Chapitre 29

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 Personne ne vint sauver Antéa, ce jour-là.

 Violée.

 C'était un viol qu'elle était en train de subir dans une des sombres cellules de la comète S.I.

 Antéa gisait sur le ventre, la face contre le sol, envahi par des odeurs de sol métallique, de produits désinfectants et le gout de son propre sang ruisselant sur son visage. La pesanteur artificielle l'écrasait autant que l'homme sur lui.

 Elle était sonnée du coup de crosse reçue sur l'arrière du crâne. Son corps inerte lui envoyait des signaux de douleurs multiples consécutives de la pluie de coups qui s'était abattue sur elle après qu'elle ait perdu le contrôle de ses sphincters.

 En cet instant, Antéa aurait aimé être inconsciente, mais les deux S.I. savaient ce qu'ils faisaient. Il y avait celui qui lui tenait les bras et l'autre qui la maintenait fermement au sol de tout son poids.

— C'est pas contre toi. C'est le protocole, lui dit ce dernier tout contre son oreille.

 Il essayait de lui enfoncer difficilement son pénis dans l'anus. Il avait molli depuis qu'elle avait tenté de lui résister.

 Mais Antéa s'était complètement détendue incapable de lutter, assommée pour moitié.

 L'homme changea de technique. Il lui introduisit un doigt pour commencer. Elle ressentit une brulure intense accompagnant cette pénétration et ses muscles anaux se contractèrent instantanément sur le doigt du soldat.

 Le soldat continua un va-et-vient bien trop vigoureux qui eut pour effet mécanique de dilater malgré elle l'anus d'Antéa. Elle n'était pas en état de contrôler son corps. Bouger serait-ce qu'un orteil lui semblait impossible. Elle ne savait même pas si c'était les coups reçus ou la terreur qui la paralysait.

— Les prisonniers doivent être violés avant les interrogatoires.

 Il cracha sur ses doigts et ajouta un autre doigt au précédent. La sensation de brulure ressaisit Antéa. Il renouvela l'opération avec deux doigts cette fois-ci.

 Antéa aurait voulu crier, mais elle était inerte.

 Elle aurait tant préféré être inconsciente en cet instant et ne pas subir toute l'horreur qui s'abattait actuellement sur elle.

 Le S.I. approcha son pénis et l'introduisit à la place de ses doigts sans aucune délicatesse. Il força. Antéa aurait voulu se cabrer face à cette douleur, mais il lui était impossible de bouger. Elle fut prise d'une nouvelle terrible envie d'uriner, mais rien ne vint.

 Antéa ressentit une sensation de brulure intense au rectum qui remonta dans son bas ventre. Des larmes continuèrent de rouler sur ses joues. Une nausée la saisit.

— Bon. Tu te magnes ! s'impatienta l'autre S.I.

*

 Dans le vaisseau-couveuse, privée de sa commandante et immobilisée, l'Oligarque commençait à ressentir le manque de sommeil. Depuis la capture d'Antéa, ils s'étaient creusé les méninges pour trouver une solution. Et elle était venue d'Amitié.

— Vous lui avez confié tous nos drones ? s'insurgea l'Oligarque. Vous êtes fou, Cephei ?

— Presque tous. Le drone d'Antéa a trouvé un moyen de passer le blocus. Il y a 60 % de chance de réussite selon lui. J'ai décidé de tenter le coup. Sans les contrôles du vaisseau, il n'y a aucune autre possibilité. Il a simplement souhaité obtenir les images compromettantes de notre encerclement et de l'enlèvement d'Antéa.

— Et la capsule ? Nous n'avons rien enregistré.

— C'est un message préenregistré d'Antéa.

— Vous auriez dû me consulter ! s'écria le vieil homme.

— L'avez-vous fait avant de poser une bombe à bord ? répliqua l'intendant froidement.

 Le Conseiller Halley n'osa remettre cette querelle entre eux deux sur le tapis.

