Chapitre 5 - Les terres de Brumes

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  Le lendemain, un voile blanc et opaque se levait sur les terres perses. Le sol stérile et craquelé donnait l’impression qu’une catastrophe naturelle avait frappée. Mais les armes de fer, les casques de mailles, et les tâches rougeâtres et sèche prouvèrent le contraire bien rapidement. Une bataille avait frappé il y a bien longtemps entre deux royaumes, et on ne savait pas qui était le vainqueur. Des os polis et noirs jonchaient entre des fissures et des morceaux de cailloux : les charognards avaient nettoyé les corps des soldats tombés au combat.

  Le pied chaussé de Lissandru craque un petit os, et Fiona le désintégra d’une patte de dragon. Ils marchaient, silencieux, dans ce désert mort et aux odeurs de charognes. Le regard nébuleux de la dragonne croisa les orbites profondes et vides d’un crâne humain. Elle le renifla, et secoua la tête.

- J’ai perdu la trace de maman, souffla-t-elle, épuisée, il y a trop d’odeur ici, j’arrive pas à la retrouver…

  La dragonne s’allongea le long du corps sur la terre sèche, et elle écrasa au passage plusieurs os ; dont le crâne. Lissandru reprenait un rythme cardiaque régulier : depuis le lever du matin, les enfants traversaient des terres inconnues avec comme seule guide l’odeur de leur mère. Ils ne s’étaient pas arrêtés, la brume s’était levée, et des odeurs d’humidités, ainsi que l’odeur de la mort, avaient masqué la seule piste potable à la recherche de leur mère.

  Ils s’arrêtèrent alors : la faim et la soif les tourmentaient, leur faisait tourner la tête. Et dans ce désert de mort, il n’y avait pas un oiseau ; pas un charognard ; pas un rongeur. Rien.

- Je vais voir s’il y a de l’eau dans le coin, lui signala Lissandru, qui restait debout, reposes-toi, je reviens vite.

  Elle acquiesça et ferma les yeux pour se reposer. Lissandru partit à l’aveuglette tout droit, pour ne pas perdre son chemin. Le brouillard était épais, et l’odeur d’humidité très forte dans l’air. Le garçon éternua, sensible au froid, et se frotta le nez. Il renifla et avança encore et encore, dans ce sordide paysage. Son pied heurta un caillou, et il faillit manquer de tomber. Furieux, Lissandru se tourna et constata que la pierre n’était qu’un crâne fendu à moitié. Il le ramassa et plongea ses yeux dans ceux du mort.

C’est terrible à quoi on ressemble, en dessous de la peau, pensa Lissandru en reposant le crâne et continuant son chemin.

  Enfin, après quelques minutes de recherches, il tomba sur un petit point d’eau : un puit à moitié détruit. Heureux, il courut au puit, et attrapa les deux gourdes de son sac pour les remplir.

  Lissandru n’entendit pas les pas derrière lui. Il n’entendit pas l’arme en bois se lever au-dessus de sa tête. Il entendit le souffle rauque et le rire sournois d’un étranger. Le garçon voulut se retourner, mais il se reçut un immense coup sur la tête. Le choc l’assomma, sa vision se flouta, il bascula en arrière, tête la première, dans le puit profond et dense. Il y eut un silence pendant plusieurs secondes, avant qu’un « boum » suivit de craquement ne résonne à l’intérieur du cercle profond. L’homme rit, et repartit.


~ M ~


  Un immense frisson parcourut l’échine de Fiona, qui ouvrit brutalement les yeux. Elle leva son cou, regarda autour d’elle. Elle huma l’air, chercha l’odeur de son frère : mélangé aux senteurs environnantes. Son cœur battit dans sa poitrine, elle se mise sur ses quatre pattes, et commença à galoper. La dragonne noire fendait l’air de ses longues ailes semblables à celle des chauves-souris.

Où es-tu Lissandru ? criait-elle dans son esprit, alors qu’elle courait à l’aveugle sur une terre brumeuse.

  Fiona s’arrêta un instant, reprit sa respiration, et absorba par ses narines les senteurs du lieu. Elle détecta l’odeur de son frère dans une direction, qui était plutôt faible. Sa panique s’accentua encore plus, elle se dirigea vers la direction de l’odeur, et se trouva devant un puit détruit. L’odeur venait de l’intérieur. Son cœur s’arrêta de battre.

- Lissandru ! hurla-t-elle à l’intérieur du puit une fois reprit forme humaine. Lissandru !

  Elle se pencha au-dessus du vide, le regard braqué dans la noirceur et la profondeur du puit. Elle redoutait le pire pour son frère. Sa tête la faisait énormément souffrir, le tournis la saisissait. Sa gorge se nouait, et des larmes montèrent vers ses yeux. Les larmes coulèrent. La fille s’agenouilla la tête contre la pierre du puit, et sanglota.

Pourquoi je l’ai laissé partir seul ? C’est encore de ma…

  Des bruits de pas l’avertissent d’un danger imminent. Son cœur ne battait plus pour la mort de son frère, mais pour le danger humain. L’adrénaline lui monta au cerveau. Fiona se retourna et discerna dans la brume six hommes ; pas une seule femme ou enfant. Ils étaient affreux, avec leurs visages balafrés, leurs yeux manquant pour certain, leurs habits en peau animal, et leurs doigts noirs.

- Tiens ? En voilà un autre. Que font des si petits enfants sur ces terres ? Prononça un homme, qui allumait un bâton brun avec une allumette rouge.

- On en fait quoi, comme l’autre, on le met dans le puit ?

