Chapitre 8 - La statuette

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 Le prince était aveuglé, il ne distinguait plus rien de son environnement. Il avait reculé de plusieurs pas, surpris par le flash et les rugissements de la foudre. Il avait vaguement entendu son cheval, loin derrière lui, paniquer, avant de détaler loin. Finalement, quand le silence revint sur les terres de brumes, le prince rouvrit les yeux.

 Il ne voyait rien, au départ. Le flash l’avait privé de sa vue pendant plusieurs seconde. Ensuite, un voile blanc passa dans sa vision, les couleurs revinrent petit à petit, et il vit avec horreur l’étendue des dégâts. Les éclairs avaient frappé toute la zone. Le faisceau avait éloigné les nuages, et le soleil brillait haut et fière, dans le ciel. Des restes de flammes brulaient sur la terre aride, et ça et là, de petits fils électriques gambadaient entre les roches. C’en était déroutant. Le prince distingua avec tristesse le cadavre de son cheval, plus loin, touché par les foudres de feu. Le garçon espérait qu’il n’avait pas souffert.

 Son attention revint finalement sur la dragonne, et il dégaina de nouveau son arme, pour l’achever. Il espérait qu’elle soit encore confuse par les orages, et qu’elle ne soit pas en bonne santé. Le prince s’apprêtait à fondre son arme sur sa tête, mais il découvrit avec incompréhension à la place une petite fille. Elle devait avoir le même âge que le garçon évanoui à côté d’elle, et elle pleurait à chaude larme. Le prince croyait à une hallucination, à un leurre, mais la plaie béante sur la cuisse de la petite, qui tâchait sa jolie robe de satin bleu, lui prouva tout le contraire. Son arme heurta le sol quand il lâcha son manche : le garçon était déconcerté.

Depuis quand les dragons peuvent se changer en humains ? Pensa-t-il, effrayé par l’étendue des pouvoirs de la bête.

Difficilement, il se ressaisit. Cela lui fendait le cœur de détruire la vie d’une petite fille, mignonne en plus de cela, mais c’était une dragonne. Et pour lui, tous les dragons devaient périr. Le prince ramassa son arme, et n’hésita plus.

- Qu’es-tu, bête du Diable ? Demanda-t-il avant de se décider à frapper.


~ M ~


 La voix claire et froide du garçon lui fit ouvrir les yeux. Sa vision était brumeuse à cause des larmes et du flash précédent, néanmoins, Fiona discerna très bien le fendant de l’épée au-dessus de sa tête. Son cœur battit fort dans sa poitrine, son pouls s’accéléra ; la peur la gagnait. Du coin de l’œil, elle voyait son frère, toujours évanoui, et regretta de n’être pas assez forte.

- Si j’avais été plus forte, rien ne se serait passé comme ça, murmura-t-elle, les mains qui cachaient ses yeux.

 Elle pleurait à chaude larme. Fiona se sentait vulnérable, et inutile. Et dire qu’elle avait voulu protéger son frère comme lui l’avait protégé : elle se haïssait tellement pour ne pas avoir pu tenir cette promesse !

 Le prince claqua sa langue contre son palais.

- Répond à ma question ! Qu’es-tu, dragon ?!

- Je ne sais même pas ! S’emporta-t-elle, les larmes de plus en plus grosse. Je ne sais même pas pourquoi je suis née, pourquoi on me veut du mal et pourquoi je subis tout ça !

 Son cri de détresse de petite fille fendait encore plus le cœur du prince, qui abandonnait presque l’idée de lui trancher la tête. Il secoua la tête pour échapper à cette idée étrange, et lança la lame de son épée à son cou. Mais il fut arrêté par un élément inconnu et magique : un pieu noir. Il empêchait l’arme de trancher la petite fille. Le prince grogna, quand il fut attiré par le son d’un nouveau pieu ; qui fonçait droit sur lui. Mais il l’arrêta d’une main, grâce à un mur magique ; lui aussi maitrisait des pouvoirs, et il ne s’en cachait pas devant de parfaits inconnus.

