Chapitre 13 - Le tournoi

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  Les cris des hommes furent plus que tonitruant quand le prince apparut dans l’ombre de l’arène. Le soleil chaud et intransigeant transperça la peau nue de ses poignets, et brula l’armure de métal qui commençait à réchauffer le corps de Karma. Les oreilles du garçon bourdonnèrent d’effroi devant la masse de foule autour de l’arène, qui s’apprêtait à voir naitre le règne de Karma, prince de ce royaume, béni du Dieu Heléo.

  Depuis la veille, les paroles de Fiona lui restaient en tête : « Ce démon n’est pas un Dieu parce qu’il a du pouvoir ! ».

Mon Dieu est un démon… ?

  Il ferma les yeux pour oublier le chagrin qu’il avait lu dans les yeux de la fille au moment de prononcer ces paroles. Disait-elle la vérité ? Ou mentait-elle pour sauver ce dragon ? Il ne pouvait cependant pas baisser les bras, maintenant qu’il était à l’intérieur de l’arène, en son centre, sous le regard des soldats, des hommes, des enfants, des riches et du roi, il devait faire ses preuves.

  Les acclamations fusèrent dans les rangs du roi : ils accueillaient et encourageaient leur prince. Il reçut ses encouragements avec fierté, et il leva son poing au-dessus de sa tête, serrant la statuette du lion.

Aujourd’hui je ferais mes preuves !

- Que l’on amène son adversaire ! Hurla un homme aux deux soldats proche du trou noir devant Karma.

  Le prince se préparait à la bataille. Deux soldats attrapèrent les clous pour ouvrir de toute leur force la cage ténébreuse. Le grondement d’une bête fusa dans le silence de l’arène et bientôt, une patte de couleur turquoise écrasa les grains de sable avec fureur. La tête d’un immense dragon, haut de cinq mètre, sortait de l’obscurité et toisait de ses yeux couleur ambre son ennemi. Il voulait cracher des flammes, mais sa gueule était enroulée de fils qui s’accrochaient à ses écailles. Les fils étaient reliés à un mécanisme particulier au niveau de sa joue, et il ne pouvait pas l’atteindre.

  Mais, s’il l’avait voulu ou non, le dragon était bien trop en rage pour s’occuper de son cas. Dans ses yeux, Karma lisait le message qui lui renvoyait : « Démon, tu vas périr ici sous les yeux de tes semblables ».

Encore une personne qui m’appelle démon… songea-t-il, une main sur son épée.

  Il tira la lame de son fourreau et mit sa pointe en direction du dragon. Les portes derrière la bête se refermèrent, et alors commença le combat. Enchainé, le dragon lança un cri de fureur, mélangé aux cris d’orgueils des hommes. Le dragon bleu et vert chargea. Ses grandes pattes avants, qui servaient aussi d’aile, atteignit Karma en deux secondes. Surpris, le garçon contra son geste d’une main et de son épée, en priant Dieu pour qu’il puisse partager sa force divine. Sous le regard de son père, le roi, Karma se devait de paraitre fort et inépuisable, face à un monstre aussi gros que ce dragon.


~ M ~


  Depuis les coulisses, Fiona ne lâchait pas une miette du terrible combat qui s’affairait entre les deux adversaires. Le dragon vert et bleu était plus que puissant ; il parait et rusait Karma en un éclair, sa rapidité triplé par la colère et la haine. Karma lui, contrait les coups de la bête en essayant par-ci, par-là, de lui trancher la cuirasse. Mais c’était difficile : la taille du dragon dans un espace si restreint empêchait le prince de pouvoir mieux se déplacer.

  Même si Fiona était contre la mort du dragon, elle n’était pas pour la mort du prince. Si elle le pouvait, elle pourrait sauver les deux. Cependant, elle ne pouvait pas intervenir : c’était contre son droit.

  À force que le combat s’éternisait, la fille arrivait à l’avance à anticiper les coups de dragon : il essayait d’acculer contre un mur son adversaire, de le trancher avec ses griffes, de le tourmenter avec ses ailes, ou encore de le surprendre d’un coup de croc au niveau du nez. Le prince les comprenait aussi, mais il n’arrivait pas à les prévoir à l’avance. C’est là que le dragon essaya une nouvelle attaque, que Fiona prédit à l’avance. Collée contre les barres de métal qui séparait les coulisses de l’arène, elle hurla à plein poumon.

- Saute, Karma !!