— Le temps presse. Ça fait déjà 24 h qu'Antéa est prisonnière des S.I. Ils ont déjà dû la transférer sur la Comète S.I. Et vous savez ce qu'ils vont lui faire subir ! De toute façon, continua Cephei, si les images du blocus sont diffusées, ça servira de signal à la Résistance. On a tout de même estimé préférable de laisser un drone à l'infirmerie pour surveiller les blessés, même s'il aurait augmenté les chances de succès de notre percée. Il nous en reste donc un. On pourra toujours émettre des capsules avec le dernier drone si la situation change, même si je ne vois pas comment.

— Tout de même : gaspiller six drones...

— Vous allez voir. Le plan du drone d'Antéa est brillant.

*

 Les six drones sortirent du vaisseau-couveuse par une entrée secondaire à vive allure les uns derrière les autres séparés chacun de plusieurs mètres.

 Ils accélérèrent au maximum de leur puissance en direction de l'Amas, totalement sourds aux messages de menace des S.I.

 Lorsqu'ils furent à porter de tir des vaisseaux S.I, ils allumèrent leurs champs de stase se protégeant les uns les autres telles des poupées gigognes.

 Plusieurs éjections de microfragments rocheux émis par des gaz comprimés – l'arme la plus répandue dans les forces S.I. – rebondirent au contact des champs de stase.

 Seul le dernier drone sans défense était totalement exposé.

 Il ne tarda d'ailleurs pas être pris pour cible, dès que les S.I. eurent compris cette inédite tactique qu'Amitié avait conçue.

 Une fois détruit le deuxième drone devint à son tour vulnérable, tout en protégeant le troisième.

 Chacun des drones était donc défendu par le précédent et protégeait le suivant, à l'exception du dernier d'entre eux.

 Un à un les drones furent abattus, sauf le dernier.

 Amitié était le sixième, le détenteur de la capsule à émettre. Il se trouvait dans le dernier champ de stase. Ce dernier venait de s'éteindre avec l'explosion du cinquième drone qui le couvrait, mais il avait bien calculé ses chances. Il parvint à percer la nasse de stase par fusion de son propre champ de stase s'aménageant ainsi une sortie. Il se retrouva hors de portée des vaisseaux S.I. bien à l'abri, à l'extérieur de l'immense nid d'abeille qui servait de nasse.

 Il échappa de la zone de blocus filant droit en direction de l'Amas cométaire. Immédiatement, il émit une première copie de la capsule vers l'Amas et continua d'accélérer.

 Les S.I. mirent quelque temps à se décider à briser leur nasse autour du vaisseau-couveuse. C'était courir le risque que les prisonniers en profitent pour tenter d'expulser à son tour des messages par la brèche. Ils durent revoir leur dispositif en élargissant les mailles de leur filet de stase afin que plusieurs vaisseaux puissent se lancer à la poursuite d'Amitié. Entre temps, Amitié creusa son avance.

 Le temps que les vaisseaux prennent par dégazage une vitesse suffisante, Amitié avait déjà pu envoyer deux autres copies de la capsule et était hors de portée des tirs de microdébris comprimés. En tout cas, pour un temps, car le petit drone ne pouvait rivaliser en vitesse avec les vaisseaux S.I.

 Ce n'est que plusieurs centaines de kilomètres plus loin que les comètes S.I. parvinrent à avoir Amitié à portée de tir.

 Entre temps, Amitié, avait bombardé l'Amas de ses capsules qui mettraient plusieurs heures à atteindre leurs destinations, mais que plus rien ne saurait arrêter.

*

— Ils sont parvenus à forcer le blocus en utilisant une tactique que nous n'avions pas calculée.

— Le vaisseau est passé ? demanda le Chef des S.I.

— Non. Un simple drone. Nous avons fini par le rattraper et le détruire, mais trop tard. Il a eu le temps d'émettre des capsules. Ça a largement eu le temps d'infuser sur le sous-réseau. À l'heure où je vous parle, tout l'Amas ou presque est au courant de l'encerclement du vaisseau-couveuse.

— Montrez-moi son contenu que je vois à quel point c'est grave.

