenceras un peu moins de 11h plus tard. Tout est donc ok.

Les deux massages que j'avais reçu ce matin et la veille, alliés au repos que je venais de prendre, firent en sorte que j'étais fraîche et dispose pour le retour dans la Kattegatt... Mon père, une fois de plus, avait été d'excellent conseil.

Bolden avait recommencé sa traversée 20 minutes plus tôt, ce qui fit en sorte que nous fûmes côte à côte lorsque je plongeai... J'aurais pu aller un peu plus rapidement, et ainsi prendre la tête, car en effet, Bolden semblait encore un peu courbaturé de son exploit sportif de la veille... Mais il était agréable de ne pas être toute seule à nager dans le corridor, et si j'avais plus d'énergie que lui, il serait toujours temps d'augmenter la cadence plus tard...

Nous fendions l'eau à 4 km\heure. Ma vitesse normale était un peu plus rapide que cela, mais je calculai qu 'il restait 44 km pour atteindre notre but, et je calculai que pour les 4 prochaines heures, soit jusqu'au diner, je pouvais maintenir cette cadence car "Qui veut aller loin ménage sa monture" .

Nous dînames tous ensemble en joignant nos deux canots. Il me fit découvrir les bangers, ou saucisses anglaises, et je lui fis gouter au pâté chinois. Lorsque la demi-heure fut finie, je le quittai avec regret pour reprendre ma propre cadence... Il était 2h, il restait 28 km, et 8 h avant qu'il ne commence à faire noir... Je devais calculer une autre demi-heure pour le souper, et l'incidence possible de la fatigue qui finirait par montrer son nez à nouveau.

Je nageai 21 km en 5h. Le paquebot nous suivait de loin derrière, ce qui faisait en sorte que je n'entendais que mon père jaser calmement avec Braden et l'équipage du canot... C'était comme si nous étions toujours au chalet de mon grand-père dans les Laurentides.

Je soupai è 19h et ne pris que 20 minutes de pause: je vis le journaliste de UNS suivre Bolden et mener une interview tandis que ce dernier devait nager, et il me fut aisé de deviner qu'après, il viendrait me déranger.

Ce qu'il fit :

- Nous sommes en ce moment-même aux côtés de Mlle Sabine Côté qui est en train de réaliser l'exploit de 2002 du Suédois Petterssen et du Danois Andersen de 1984.

Il se pencha vers moi pour se mettre davantage à ma portée avec son micro :

- Pouvez-vous nous dire comment vous vous sentez alors que vous venez de parcourir 80 km à la nage en moins de deux jours ?

- Pouvez-vous éloigner vos caméras s'il-vous-plait, la course n'est pas terminée ! fit mon père.

Je tentai de l'ignorer

- Mademoiselle, deux minutes s'il-vous-plait, pour le public d'Autriche ?

- Monsieur, pardonnez-moi, mais je dois nager... Je le regardai droit dans les yeux, pour m'apercevoir qu'il ne lâcherait pas le morceau... Je vous prierais de bien vouloir comprendre ma situation, et de retirer ce micro... Votre position sur le canot d'expédition n'est guère sécuritaire...

- Monsieur, veuillez cesser sur-le-champ d'interviewer ma fille avant qu'elle aie finit ce pour quoi vous l'interrogez !

Fidèle à son habitude, le journaliste n'en fit qu'à sa tête. Mon père me regarda...

- Monsieur, je ne saurais que trop vous recommander de cesser l'interview, avant que vous ne le regrettiez... fit-il

Le journaliste releva à peine les yeux vers mon père, avec un sourire ironique: il devait être convaincu que mon père avait trop de classe pour vraiment intervenir. Il devait juger qu'il était trop loin...

Il devait croire que c'est de lui-même dont il parlait dans sa mise-en-garde, ou d'oncle Braden.

Je lui fit un sourire charmeur en lui demandant de me céder le passage. Il fut enchanté que je veuille monter dans l'embarcation, mais il ne me vit pas y monter tandis qu'il adressait un sourire triomphant à la caméra. Il se retourna vers moi :

- Mlle Côté !

- M. Jones ! fis-je avec un sourire ironique avant de le saisir par le collet et de le pousser de tout mon poids dans l'eau... Le pauvre, il n'eut aucune chance. Je lui fis une clé de bras en le tirant d'un côté et de l'autre. Il se débattait sous l'oeil ahuri du caméraman qui continuait à filmer la scène.

Je le lachai, finalement, et le temps qu'il reprenne son souffle, je remontai dans son canot et l'aidai à y remonter d'un seul bras. Il se releva rapidement, le regard très en colère... Toujours devant la caméra ! Je me saisis du micro qu'il avait laissé tomber dans le fond du bateau, et mon regard se promenant entre le viseur de la caméra et le malheureux :

- M. Jones, fis-je avec un clin d'oeil se voulant dragueur, je ne sais pas comment on agit par chez-vous, mais par chez-moi, quand une dame dit qu'elle en a assez, on l'écoute !

Mon père fut crampé de rire, je fis un rapide sourire à la caméra, redonnai le micro au journaliste, et je replongeai dans l'eau pour continuer à nager. Un regard en arrière après quelques brasses me fit me rendre compte que le gars avait cessé de filmer, et que le dénommé Jones était assis dans l'embarcation, l'air maussade et frustré. Bolden, en retrait derrière, s'était un peu raproché, et me fit un thumbs up avec un sourire éclatant

Le reste du voyage se passa sans anicroche. J'atteignis Frederikshavn à 21h30. En 35 minutes de moins que le Suédois Pettersson de 2002. En 53 minutes de moins que le Danois Andersen de 1984.

-Tiens, toé ! ah ah ah ah !, fis-je en me retournant sur la grève vers le Kattegatt

Le caméraman avait filmé mon arrivée à partir de la grève... Jones m'avait demandé avec précaution de leur faire cette faveur... Je savais qu'il ne manquerait pas de mentionner les deux records que je venais de battre. J'avais retrouvé mon caractère jovial

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