  Le prince l’entendit, ne réfléchit pas, et appliqua les paroles de la fille-dragonne. D’un saut gracieux, il évita le coup de queue de son adversaire. Ce dernier fut bouleversé par le changement de tactique de Karma. Ni une ni deux, l’humain lui taillada les narines, et le dragon recula, déboussolés. Le prince prépara maintenant une flèche pour la décocher contre son crâne, et pour l’achever sans plus tarder. Quelque chose en lui avait mal de voir la bête souffrir par sa faute.

  Le dragon bleu et vert gronda, et Fiona sut immédiatement que du feu remontait de sa gorge pour se transformer en un crachin de flamme. Mais avec la muselière aux mâchoires, il ne pouvait pas libérer ce trop plein de puissance. Alors Fiona, dans un dernier espoir qu’il ne meurt pas tout de suite et qu’il puisse fuir, cria à l’attention du prince :

- La corne Karma ! La corne !

  La flèche vibra dans l’air et dériva avant de se planter dans les cordes reliées à la corne du dragon. Par chance, elles se détachèrent et la muselière tomba à moitié, mais ce fut assez pour libérer la gueule du reptile. Karma réalisa la faute qu’il venait de commettre, quand une boule de feu le frappa de plein fouet et qu’une immense douleur frappa son corps. Il tapa le mur de l’arène. Les voix des hommes s’étaient transformées en hoquet de surprise de peur. Etait-il mort ?

  La boule de feu avait explosé, et maintenant, le roi doutait que son fils ne soit en vie. Quel dommage, la vie de son successeur s’était si facilement envolée. Les yeux du roi s’écarquillèrent de surprise et de désarroi quand il distingua dans les flammes son fils debout. Sa peau avait brulé à quelque endroit, son armure avait fondu, son sang coulait d’une plaie le long du bras. Et dans une de ses mains, il tenait fermement la statuette du lion. Celle que son père lui avait offerte, et qui lui conférait des pouvoirs hors-normes. C’était la statuette qui avait sauvé la vie de Karma ; alors qu’il n’avait pas prié pour qu’il reste en vie. C’était presque un miracle.

- Restes en dehors de tout ça, gamine ! Hurla-t-il contre Fiona, alors qu’il se remettait d’une entorse.

- Je n’abandonnerais pas ce dragon, je ne veux pas le voir mourir !

  Le dragon bleu et vert jeta un œil vers la grille ou Fiona se tenait, et gronda. Il cracha des flammes puissantes. Fiona réussit à éviter cette attaque mortelle en se collant contre le mur. Les flammes lui passèrent juste à côté, elle ressentait la chaleur et la dangerosité du feu.

  Karma n’avait pas dit son dernier mot. Sa lame tourna dans les airs et il fondit sur la bête pour lui asséner un coup à la patte. Le dragon se défendit une nouvelle fois avec sa queue, et il toucha cette fois-ci sa cible. Le garçon faiblissait, il s’écrasa contre le sol, et n’arrivait plus à se relever. Le dragon se rapprochait, fou furieux, de l’écume coulait de ses mâchoires immenses. Il se préparait à l’achever avec ses dents acérées semblable à des lames de rasoirs.

Je crois que c’est bientôt le moment où j’interviens, songea la fille.

  Ses membres tremblaient. Elle ne devait pas échouer, pas ici. Pour la vie de ce dragon qu’elle ne connaissait pas, elle devait y arriver.

  Les plans « enfantins » mais construits de la fille et de son frère fut anéantis quand le dragon fut prêt à tuer Karma. Une lumière obscure jaillit de la main qui retenait la statuette. Le dragon, surpris et apeuré, recula de trois pas, rugit, et se prépara à cracher du feu. Le corps du prince se releva comme si l’on soufflait dans un long ballon dégonflé, et il fixa d’un œil valide son adversaire. Le dragon bleu et vert n’aimait pas ce regard supérieur de la part de l’enfant face à lui, et en rage, il relâcha toute la puissance de son être contre le garçon. Le souffle de flamme passait du rouge au orange dans une valse monstrueuse, et elle frappa de plein fouet la cible. Mais ce n’était pas la façon qu’avait envisagé le reptile. A la place, ses flammes revinrent contre lui, et ils l’embrasèrent ardument.

  Le spectacle d’horreur auquel Fiona assistait la déroutait. Le feu léchait les écailles et les ailes de la bête, il se préparait à fondre sur place. Ses os pourraient bientôt être visibles sous la masse de rouge sur son bleu éclatant. Le brasier lui rappelait bien évidemment (et toujours parce que ce moment était l’un des plus traumatisant de sa vie) l’incendie du cirque et de la ville entière. Ça avait été beau au début, puis mortifiant quand on voyait les cadavres joncher le sol carbonisé et en piteux état.