  Fiona comprit : c’était leur faute si l’odeur de Lissandru se trouvait au fond du puit. Une marée d’émotion, empli de haine et de vengeance, l’immergea. La fille se releva, se prépara à attaquer ; elle montra les dents. Les six hommes, amusés par l’incrédibilité de Fiona, rirent aux éclats. La colère noire de Fiona augmenta, encore et encore, et bientôt, elle exploserait de rage.

- Elle est amusante celle-ci ! Ce serait dommage de la laisser mourir, dit un troisième homme, qui avançait vers la petite fille, eh, gamine, que fais…

  Le changement subi du corps de Fiona, créa une lourde tension de peur chez les hommes. Même si la dragonne noire n’était pas très grande en taille, sa tête juchée sur son encolure s’élevait haut vers le ciel. Elle les regardait avec des yeux noirs, et s’apprêtait à attaquer d’une boule de feu. Les flammes jaillirent de sa gueule, les hommes reculèrent, mais l’un d’eux, la défia. Il s’élança vers la dragonne, elle le carbonisa d’un jet puissant. Son premier jet de flamme. Le corps noir s’effondra au sol.

  La peur submergea les cinq autres hommes, qui ne réfléchirent plus. Ils attaquèrent, leurs armes se levèrent vers le ciel. Fiona esquiva leur coup d’un saut gracieux et maitrisé. Ses pattes avant touchèrent le sol en première, et la dragonne pivote sur elles pour faire face à ses ennemis. Elle jeta une boule de feu inévitable, et elle explosa sur trois des personnages. Ils crièrent de douleur, le feu rongeait la chair et les os, et ils moururent sous le regard de leurs camarades, terrifiés. Fiona gronda, et s’approcha comme un prédateur : tête basse, dent en avant, épaules recourbées, la queue pointues fouettant l’air, furieuse. Les flammes dansèrent dans sa gorge : elle était prête à venger son frère.

  Alors que Fiona allait attaquer les deux derniers hommes, un pieu de couleur noir et jaune surgit du puit et transperça le ventre d’un homme. Il mourut de la perte de son sang, tandis que le deuxième, hurla de terreur et s’enfuit dans la brume. Fiona ne le poursuivit pas, et fixa le pieu flottant face à elle. La dragonne était figée, observait l’objet flottant ensanglanté, stupéfaite et tremblante. Elle comprit alors, et les larmes tombèrent de nouveau.

  Des sons de lutte dans le puit alertèrent Fiona, et elle prit forme humaine pour courir au-dessus du trou. Accroché à la pierre, en sang, une jambe tordue, Lissandru s’efforçait de grimper, alors qu’il souffrait et perdait abondamment de sang. Fiona l’aida à remonter le puit en attrapant un de ses bras meurtris. Elle tira de toutes ses forces, et sentit sous ses doigts les os du bras avant qu’elle tenait craquer. La fille eut une expression de dégout, avant de sortir Lissandru de sa prison infernale. Le garçon s’effondra au sol, essoufflé.

  Sans plus attendre, Fiona se jeta dans ses bras, et les douleurs musculaires et osseuses se réveillèrent. Lissandru lâcha un râle de souffrance, mais Fiona n’en tint pas compte.

- J’ai eu si peur de te perdre… ne t’en vas plus jamais sans moi, d’accord ? lui supplia la fille, qui pleurait contre le cou de son frère.

  Lissandru n’arrivait pas à remettre les idées au clair : il était tombé, il avait perdu connaissance, et à son réveil, il avait ressenti le besoin de protéger sa sœur. Il avait envoyé un de ses pieux, et était remonté avec difficulté l’énorme trou qui le séparait de la surface. A son arrivée, Fiona l’avait aidé, et ils en étaient là.

  Mais pendant cet instant d’inconscience, il avait réalisé qu’il avait laissé sa sœur seul un moment. Il s’en voulait terriblement. Elle avait peut-être même failli mourir à cause de ses hommes ; ou alors ils auraient pu se servir d’elle comme ceux du cirque auraient voulu qu’ils se servent de la dragonne.

  Quoiqu’il en soit, il caressa avec amour les cheveux de sa sœur, qui le regarda alors droit dans les yeux. Ses beaux yeux bruns étaient embués de larme, et cela fendait le cœur à Lissandru.

- Je ne te laisserais plus jamais seule, articula-t-il dans la fatigue et la douleur, je te le promets. Plus jamais je ne me séparerais de toi.

  Il prononça cette dernière phrase avant de tomber dans le sommeil. Fiona resta stoïque, et sourit, en comprenant qu’il était très épuisé. Elle remarquait d’ailleurs que son corps n’était pas vraiment à sa place : sa jambe était retournée, le poignet était à quatre-vingt-dix degré de sa position exacte, le cou avait un torticolis et son nez était fracturé. Mais dans son corps, cela devait être une autre histoire : peut-être avait-il un poumon perforé, une artère brisée, un muscle déchiré… Fiona ressentait le besoin de le protéger et l’aider. Il avait mauvaise mine, et manquait d’eau.

  Sans attendre, elle prit la forme d’un dragon, attrapa délicatement avec ses dents son frère, et l’allongea sur son dos. Elle pria pour qu’il ne tombe pas pendant son envol. Elle déploya ses ailes et se projeta vers le ciel. Le poids de son frère l’alourdissait, elle puisait dans ses dernières forces pour pouvoir parcourir à grande vitesse, et broyer la brume, les terres inconnues.

Nous sommes peut-être immortels, mais nous souffrons de nos douleurs. Pardonne-moi Lissandru… et tiens bon. Je vais nous trouver de l’aide.

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