Le départ

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Il y avait déjà des pagayeurs disséminés sur les cents premiers mètres, attendant d'accompagner la première floppée de baigneurs, tandis que d'autres attendaient sur la grève la seconde équipée. Les corridors de gauche étaient réservés aux nageurs amateurs, et l'extrême droite, aux athlètes qui s'étaient beaucoup entrainés et qui étaient de calibre olympique. Entre les deux, se mélangeaient tous ceux qui étaient de niveau intermédiaire.

Je me glissai à quelque part entre la droite et le centre, le temps de trouver ma "vitesse de croisière". Trois filles plutôt joviales m'invitèrent à me joindre à leur groupe, ce que j'acceptai : c'était toujours plus facile, dans ce genre d'événement, quand on faisait partie d'une équipe qui s'aidait et s'encourageait pour se garder motivé. Mes valises étaient d'ores et déjà dans un casier cadenassé sur le bateau de croisière qui allait nous accompagner tout le long.

À noter que je partis des rives de Vässingsö dans la première vague de nageurs de 9h du matin... D'autres avaient entrepris cette nage dès 7h30 ce matin, partant de plus loin, soit du port de Göteborg, à l'intérieur des terres... Ces derniers arrêteraient à Stora Billingen, soit, avant d'atteindre le bassin. C'était, pour beaucoup d'entre eux, un moyen de se tester avant que dans une année subséquente, ils fassent le grand saut dans la Kattegatt.

Certains prenaient l'événement avec beaucoup de sérieux, et n'entendaient pas à rire, tandis que d'autres en faisaient une activité familiale ou amicale. la foule de l'extrême gauche était particulièrement bruyante.

Le hasard fit bien les choses, car Fanny, Rebekah et Laeticia nageaient à la même cadence que moi. Nous primes un départ énergique, rejoignant rapidement ceux qui étaient devant nous, et nous nous arrangeâmes pour percer à travers trois des corridors qui étaient sur notre droite, pour atteindre celui qui convenait davantage à notre vitesse.

Les "Let's go, girls !", les "Bravo" et les "Come on ! Vous êtes capables" fusaient dans les embarcations. Ces paroles excitées nous motivaient, tout comme de considérer tous ceux qu'on dépassait sur notre gauche.

Les premiers à arrêter furent, naturellement, ceux qui étaient venus avec leurs enfants. Pour encourager la relève, tous les enfants qui parvenaient à faire 30, 45, puis 60 minutes de nage, recevaient respectivement un ruban jaune, bleu ou rouge avec, inscrits dessus, # 3, # 2 ou # 1.

Une fois ces derniers partis, le brouhaha diminua de beaucoup. Les plus vieux purent embarquer dans le bateau de croisière, et continuer soit d'encourager les nageurs, soit aller nager dans la piscine creusée sur le pont, qui comportait également deux glissades. Les plus jeunes furent ramenés sur la rive en canot avec leurs parents.

Sabine ne put qu'être émerveillée devant l'organisation de cet événement qui faisait la fierté des deux nations, lesquelles avaient fait de cette traversée une tradition.

Et à mesure que des nageurs abandonnaient en route, d'autres, qui avaient commencé le périple sur le paquebot, prenaient leurs places. Le Royal Kunglig se tenait trois rangées à gauche de l'extrême droite de la masse des nageurs. Sabine avait atteint sa hauteur après deux heures de nage environ, et il n'y avait qu'une deuxième règle dans la façon dont les corridors étaient aménagés : rendus à cette hauteur, seuls ceux qui nageaient depuis Vässingsö avaient le droit de se tenir dans les deux premiers corridors de l'extrême-droite.

Fanny et Rebekah restèrent en lice les trois premières heures, avant de nous suivre dans l'un des canots. Laeticia et moi pûmes prendre une pause de 30 minutes une heure plus tard, pour se ravitailler et se reposer un peu. Ticia m'accompagna encore deux heures, puis se retira de la traversée...

Moi, mes bras m'élançaient un peu, mais je continuai de nager de façon quasi mécanique. Un intervieweur de la chaine de télévision UNS arriva dans un canot récréatif avec deux caméramen trois heures plus tard. Cela faisait déjà 9 heures que je nageais. Le journaliste me fit part que j'avais parcouru 38 kilomètres et que nous étions 43 dans ces deux corridors. Je le remerciai de partager cette information avec moi, et il poursuivit sa route pour, sans doute, interviewer ceux qui figuraient en tête du peloton.

Je nageai encore 75 minutes, avant de souhaiter lâcher. Ticia m'invita à monter me ravitailler d'un repas équilibré, comportant une salade de thon, une sandwich aux oeufs dans du pain multigrains, une pomme, du céleri et du brocoli. Cela me fit du bien, et on m'apprit que j'avais parcouru 43 kilomètres sur les 98, et qu'il ne restait que 26 nageurs. Les filles tentèrent de m'encourager à persévérer, mais je n'avais plus vraiment la motivation : je songeais plutôt à mon entrée au Danemark, et à ce que je pourrais faire là-bas. Les trois jours passés à Göteborg avaient été enchanteurs, et le reste du voyage promettait de l'être bien davantage. Aussi, les filles remarquèrent mon air absent devant leurs encouragements, que j'entendais en sourdine...

