Chapitre 11 - L'esprit du dragon

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  Sa chambre n’était pas la plus chaleureuse dans ses couleurs, mais elle avait le mérite d’être confortable et reposante. Les doux motifs tapissés de neige apaisaient les yeux de Fiona, qui les fixait avec admiration. Les murs étaient constellés d’étoiles de neiges, à parfois cinq ou six branches. Sur le plus grand mur de la chambre, face au lit, les meubles avaient été soigneusement poussés pour que l’on puisse admirer la fantastique fresque d’un paysage éblouissant. Sur un mont de neige et gris, un fantastique félin à la longue robe grisé et tacheté, contemplait l’horizon, comme s’il surveillait sa terre mère. Son regard de braise scrutait un point dans la forêt, qui scintillait d’une myriade de couleur.

  Assise sur son lit douillet, Fiona était fascinée par cette fresque. Elle savait ce que la peinture représentait. Plusieurs fois, quand elle vivait encore avec Lissandru et sa mère dans la petite maison de bois de la plaine, elle avait lu les livres rangés dans les étagères. Beaucoup parlait de religion ; et sa mère disait toujours que grand nombre de personne ne possédait que ce genre d’ouvrage. Enfaite, ils les possédaient, mais ils ne savaient pas spécialement lire ; les prêtres étaient les seules à avoir la chance de lire les textes religieux.

  Dans les livres que sa mère possédait, beaucoup d’histoire de Seigneur et de Dieux. Quand Fiona avait appris à lire, elle s’intéressa d’avantage à son espèce, puis à une religion qui l’intriguait : les Astres Félins. Composé de six Dieux félins, chacun représentaient un élément de la nature, et un langage astrale-félin. Mais depuis des années, cette religion coulait, et cela attristait Fiona. En face d’elle, la fresque représentait Larol : la Déesse à la forme d’une panthère des neiges, représentant la tempête de neige et le froid de l’hiver. Elle était tout à fait majestueuse.

~ M ~

  Le temps passait bien vite, quand on contemplait les murs de sa chambre. Les lumières à l’extérieur disparaissaient, le crépuscule tinta le ciel de pourpre. La sphère de feu rougit à l’horizon, et se cacha au fur et à mesure sous la Terre. Elle partait alors se coucher. De l’autre côté, la lune se levait.

  Fiona écarta les bras pour embrasser le vent frais. La chaleur de sa chambre l’avait laissé en transe, et elle appréciait avec plaisir la fraicheur du soir. Elle respira un grand coup, et admira l’horizon, aride toutefois. La fille s’imagina une immense plaine en face d’elle, verte et rempli d’animaux, d’arbre et de village. Les Terres de Brumes devaient très certainement ressembler à une plaine luxuriante, auparavant. Qu’est ce qui avait bien pu la rendre si aride et invivable ?

  La chaleur du soleil, minime toutefois, disparut complètement avec l’astre. Un vent des plus frais caressa la peau des bras fin et doux de Fiona, qui frissonna à son toucher. Il était temps d’aller se changer, de prendre un bon bain chaud, et de profiter du château. Même si Fiona se sentait mal à l’aise entre ces murs, elle faisait un effort pour ne pas le transparaitre. La fille devait prendre du repos au plus vite pour retrouver sa mère.

  Fiona ouvrit la porte-fenêtre de sa chambre, et s’apprêta à la refermer, quand un son familier l’immobilisa. Le tonnerre ? Non. Il était beaucoup trop distinct. Non. C’était le cri d’un dragon. Un rugissement, une plainte. Fiona fronça les sourcils et ressortit pour mieux écouter.

Pourquoi il y aurait un dragon ici ? En plus, il n’est pas loin de la cité, les soldats pourraient l’entendre, pensa Fiona, qui doutait de quelque chose.

  Elle n’arrivait pas bien à comprendre le sens du message du dragon. En vérité, Fiona n’avait pas appris la langue de sa race : personne ne le lui avait appris. Néanmoins, la fille se concentra pour en percer le sens. Mais c’était trop indistinct, et cela la frustra.

- Qu’est-ce que me disait maman déjà ? Se dit-elle à elle-même, en pleine réflexion. A propos des pouvoirs des dragons Sacres…

« Les Sacres sont fascinants car, que ce soit éveillé ou dans leur rêve, ils peuvent faire voyager leur esprit. Et ce n’est pas de la fiction inventé par leur esprit, non, non. Les Sacres peuvent observer les alentours en déployant leur esprit. Je suis sûre qu’avec un peu de travail, tu pourrais y arriver ma fille. »

  Hélas, elle n’avait jamais essayé. Le jour où sa mère lui avait appris cette nouvelle, elle avait disparu. Et puis, le drame pour les enfants.

  La jeune fille secoua sa tête de gauche à droite pour évacuer ses pensées ténébreuses de son esprit, et respirer un grand coup.