  Dans un dernier espoir, le dragon déploya ses ailes et les fit battre à un rythme tellement rapide que l’on croirait voir une libellule. Le feu s’éteignit sous le vent, et le dragon bleu et vert pu montrer les cicatrices, les brulures, et les morceaux de chair arrachés à tous. Il saignait, il souffrait. Epuisé, il posa une patte à terre, sans quitter une seconde des yeux le prince. Ce dernier se relevait, et marchait vers le dragon, une aura ténébreuse entourant son corps et son âme. La peur gagnait Fiona au fur et à mesure qu’il faisait un pas, et elle ne pouvait pas rester là les bras croisés. D’une transformation, elle brisa la grille de métal à coup de patte avant, et totalement métamorphosé, elle galopa entre les deux adversaires.

- Qui Diable est ce dragon ? S’affola le roi en découvrant une bête magnifiquement soigné et en pleine forme. Aucune blessure, aucun défaut –hormis une cicatrice cachée à l’une de ses pattes avant.

  Fiona se plaça face à Karma et l’observa de plus près. Le Karma qu’elle avait rencontré n’était plus là : seul une immense force retenait son corps et le contrôlait. Son sourire de monstre terrifiait la dragonne, et l’aura qui l’enveloppait la déstabilisait plus qu’autre chose. La statuette du Dieu Heléo avait, elle aussi, prit une couleur sombre et un regard de bête assoiffé de sang. Elle riait presque. C’en était affolant.

- Dragonne, gronda le démon Karma, laisses-moi en finir avec celui qui a osé me défier.

- Tu as osé toi, et tous les autres, le blesser ! Répliqua-t-elle d’une voix lourde, qui étonna alors le public.

- Les dragons ne doivent pas vivre parce qu’ils sont les premiers à nous avoir fait du mal. Si tu ne veux pas céder, alors je te tuerais toi-aussi !

  Le démon Karma attrapa son épée et visa la gorge de la dragonne. Rapidement, elle baissa la tête assez bas pour qu’elle puisse ensuite de ça lui mettre un coup de corne dans le torse. La peau se trancha et du sang éclata sur le visage de Fiona. Le prince roula plus loin mais se releva comme s’il n’avait rien, et il s’esclaffa comme un fou.

- Tu crois pouvoir me tuer avec une attaque si ridicule ? Essayes encore et encore, je ne mourrais jamais. Parce que mon Dieu est avec moi ! Qu’il me confie toute sa puissance aujourd’hui pour en finir une bonne fois pour toute avec ses créatures du Diable !!

  L’aura ténébreuse enveloppa tout le corps du démon Karma, jusqu’à ce qu’il ne soit plus qu’une masse noire et ténébreuse. Ses bras ses tordirent et s’allongèrent, sa tête grossissaient. Des ailes de rapace se détachèrent de ses omoplates, il lâcha un cri mélangé d’un rire de dingue. Une queue longue ornée d’un crochet pointue et rempli de poison vert s’enroula autour de son corps.

  Tous ceux qui assistaient à la transformation du fils du roi devenu un démon, hallucinaient et commençaient à prendre peur. Ce n’était plus un humain, mais un monstre ! Le roi lui-même n’aurait jamais pensé que la statuette soit aussi précieuse pour son fils. Tellement précieuse qu’un démon y avait trouvé refuge pour s’emparer de son corps dans le meilleur des moments. Le plus vieux dragon n’avait jamais rien vu de la sorte. C’était la première fois qu’un humain soit si dévoué envers un Dieu pour qu’il change d’apparence. Quant à Fiona : la situation était grave. Si personne n’arrêtait Karma, il ne pourrait plus jamais revenir à lui !

Pourquoi ce crétin ne m’a pas écouté quand je lui disais que sa statuette était démonisé ?! Les humains sont cons !

  La bête qui était autrefois Karma ria d’un rire rauque et saccadé. Ses yeux lumineux et blanc se plantèrent dans ceux de Fiona, et il ria. Il adorait la peur de la fille, il l’idolâtrait ! Ses pattes d’animaux frappèrent le sol alors qu’il courrait pour attraper de sa mâchoire de lion le cou de la dragonne. Fiona ne bougea pas, et se contenta seulement de ne pas broncher.

  Fiona ne voulait plus avoir peur ; elle devait grandit ! Aujourd’hui serait le jour où elle se montrerait digne d’être une dragonne et de pouvoir affronter les plus terribles créatures démoniaques. Et elle allait commencer avec ce foutu prince qui avait eu l’audace de prêter son âme à une manticore !

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