 Le prince se demandait bien qui était celui qui l’empêchait de tuer la fille-dragonne, et il eut sa réponse très rapidement. Le garçon, allongé jusque-là, sur le sol et évanoui, s’était réveillé. Quatre pieux identiques aux deux autres volaient derrière son dos. Il foudroya du regard le prince, et ses iris de deux couleurs différentes firent frissonner les bras du prince. Il recula, le pieu qu’il avait interpellé s’écrasa au sol, et l’autre pieu retourna à son maitre.

- Qu’êtes-vous, nom de Dieu ? Murmura le prince, qui n’avait jamais vu de telle absurdité.

 Le garçon aux yeux vairons ne lui répondit pas, et il rampa jusqu’à la petite fille, qui attendait son heure. Il grognait de douleur, et le prince remarqua ses nombreuses blessures : jambes retourné, bras fracturé, cou tordu. Comment tenait-il encore debout ? Comment vivait-il encore ? Cela n’avait aucun sens ! Le blessé gémit de nouveau quand une plaie se rouvrit et que son sang s’échappa. La petite fille se tourna vers lui, effroyablement paniqué.

- Lissandru ! Non… tu ne dois pas bouger. Restes tranquille on doit partir au plus vite !

- Laisses… tomber.

 Lissandru entoura de ses bras ensanglantés la petite fille, qui s’effondra dans son étreinte. Elle le lui rendit, plus forte que jamais, en pleurant sur son épaule. Le garçon ne lâchait pas des yeux le prince qui avait tenté d’assassiner sa sœur dragonne.

-Tu serais prêt à la tuer parce que c’est une Sacre ? Prononça Lissandru à l’attention du prince.

- Tout les dragons doivent périr, répondit-il avec orgueil.

- Parce que c’est une dragonne… et si je te disais qu’elle n’en n’était pas un ?

- Quoi ?

- Si tu avais été humain, tu l’aurais vue comme une humaine. Mais les démons voient le monde différemment. Donc tu ne peux pas être humain, toi aussi.

 Les propos de Lissandru agaçaient le prince, mais il reculait devant les vérités qu’il affirmait. Comment pouvait-il se douter que quelque chose en lui n’était pas humain ? Il devait savoir qu’il portait en lui une arme qui avait son âme, et qui lui permettait d’obtenir les pouvoirs qu’il souhaitait…

- Pourquoi tous les dragons doivent mourir ? Demanda Lissandru.

- Ils sont le fruit du Diable.

- Tu ne connais rien à leur histoire ! Hurla-t-il.

 Le prince se crispa.

- Ils sont nés d’un Seigneur, tous ! Maman affirmait que c’était parce qu’il n’avait pas voulu naitre qu’ils s’étaient confondus parmi les humains. Parce que, dès l’instant où ils sont nés, les humains les ont chassés, ils les ont assassinés ! Le serpent est une marque du Diable, les humains allaient même jusqu’à tuer les bébés ! Tu serais capable de faire ça, toi ?

- N… non ! Pourquoi je tue…

- Pourtant ce sont des dragons. Tu as dit qu’ils doivent tous mourir. Alors les bébés aussi !

 Le prince était face à une impasse. Il n’avait jamais pensé à assassiner des dragonneaux, et l’idée de trancher la tête de petits être qui n’ait même pas encore ouvert les yeux, appris à se servir de leur aile, appris à cracher des flammes ou à se défendre. Au fond, était-il plus sensible à la mort d’un dragon ? Il ne s’était pas posé la question, mais plusieurs fois pendant les tournois qu’organisait son père pour trancher plusieurs têtes, il avait hésité. Et les premières fois qu’il en avait tuées, il s’était mis à l’esprit qu’il devait tous mourir, pour son bien et celui de son père.

 Cependant, quand il regardait la fille dragonne, pleurer comme une enfant qui vient de voir un être chère mourir, il ne pouvait que se résigner à l’assassiner.