Je n’ai jamais essayé, d’accord. Alors je vais tenter maintenant, et si je n’y arrive pas…

  Instinctivement, la petite fille ferma les yeux, et se concentra sur son environnement. Au départ, il n’y avait rien, rien que l’obscurité, le vent froid, les tremblements de Fiona. Puis, à force de persister, et de forcer sur ses instinct, des images floues et déformées apparurent dans l’esprit de l’enfant. Elle ne s’arrêta pas là. Fiona resta un long moment immobile, à se concentrer sur ses images floues, qui petit à petit, devinrent plus nette et agréable. Tout doucement, Fiona essaya de faire avancer sa conscience dans ce champ de vision improbable : et cela marchait ! C’était comme si elle était sur place, à marcher dans les rues de la cité.

  Les rugissements du dragon lui parvenaient encore. Rapidement, son esprit s’y dirigea, mais elle dut faire un énorme effort pour ne pas sursauter et perdre le contrôle de son « pouvoir » à chaque coin de rue. Les cris s’approchaient, ils devenaient de plus en plus compréhensifs.

« Aidez-moi, frères ! »

  Elle comprenait les mots du dragon ! Et il demandait à être secouru. Que lui arrivait-il ? Fiona continua sa route avec appréhension, la gorge nouée par un sentiment de mal-être.

  Sa vision l’amena devant un immense dôme, de métal et de verre. Il était gigantesque, et renforcé de part et d’autre. Les rugissements venaient de l’intérieur. Le son de chaine qui se cognait contre la terre dur et qui frottait sur les écailles fit hoqueter Fiona. Elle craignait le pire. Son esprit entra dans le dôme, et elle découvrit avec effroi une arène. Au milieu, une dizaine d’homme maitrisait avec difficulté un dragon de la taille d’une maison, aux écailles verte et bleue. Il était magnifique s’il n’était pas blessé et égratigné de la tête au pied.

« Que quelqu’un me vienne en aide ! » Hurlait-t-il, à bout de force « Mes frères, les humains se servent de nous pour… AH ! »

  Son cri de douleur fit tressauter les dix hommes qui le maintenaient à terre.

- Il est plutôt coriace celui-là, avouait un homme lambda, tu es sur que le jeune prince arrivera à l’éliminer sans mourir ?

- Le roi croit en ses capacités, et puis, il y a plus fort que ça ! Tu te souviens du dragon blanc qui nous a échappé ? Celui-là a été plus malin que nous et a attendu le bon moment pour nous filer entre les doigts ! Mais c’est bien la dernière fois qu’un dragon nous échappera ! Maudite créature…

« C’est vous, les maudites créatures » leur hurlait le dragon vert et bleu d’un regard foudroyant « Soyez maudit par le Seigneur des dragons, qu’ils vous anéantissent jusqu’aux derniers ! »

  Le dragon faiblissait de plus en plus. Il était prêt à laisser tomber. Fiona voulut rapprocher son esprit pour apercevoir la scène de plus près, horrifié par les agissements de ses hommes.

Le prince voulait me tuer car d’après lui, je suis une création du Diable… Les hommes de ces terres font-ils tous les mêmes atrocités aux dragons qu’ici ? Et s’ils découvraient que je suis…

  L’œil ambre du dragon vert et bleu s’ouvrit tout à coup, surprenant les hommes en face de lui. Il fixait dans le vide, mais en réalité, il avait senti la présence de l’esprit de Fiona. Elle déglutit, apeuré par ce regard de colère furieuse et de cette haine envers l’homme.

« Que fais-tu auprès des Hommes, ignorante ? Viens me libérer de ce calvaire ! »

« Je… je ne peux pas, je… »

« POURQUOI ?! » Il hurla ce mot avec tellement de frénésie que la terre trembla autour de lui « Traitresse ! Tu ne mérites pas d’être un dragon ! »

  Toute cette colère ramena l’esprit de Fiona à son corps. Elle tremblait, pas à cause du froid, mais à cause de la peur. Elle avait peur des hommes, et du dragon qu’elle venait de voir. Fiona comprenait cette immense colère, mais ne savait pas pourquoi il l’avait regardé avec tant de hargne. La fille ne pouvait pas aller l’aider. Pas maintenant ! Si elle devait le libérer, elle aurait besoin de l’aide de son frère. Mais ils étaient des enfants, que pouvaient-ils faire face à une armée de soldat qui haïssait les dragons ? Les deux enfants avaient certes, rasé de la carte toute une ville, mais c’était pour se protéger eux-mêmes. On parlait de la vie d’autrui ! Ils n’étaient pas égoïstes, mais leur but n’était pas de mettre en danger leur vie pour quelqu’un d’autre, qu’ils ne connaissaient pas, en plus de cela.