Capsule 02/07/2456 – 1

Si vous voyez cette capsule et les preuves qu'elle contient, c'est que les S.I. ont refusé toute concorde et que j'ai été arrêtée ou tuée. On a tenté de me salir, de me faire passer pour une résistante, une fanatique appartenant à la secte du Havre, de vous convaincre que je voulais me venger des malheurs de ma vie. Je ne suis pourtant qu'une simple habitante de l'Amas qui aimerait davantage de liberté. Pour que le sang ne coule pas, j'ai essayé la diplomatie, en vain. J'ai été naïve. Je sais désormais ce que j'aurais dû faire depuis le début. Je sais ce que vous devez faire : Peuple de l'Amas, révolte-toi !

— La garce !

— Elle avait préenregistré ce message.

— Quelles sont les réactions dans l'Amas suite à cette capsule ?

— Cent-vingt-trois des cent-quatre-vingt-quatorze comètes émettent un message préenregistré et ne répondent plus aux communications. À elles seules, elles regroupent 72 % de la population de l'Amas.

— C'est impossible.

— Leurs habitants ne veulent plus obéir à l'autorité de Silence Immobile tant que l'Héroïne ne sera pas libérée et que les négociations n'auront pas repris. Nous ne comprenons pas ce retournement de situation.

— Un tel soutien ne peut être totalement spontané. Calculez, espèce d'imbécile !

— C'est clairement prémédité et orchestré par l'Oligarque. Toutefois, nous ne comprenons pas la réaction de la population face à l'arrestation de l'Héroïne. Étant donné tout ce qui a été diffusé sur son passé, elle ne devrait pas bénéficier d'un tel soutien. Nous sommes en cours de rétroanalyse.

— Je vais vous la faire votre rétroanalyse, imbécile. Vos prothèses cybernétiques vous ont certes rendus extrêmement logiques, mais ont clairement inhibé votre sensibilité. La Résistance s'est servie de votre lacune. Vous avez sous-estimé le capital sympathie envers l'Héroïne de la part de la population et négligé la campagne de discrédit à son égard. Cette dernière était tellement grossière qu'elle a dû être perçue comme mensongère. Ce lynchage a dû susciter de l'empathie. Cette gamine dégage un charisme naturel fait de modestie et de discrétion. Je m'en suis méfié dès le début.

— Pourtant, nous n'avons presque pas menti dans nos capsules sur elle et on a fourni des preuves !

— Justement. Avec toutes ces preuves, vous avez nourri le soupçon.

— Le Logos ne peut porter seul la responsabilité dans cet échec. Nos statistiques prouvent de toute façon que la population ne croit pas de base aux capsules de Silence Immobile et jugent les nôtres extrémistes. Ce n'était donc pas qu'une mauvaise propagande. Nous avons pâti d'un déficit de crédibilité dès le départ. De toute façon, que les gens croient ou non aux révélations sur l'Héroïne, nous pensons surtout que la majorité du peuple partage des idées libertaires. C'est la conséquence de la permissivité de ces dernières décennies, en particulier vis-à-vis des drones.

 Le Prêtre du Logos disait vrai. Il ajouta :

— De notre point de vue, le peuple a tort. La sécurité doit primer sur les libertés. Silence Immobile doit réprimer cette révolte.

 Après un long moment de réflexion, plongé dans ses données et des cartes tactiques, le Chef des S.I. déclara :

— Non. Je pense que nous n'avons plus le choix. Il faut négocier, réellement.

— Nous calculons qu'il est encore possible de reprendre le contrôle de l'Amas sans céder à de dangereuses exigences. Nous pouvons identifier et arrêter les leadeurs. Nous pouvons...

— Et à quel prix ? Nous ne gouvernons plus l'Amas et il est probable que les autres comètes qui ne se sont pas encore ouvertement révoltées comptent aussi leurs lots de partisans de la Résistance. On ne peut pas mettre un S.I. derrière chaque habitant !

— Il suffit de...

— Non ! Stop ! Je me rends sur le vaisseau-couveuse. Prévenez-les que j'accepte de négocier.