 Ce fut à ce moment-là que le gouverneur, revenu du royaume, arriva pour le soutenir. Il était accompagné de dix soldats sur leurs chevaux en armure de combat.

- Votre Majesté ! Disait-il essoufflé, nous pensions vous avoir perdu… Quand on a vu tous ces éclairs tombés, on a pensé le pire pour vous. C’est un miracle que vous n’ayez rien !

 Le prince ne répondit que par un acquiescement muet, qui interrogea le gouverneur. Ce dernier aperçut bien vite les deux enfants blessés en face du prince, et il écarquilla les yeux. Avait-il fait du mal à ces enfants ?

 Le garçon comprit que son gouverneur pensait mal de ses actes, alors qu’il n’avait plongé sa lame que dans la cuisse d’un dragon qui était maintenant un humain ! A contrecœur, il enfonça son épée dans la terre et sortit de sous sa tenue de riche une statuette en bois verni.

- Votre Majesté vous n’allez tout de même pas…

- Ferme-là, s’il te plait, lui ordonna-t-il d’un regard mauvais.

 Le prince s’accroupit proche des deux enfants. Lissandru se crispa, et grogna, mais il était trop faible pour répliquer. Ses attaques seraient vaines, et puis, le prince avait arrêté d’une main l’un de ses pieux. Il ne pourrait rien faire d’autre pour contrer, sauf la ruse. Mais là encore, ce n’était pas son fort.

 Le garçon tendit la statuette en bois verni vers les deux enfants. Elle représentait un grand félin majestueux à la crinière de feu, sur un piédestal d’os d’animaux. Il rugissait fièrement. La peau des deux enfants furent frôler par le bois lisse et rougeâtre de la statuette, et soudainement, une vague de bien-être et de paix les envahirent. Le pouvoir effraya Lissandru, qui n’était pas familier à ce genre de magie-là. Mais une énergie nouvelle parcourut tout son corps, et bientôt, ses douleurs s’évaporèrent. Il regarda avec intrigue sa jambe : elle n’était plus tordue, elle était remise à sa place. Son cou aussi, ses bras, tout son corps, était soigné. La plaie sur la cuisse de Fiona s’était refermée, et de petite paillette verte émanait de son ancienne blessure. Elle s’arrêta de pleurer, rassurée par la présence du pouvoir de guérison.

 Quand ils furent totalement guéris, le prince se pencha vers eux.

- Je me dois de garder une image saine pour mon honneur, leur murmurait-il, de ce fait, je vais devoir vous accueillir chez-moi le temps que vous repreniez vos véritables forces. Mais ta sœur devra éviter de montrer qu’elle est une dragonne, ajouta-t-il à l’attention de Lissandru.

 Lissandru n’aimait pas l’idée d’être accueilli parmi des personnes qui leur avait voulu de mal. Il doutait de l’honneur de ce prince, qui avait une part de son âme rongée par un démon.

- Nous amenons ces enfants avec nous, Gil, annonça le prince d’un ton ferme.

- Mais, votre Majes…

- Ne discute pas ! Que l’un de vous me cède un cheval, et un autre pour ces deux enfants.

 Alors que les soldats et le prince s’affairaient de leur côté, Lissandru les observa avec très grande méfiance. Fiona enfonça sa tête dans le creux du torse à Lissandru, et resserra l’emprise qu’elle avait sur les tissus de son frère. Il fut interpellé par les tremblements de sa sœur, qui n’avait pas l’air sereine.

- Lissandru, j’ai un mauvais pressentiment…

- Moi aussi, je n’aime pas ce garçon.

- Ce n’est pas que ça, lui avoua-t-elle tout en murmurant pour que personne ne l’entende.

 Elle jeta un regard en coin vers la statuette du lion dans la main du prince.

- La statuette… elle porte l’odeur de maman…

 Lissandru se crispa, et fixa l’objet magique. Il se sentait de plus en plus mal.

Qu’est-ce que l’odeur de maman ferait sur la statuette que porte ce garçon ? Qui est-il vraiment ?

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