  Avec effroi, et hésitante, elle ouvrit sans quitter des yeux l’horizon la porte derrière elle. Cependant, Fiona eut le malheur de détourner les yeux de l’arène pour trouver la poignée de la porte. Quand elle releva les yeux, elle fut prise d’une chair de poule pas croyable. Ses dents claquèrent face à l’ombre d’un dragon glauque et disproportionné. Son regard rouge et ses longs crocs noirs étaient si proches de son visage, qu’elle sentait son haleine chaude et putride. Etait-ce l’esprit du dragon, qui se manifestait sous la forme d’un spectre glauque et assoiffé de vengeance, haineux envers sa propre espèce et celle des hommes ? Les yeux de Fiona n’arrivaient pas à quitter les orbites rouges et sanglantes du monstre, qui grognait d’un timbre caverneux et profond :

- Traitresse… tu es du côté des Hommes. Tu ne mérites pas d’être un dragon !

  Le spectre du dragon rugit. Mais Fiona fut la seule à l’entendre, car il s’adressait à elle.

Je ne suis pas une traitresse ! Je n’en suis pas une ! Se répétait-elle, les larmes aux yeux à cause de l’effroyable ombre en face de son visage.

  Tout à coup, le rugissement fut mué en un râle, et quand Fiona ouvrit un œil, sa vision fut tachée de sang. Le sang du dragon. Son crâne s’ouvrait, son squelette apparaissait. Sa bouche se remplit d’un sang poisseux et noir, et s’écoula sur le sol. Des gerbes furent crachées sur le corps de Fiona, son sang fut imprégné du liquide visqueux et noir. Tout le spectre, jusqu’alors menaçant de par sa puissance mythique, fut anéanti par elle ne savait quoi. Il se déformait, son esprit afficha une moue humaine et très douloureuse.

« A… à l’aide… »

  Les hommes lui faisaient du mal. C’en était trop pour Fiona. La terreur la terrassait, le sang sur ses mains la dégoutait, lui donnait la nausée. Pour ne plus entendre les rugissements douloureux de la bête, la fille se boucha les oreilles, et pria pour que cela s’arrête. Elle hurla comme à l’agonie, ses larmes se mélangèrent au sang noir. Sa gorge raclait sous son cri de folie ; c’était cela : elle devenait folle. Tout ceci n’était qu’un cauchemar, et elle s’éveillerait dans son lit, soit au château, soit chez elle, et tout ceci n’aurait été qu’un rêve.

  Tout s’arrêta quand la porte de sa chambre vola, détruite de force par Lissandru, qui entrait plus que paniqué, et courrait au bras de sa sœur qui ne s’arrêtait de hurler. Tout s’arrêta réellement quand la chaleur du corps de son frère enlaça le corps froid et en sueur de la fille. Les rugissements s’arrêtèrent. Les visions de sang aussi. Ses vêtements redevinrent propre, ses mains comme neuve, sans aucune tache noire. Fut en face d’elle Lissandru, qui l’étreignait fermement, partageant sa douleur et sa peur avec elle.

- Tout va bien, je suis là… lui murmurait-il en caressant ses cheveux long et soyeux… personne ne te veut du mal, je suis là pour te protéger.

  Des larmes de réconfort et de soulagement coulèrent sur les joues de la petite. Elle s’agrippa au dos de son frère et pleura à chaude larme.

- Lissandru, j’ai eu si peur… j’ai essayé un pouvoir… j’ai rencontré un dragon… il est enfermé par ces hommes, sanglotait-elle sous le cou de son frère.

- Je suis là, il ne peut plus te faire de mal…

- Ces hommes eux, lui font du mal ! Cria-t-elle, la voix éteinte par son cri précédent. Ils vont le torturer et ensuite… le tuer… le prince va le tuer…

« Tu es sur que le jeune prince arrivera à l’éliminer sans mourir ? »

Le prince va le tuer… devant tout le monde… pour le plaisir des yeux et l’orgueil des Hommes…

  Lissandru regarda avec incompréhension sa sœur, puis il jeta un œil perçant à Karma, derrière lui, qui l’avait suivi de très près jusqu’à la chambre de Fiona. Le prince détourna les yeux, et Lissandru jura intérieurement : ce que disait Fiona était vrai ! Lissandru se souvint alors de la conversation du roi et de Maxime : il parlait d’un tournoi et du prince, qui serait le combattant. Ce tournoi, l’arène… tout allait se passer là-bas. Et le dragon dont parlait Fiona… allait être la victime de plus de Karma, et de tous ses sujets.

- Nous trouverons une solution, je te l’assure, lui chuchota Lissandru, peinée par les sentiments de sa sœur, sur le point de pleurer lui aussi.

  Avec grande difficulté, et remerciant de tout son cœur son frère, elle acquiesça. Elle pria pour que le dragon vert et bleu lui pardonne d’avoir mis du temps à arriver et à le sauver ; et elle espérait réellement pouvoir le sauver.

Parce que, après tout, ils étaient tous deux des dragons torturés par les Hommes ; et ils se devaient de se soutenir mutuellement.

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