*

 Antéa était en état de choc et encore sonnée du coup reçu à la nuque.

 La douleur dans son colon ne la quittait pas. C'était une sensation de brulure qui s'était à peine dissipée, une envie de déféquer permanente, comme si elle sortait d'une diarrhée violente de plusieurs jours.

 Elle était sale, souillée, puante dans ce qu'il restait de ses vêtements en lambeaux et que nul n'avait remplacés. Ses fesses et ses cuisses étaient en partie visibles.

 Elle avait été transférée juste après qu'elle ait subi son second viol.

 On ne l'avait pas informé de ce qui l'attendait maintenant. Surement un interrogatoire si ses violeurs avaient dit vrai.

 Elle ne s'était jamais dit qu'elle n'aurait jamais une expérience sexuelle de type anal avec un garçon qui le souhaiterait, avec lequel elle en aurait envie et en qui elle aurait pleinement confiance. C'était quelque chose qu'elle aurait pu concevoir comme délicat, progressif, sans savoir si elle en aurait ressenti véritablement du plaisir. À priori, certains aimaient ça... Antéa aurait sans doute essayé un jour pour ne pas mourir bête. Ce qu'elle venait de subir n'avait rien à voir avec ce qu'Hélya avait pu lui décrire lors de confidences sur le sujet. Hélya...

 Cette traitresse ! À cause d'elle, elle avait été violée.

 Violée.

 Une nausée la gagna très vite remplacée par une sueur froide.

 Plus que tout, Antéa appréhendait la suite. Ces violeurs ou d'autres n'allaient pas en rester là...

 Une bouffée de panique la submergea accélérant son rythme cardiaque et sa respiration malgré elle.

 Elle lutta contre elle-même et emporta cette petite bataille.

 Voici donc ce qu'il arrivait aux personnes arrêtées dans les premières heures de ce que Silence Immobile appelait une « rééducation ».

 Antéa songea à sa mère qui était passée par ces cellules.

 Elle pensa aussi à Nérée qui avait probablement dû subir de tels traitements depuis son arrestation, s'il était encore en vie.

 Elle se demanda si Hélya avait eu à endurer le même genre de mauvais traitements. « Ils m'ont torturé. » avait-elle justifié. Était-ce ainsi qu'elle s'était mise au service de Silence Immobile ?

 Un drone l'avait examiné sans doute pour s'assurer qu'elle pourrait survivre aux prochaines étapes de sa « rééducation ». Le drone avait pansé ses blessures visibles, surveillé ses constantes. Malgré cela, elle faisait peine à voir. Elle sentait encore du liquide couler de son entrejambe. Ce n'était pas du sang, mais un mélange de diarrhée et de sperme.

 Antéa désirait par-dessus tout une douche, mais elle n'en eut pas.

 Elle n'osa pas demander.

 Devait-elle se réjouir d'être encore en vie ? Silence Immobile ne « rééduquait » que ceux qui pouvaient encore lui être utiles. Sans doute serait-elle morte à l'heure qu'il était, sinon. Elle savait ce qu'on attendait d'elle.

 Silence Immobile voulait qu'elle appelle au calme et qu'elle prenne son parti. On essayait de briser sa volonté de résistance. Et Antéa se doutait qu'elle serait incapable de résister à d'autres séances de ce type, à d'autres tortures. Ce n'était que le premier jour.

 Elle finirait par obéir.

 Elle en était certaine.

 Cela ne faisait que quelques heures qu'elle était entre les mains des S.I. et tout son courage l'avait déjà quitté.

 Serait-elle prête à tout pour ne pas endurer davantage ?

 Sans doute.

 Oui.

 Antéa repensa à Hélya alors que des gardes la conduisaient ailleurs et qu'elle marchait péniblement et douloureusement à une vitesse qu'elle ne parvenait à suivre qu'en trébuchant et souffrant à chaque pas.

 Elle constata alors que la rancœur qu'elle vouait à Hélya était moins présente, remplacée par un début de pitié.

