Chapitre 14 - Le désir de régner

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Quand je suis venu au monde, j’ai été pendant un instant l’espoir de la famille. Cependant, ma naissance a engendré également la mort de ma mère, la reine, qui n’avait pas survécu à l’accouchement et qui était tombée de fatigue. Je ne l’ai jamais connu, mon père me la décrivait simplement comme magnifique, avec des yeux semblables aux miens. Je me sentais en quelque sorte fautive d’avoir tué ma mère.

Je me suis entrainé dur pendant des années, jusqu’à atteindre à l’âge de huit ans le même niveau que le meilleur chevalier du palais. Je le battais sans aucun problème, et cela impressionnait tous les autres chevaliers, qui félicitaient leur prince. J’étais heureux de pouvoir être aussi fort que n’importe qui. Mon père, le roi, me racontait que ma force et la sienne, étaient le don d’un Dieu très puissant et qui ne fallait jamais sous-estimer. Car il pouvait faire pleuvoir du feu sur la terre des brumes. D’ailleurs, d’après les légendes, c’était par le courroux du Dieu du feu que la terre avait brûlé et avait été détruite. Les terres de brumes n’étaient plus qu’un désert aride, stérile, où les autres royaumes se faisaient la guerre.

A mes dix ans, quelque chose a tout chamboulé : je suis tombé malade. Une maladie puissante, qui m’a affaiblie et cloué au lit. Je ne pouvais plus rien faire, j’étais destiné à dormir pour l’éternité dans mon lit, sans avoir la force de pouvoir admirer le coucher du soleil. Mon père n’a pas baissé les bras quant à ma maladie incurable, et a prié Heléo, le Dieu félin, afin de m’insuffler la force de me relever. Je ne savais pas si c’était parce qu’il tenait à moi, ou parce qu’il avait besoin d’un héritier fort auquel il pouvait compter.

Ses efforts ne furent pas vains : un jour, le Dieu Heléo amena une statuette à son effigie dans le palais, à l’abri des regards les plus indiscrets. Mon père, heureux, m’avait offert cette statuette. Je l’ai gardé près de moi plusieurs jours, et petit à petit, je retrouvais ma force d’antan. Par contre, tous les soirs, je rencontrais une étrange créature que je ne connaissais pas. D’abord, elle me regardait, me souriait ; puis elle se rapprochait ; et à la fin, elle me murmurait des choses. « Si tu veux rester en vie, offres-moi ton âme, et je t’insufflerais la grâce et le salut ». Innocent comme j’étais, je ne pouvais qu’accepter. Et puis, cette créature me menaçait : « Je brulerais chaque parcelle de ce palais et de cette cité, ainsi que chaque parcelle de ton petit corps. Je me nourrirais de tes boyaux et de ton cœur, ainsi que de ton sang et de ta souffrance. Je te laisserais vivre encore longtemps pendant que je t’ouvrirais le ventre et arracherais tes organes. Je me délecterais de tes pleurs, de ton agonie, et je rirais sous ta pitoyable mine. C’est ce Destin-là qui t’attends si tu n’acceptes pas mon pouvoir. »

J’avais peur de ces menaces. Il était si puissant…

Mais après avoir accepté, j’ai eu plus que de la force : j’ai eu le don de la magie et du feu, comme Heléo ; mais ce deuxième élément était incontrôlable alors, je l’ai délaissé. J’étais capable de me protéger et de prédire les mouvements de mon ennemi en un clin d’œil : j’en étais plus qu’heureux. Je remerciais chaque soir le Dieu qui veillait sur moi pour toujours, de ce don que personne n’avait.

A mes onze ans, mon père m’avait réservé une surprise. Il m’amena à l’arène, le dôme ou je n’avais pas le droit d’aller, en raison de la dangerosité des lieux. Et pour la première fois, il m’a fait découvrir les dragons. Des bêtes immenses et dangereuses, qui crachaient des flammes et qui lacéraient les âmes. Leurs rugissements ressemblaient au tonnerre, et leurs écailles étaient celle d’un reptile. Similaire à celui du serpent : l’animal assigné au Diable.

Avant même que mon père le roi ne raconte à quel point ces créatures étaient diaboliques, j’étais déjà empli de haine. Pour moi, les dragons n’étaient que d’infâmes copies du pouvoir du Dieu Heléo ; lui seul possédait le pouvoir du feu ! Alors pourquoi les dragons crachaient des flammes…

Ce fut la première fois aussi que je coupais la tête d’un dragon. Le plaisir de tuer une bête immonde m’avait parcouru tout le corps, et je voulais plus de sang. Du sang, du sang… toujours plus… Alors je me portais volontaire à chaque chasse au dragon. Je prenais plaisir à les éliminer, à les couper en rondelle, à user de ma magie pour les plaquer au sol et leur découper la cervelle. J’aimais le cri de douleur qu’ils émettaient ; j’aimais leur regard de pitié qu’ils me lançaient ; j’aimais les voir s’immobiliser et se laisser mourir comme des chiens errants. Mon seul souhait était désormais de tous les tuer : TOUS, sans aucune exception !!

Mais tuer les dragons ne faisait plus grimper l’estime qu’avait mon père pour moi. Il commençait à me haïr, profondément. Peut-être parce que j’étais plus puissant que lui, ou parce qu’il voyait le démon se former en moi. En soi, moi aussi je ne l’aimais plus : mon père était un lâche, un poltron. Il avait arrêté depuis bien longtemps de tuer des dragons, et je ne le comprenais pas. Pourtant il adorait les voir mourir ; mais c’était plus jouissif de les tuer de ses propres mains ! Peu m’importais maintenant s’il ne m’aimait plus ou quoi que ce soit. Mon objectif était de maintenant devenir un vrai roi, qui gouvernerait les terres de brumes en étendant son royaume. Je tuerais tous les dragons sur mon chemin, et j’irais même jusqu’à leurs nids pour les détruire !