Mais une voix s'éleva, plus forte que les autres, entrainante, joyeuse, et exigeante, et imagée ; une voix qui m'appela Grenouille, et il n'y en avait que deux pour m'appeler ainsi :

- Aie Grenouille, c'est quoi que j'entends là ? Tu boudes la mer à boire ? Retourne à l'eau, matelot, et que tu y sautes !

- Papa ! Je me levai si brusquement que je faillis faire chalouper le canot. Je sautai dans l'embarcation qui fendait l'eau, et atterris dans les bras de mon père

- Papa ! Qu'est-ce que tu fais ici !

- J'avais droit à deux semaines de congé que j'avais accumulées... Je n'ai pas pu résister à venir t'encourager...

- Tu sais bien que ton père n'a jamais manqué l'un de tes événements sportifs !

- Oncle Braden !

- Alors, comme cela, tu as parcouru 43 km en dix heures et quart ! Cela fait donc quelle heure ?

= Eee... Il est 19h45 ?

- 20h en fait... Tu viens d'engouffrer le repas de Moby Dick en 15 minutes ! Alors, vas-tu retourner à l'eau ?

La venue de mon père et de mon "oncle" Braden, en fait son meilleur ami, qui avait fait l'armée avec lui, m'avaient insufflé une nouvelle énergie, mais je ne savais pas trop...

- Je suis fatiguée, papa...

- Sais-tu qu'il ne reste que 22 nageurs ? Deux sont devant toi... Je me suis informé avant de venir ici...

- À propos de ... ?

- Sais-tu que le Royal Kunglig a trois suites royales, qu'il offre aux trois meilleurs nageurs ? Des suites avec 4 chambres, living room et deux salles de bain... Et le meilleur de tous a le droit de tout commander gratuitement sur le menu pour lui et ses invités

- C'est vrai que c'est tentant...

- Vas-y, ma fille ! Je sais que tu es capable... Une bonne nuit de sommeil, après un bon repas et un bon massage, et tu seras prête pour finir la traversée demain...

Mon père me donna une boisson protéinée, et je retournai à l'eau. Mes bras et mes jambes me faisaient mal, j'étais brûlée, mais j'étais une Côté, et une Côté, cela abandonnait jamais... Et voir si je pourrais pas vaincre le record du Suédois Pettersson ! Ils allaient voir ! Ils allaient TOUS voir !!!

Je dépassai l'un de mes deux derniers concurrents une heure et vingt plus tard... Ce qui m'assurait que je serais la deuxième à pouvoir choisir la suite que je voulais...

Je vis mon dernier concurrent se rapprocher de moi quinze minutes plus tard... mais il me tint en haleine pendant 50 minutes !... Finalement, je le dépassai à 22h25, et nageai encore 15 minutes après qu'il eut abandonné

Mon père et Braden m'aidèrent à remonter dans le canot. Comme ils l'avaient fait pour les deux derniers nageurs que j'avais dépassé, les employés de l'événement déposèrent une bouée de renseignements sur lequel mon nom figurait, avec "54 km 22h40" d'ajouté en-dessous, à l'endroit exact ou j'avais arrêté. Puis, l'un d'eux prit une photo de la bouée avec son téléphone, et on nous amena sur le paquebot de croisière.

Il y eut une petite foule pour m'accueillir et me féliciter, mais comme mon père dit dans le discours qu'il fit sur une petite estrade, leurs encouragements me faisaient chaud au coeur, mais après une journée entière passée à nager, je n'avais plus qu'une envie, et c'était d'aller me reposer.

Tout le monde se montra compréhensif, et le majordome n'eut aucun mal à nous faire traverser le pont supérieur pour nous amener vers les trois suites...

Elles étaient toutes magnifiques et spacieuses, mais je choisis la deuxième, celle aux murs vert émeraude, qui comportait 5 chambres au lieu de trois, et un jacuzzi à 8 places au lieu de 5.... J'invitai Fanny, Rebekah et Laeticia à venir dormir avec nous, et mon père commanda à souper pour toute la gang, pendant que l'une des trois masseuses engagée par l'organisation vint m'inviter à un massage d'une heure de mes muscles endoloris

Ils m'attendirent avant de débuter le repas qui, par ailleurs, n'avait été servi que 10 minutes avant la fin de mon massage. Au menu, je mangeai du klipfisk (de la morue séchée), des Boller i karry (dumpling au curry) et des Stegt flæsk med persillesovs (tranches de porc frit servi dans une sauce blanche avec du persil haché et des pommes de terre.)

Je somnolais sur mes patates quand mon père vint me prendre dans ses bras pour me porter dans mon lit... C'était quelque chose qu'il ne faisait plus, à part lorsque j'étudiais jusqu'aux petites heures pour mes examens... ou que j'avais "(1) ramé" toute la journée dans l'eau... !

( https://fr.wikipedia.org/wiki/Cuisine_danoise#D%C3%AEner )

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(1) Ramé : Ramer est une expression québécoise !

Le Larousse la définit comme suit : Avoir beaucoup de peine à faire quelque chose, se démener

(https://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/ramer/66367)

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