 On lui fit parcourir une succession de couloirs et s'arrêter au beau milieu d'un hangar où un drone l'attendait.

— Où m'emmenez-vous ? demanda-t-elle à une soldate qui l'escortait.

 Elle lui décocha un coup de poing dans le ventre qui la fit se plier en deux.

 Un champ de stase se répandit sur elle avant qu'elle n'ait pu reprendre son souffle. Elle s'éleva et partit en direction du vide.

 On la transféra dans un petit vaisseau-comète où on ne lui dit rien et où elle subit toutes les privations possibles.

 Ce ne fut qu'après son premier évanouissement au bout de 24 h sans eau ni nourriture que la soldate S.I. lui donna de mauvaise grâce le strict minimum, ainsi qu'un stimulant pour la maintenir en éveil.

 Antéa n'osa pas redemander où on l'emmenait craignant de faire l'objet de brimades.

 Elle passa le plus clair de son temps à somnoler, épuisée.

*

 Antéa se réveilla dans sa cabine sur son vaisseau-comète.

 Cephei était à ses côtés.

 Elle dut paraitre tellement désorientée que Cephei lui expliqua :

— Tu es de retour chez toi. Tu as dormi une journée entière. Comment te sens-tu, maintenant ?

 Un immense soulagement la saisit, une vague de joie qui gagna ses yeux.

 Antéa craqua.

 Elle pleura tout ce qu'elle put dans les bras de Cephei tandis qu'il tentait de la consoler.

— Pleure...

— Pas très en forme... finit-elle par dire. C'était...

 Les mots restèrent coincés dans sa gorge.

— Tu n'as pas à m'expliquer sauf si tu en as besoin. Je sais. Mon meilleur ami... Mon exclusif, pour être honnête, expliqua Cephei très ému. Il a passé quatre jours en rééducation. Il a fait semblant d'accepter de travailler pour les S.I. Lorsqu'il est sorti, il m'a tout raconté. Il s'est suicidé peu de temps après... C'est la raison pour laquelle j'ai souhaité rejoindre la Résistance.

 D'un revers de main, il essuya la larme qu'il n'avait pu contenir.

— Je croyais que toi et Hélya vous aviez... commença Antéa.

— Il faut bien que je fasse semblant d'être hétéro de temps en temps, sinon j'aurais des soucis. Je ne choisis que des femmes qui ne veulent pas d'enfant. Je refuse de faire des gosses pour qu'ils vivent comme des esclaves.

 Effectivement, Antéa ne s'était jamais posé de question sur ce qui faisait qu'un homme posé et sérieux de l'âge de Cephei n'avait pas de descendance.

 Il évita son regard. Il paraissait mal à l'aise.

— Tes constantes vitales sont bonnes et tu n'auras pas de séquelle des mauvais traitements que tu as subis.

 Un drone avait dû l'examiner et il était au courant de tout.

 Il ne dit rien de plus afin de respecter la pudeur d'Antéa.

— Comment me suis-je retrouvée ici ?

 Une expression de fierté et de joie gagna le visage de Cephei lorsqu'il l'interrompit.

— En ton absence, le Peuple de l'Amas s'est révolté pacifiquement pour obtenir ta libération !

 Des larmes remontèrent aux yeux d'Antéa qui resta silencieuse, comme interdite. Elle qui se sentait une moins que rien, une malaimée...

— On est parvenu à émettre la capsule que tu avais préenregistrée. Les négociations ont repris comme tu l'avais souhaité. Elles ont lieu à bord en ce moment même. On n'est plus très loin d'un accord historique. Tu peux être fière de toi.

 Une vague de dépression reflua sur elle sans qu'elle comprenne pourquoi. Cephei s'en rendit compte.

— C'est le choc posttraumatique, Antéa. Il faudra du temps à ton esprit pour retrouver son calme.

— Effectivement. Je ne ressens pas trop ton euphorie, mais ça viendra sans doute, dit Antéa avec un sourire presque inexistant. Tout ceci me parait tellement irréel. Tu es sûr que...