Alors aujourd’hui, je me dois de gagner. Même si pour cela, je dois fusionner avec le Dieu-Démon, ce faux Heléo qui n’est autre que mon Heléo. Même si je dois devenir moi-même un véritable démon pour parvenir à mes fins, je le ferais. Telle est ma raison de vivre, désormais.

~ M ~

La manticore lâcha un rire guttural et démoniaque. Sa voix était rauque et monstrueuse. Ce n’était vraiment plus Karma le prince qui était face à Fiona ; c’était une bête mythologique et démoniaque assoiffée de sang et de chair !

La créature s’élança, griffes en avant, et sauta sur le flanc de la dragonne. Fiona hurla de douleur quand les griffes s’enfoncèrent entre ses écailles. Elle croqua quelque bout de fourrure de la crinière de la manticore avant qu’il ne la lâche. Un filet de sang abondait à son flanc, et la douleur la piquait. Fiona ne perdit pas espoir cependant.

Le dragon bleu et vert se releva maladroitement, et s’approcha de la dragonne. Sa grande taille impressionnait Fiona, cependant elle ne pouvait pas rester là à l’admirer éternellement.

- Ce garçon est condamné, grogna-t-il, les humains veulent être plus fort qu’ils ne sont déjà faible.

- Pas tous les humains sont faibles, rectifia Fiona qui crachait ses flammes contre la manticore.

Les flammes ne purent pas achever la bête. Elle sauta et se heurta à la corne de Fiona. Fort heureusement, le dragon bleu et vert enfonça ses crocs dans le ventre de la manticore et le jeta à l’autre bout avant qu’il n’ait le temps de détruire la corne de la dragonne. Seul une marque éternelle de croc avait logé sur la corne.

- Ces humains n’osent même pas bouger la petite griffe, dit le dragon, vois-tu ? S’ils avaient été forts, ils auraient eu l’audace de venir nous aider.

- Ce serait plus des plaies qu’autres choses non ?

- Au moins j’aurais eu l’occasion de les écraser de mes pattes.

Le dragon vert et bleu griffa la manticore. La créature rit à la douleur, et planta son crochet dans l’œil de son adversaire. Fiona se crispa au cri de son « ami », et courut l’aider. Elle donna un coup de queue à son ennemi : une des écailles pointues s’enfonça dans la gorge de la créature. L’autre en profita pour la griffer au sang.

Fiona aida le dragon à s’éloigner, et jeta un œil à la manticore. Ses plaies se refermaient.

Non ! Il ne faut pas qu’il se régénère ! hurla-t-elle pour elle-même avant de courir arrêter son adversaire.

Il évita son coup de croc facilement, et s’accrocha à son dos en lui croquant l’os des ailes. Fiona dut se rouler à terre pour s’échapper des griffes de son ennemi. Elle était à bout de force : elle n’arriverait jamais à se défaire de ce monstre !

Comme un miracle tombé du ciel, un pieu appartenant à son frère attrapa de son pic la manticore et l’écrasa contre le mur, le délogeant du dos de sa sœur. Lissandru arriva peu de temps après.

- J’ai bien cru que tu avais disparu de ce combat ! lui cria-t-elle, furieuse qu’il ne soit pas venu l’aider plus tôt.

- J’étais bloqué, répondit-il sans vraiment de violence, des chevaliers voulaient pas que j’entre dans l’arène, alors je les ai mis au tapis !

- Tu trouves vraiment que ça manque de mort ou quoi !

- Bah franchement, ouais.

La manticore repartait à l’attaque ; et le dragon bleu et vert défendit les deux enfants.

- Vous trouvez vraiment le pire des moments pour vous chamaillez ! Et puis que fais un autre démon ici ?

- Mon frère n’est pas un démon, gronda Fiona en balançant un jet de flamme.

- J’aurais vraiment tout vu…

Le dragon tomba à genoux, épuisé. Fiona courut l’aider à se relever, mais il était plus faible que jamais.

- Tiens bon ! Va pas mourir ici.

- Je n’y compte pas.

Il reposa patte à terre.

- Je ne finirais pas mes jours dans un trou à rat pareil…

Le dragon bleu et vert rugit, et attrapa en vol le cou de la manticore. La créature répliqua en plantant une énième fois son dard dans le cou de son adversaire, qui ne flanchait pas face à la douleur. Il le brula grâce aux flammes qui tournaient dans sa gorge, et l’étouffa du mieux qu’il puisse contre la terre. Fiona hésitait à intervenir, et finalement, elle écrasa d’une lourde patte la tête de la manticore. Contrairement au cri de douleur, il riait énormément.

- Personne ne peut me tuer, je suis invin… riait-il avant que la patte de Fiona n’écrase totalement sa tête.

Un « splash » dégoutant retentit, et la patte de Fiona fut pleine de sang, de morceau de chair et d’autre substance qu’elle ne connaissait pas. La dragonne avait aplati la tête de la manticore d’un coup sec, et sa cervelle étaient éparpillée par-ci par-là.

Le silence tomba dans l’arène. Les humains n’avaient pas quitté des yeux une seule seconde le combat face à eux. Le roi restait immobile, la bouche ouverte et les yeux écarquillés. Son fils venait de mourir. Ou la bête qui le possédait venait de mourir. C’était au choix.

Dans un triomphe, le dragon bleu et vert rugit de gloire, et surexcité par ce chant « mélodieux », Fiona se joignit à lui. Lissandru remarquait alors véritablement leurs différends : lui était un humain, et elle une dragonne. Peut-être qu’effectivement, ils n’avaient aucun lien de parenté ; hormis le lien fraternel…

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