— Il va y avoir une véritable Concorde. D'ailleurs, le Conseil a exigé que tu sois remis sur pieds et présente pour sa signature. La Résistance a aussi demandé le transfert de deux autres prisonniers. L'Artiste et Hélya seront bientôt à bord. Malgré sa déloyauté, elle est un témoin clé de votre découverte de l'épave et de la révélation du scandale. J'imagine que ça ne doit pas te faire plaisir après ce qu'elle t'a fait...

 Antéa ne savait pas trop ce qu'elle ressentait pour Hélya. Évidemment, si Hélya ne l'avait pas trahie, Nérée et elle n'auraient pas été emprisonnés et elle n'aurait pas eu à endurer des sévices dans la comète S.I. D'un autre côté, Hélya s'était fait aussi manipuler par Silence Immobile et avait manifesté à son égard une sincère culpabilité. Elle n'était qu'une autre victime de ce système policier répressif...

— Du peu que j'ai compris, elle a subi une rééducation par le passé.

 Cephei intégra rapidement cette nouvelle information. Il eut une mine soucieuse.

— Mouais. Je ne suis pas à ta place, mais ton truc fait un peu penser au Syndrome de Stockholm.

— Peut-être, finit par dire Antéa après un long moment à se questionner.

— Mais si c'est avéré, ça peut tout changer. Ça ferait d'elle une victime... Il faudra statuer sur son cas.

— Et Nérée ?

— L'Artiste ? Je n'ai pas d'informations précises sur son état de santé. Pas plus que concernant Hélya. Ils se sont bien gardés d'entrer dans les détails.

 « Pourvu qu'il aille bien, se dit Antéa. Son emprisonnement a été bien plus long que le mien... »

— Et Caron ? La généticienne ?

— La généticienne est de nouveau sur pied. Elle s'est remise au travail comme si de rien n'était, même si elle conserve un sacré coquard. Quant à Caron, il a été sorti de son coma artificiel hier. Il est tellement sédaté qu'il dort énormément et le reste du temps il ne comprend pas tout ce qui se passe... Un peu comme d'habitude en fait, mais en pire.

 Antéa fut surpris par son premier rire depuis longtemps, à tel point que le son qui s'échappa de sa gorge lui parut totalement étranger.

— Sa blessure est suffisamment cicatrisée. Tout rentre dans l'ordre pour lui. Mais assez parlé des autres. Est-ce que je peux faire quelque chose pour toi ? Je peux rester un peu pour te tenir compagnie si tu ne te sens pas bien ou que tu souhaites discuter de... de ce qu'on t'a fait subir sur la comète S.I.

 Antéa eut une revivance de son traumatisme, mais se reprit.

— Non. Ça va aller.

— Tu es sure ?

— Sure. Pour le moment, je veux juste prendre une douche exceptionnellement longue.

 Elle devait sentir horriblement mauvais.

— OK, Antéa. Je te laisse. Tu me contactes pour le moindre besoin. Si tu as un coup de mou ou si tu as l'impression de ne pas être capable d'accomplir une tâche, y compris anodine, préviens-moi tout de suite. Ce peut-être le début d'un raptus. Je ne veux pas qu'il t'arrive la même chose qu'à mon ami et que tu commettes l'irréparable. Beaucoup de gens tiennent à toi, Antéa. Bien plus que tu ne le crois.

— D'accord, répondit Antéa avec sérieux.

 Cephei se leva pour sortir de sa cabine et la laisser seule.

— Attends, Cephei ! J'ai un service à te demander. Dis à Amitié de venir dès que possible. J'aimerais lui parler.

 Cephei s'arrêta net. Il revint sur ses pas et la regarda avec incompréhension.

— Mon drone... Amitié. C'est le nom de son I. P.

 Cephei s'assombrit. Il revint vers elle.

— Antéa. À propos de ton drone...

*

 Antéa observait la carcasse calcinée et éventrée d'Amitié en se demandant si sa mémoire et sa personnalité seraient encore intactes une fois réparées. Elle comptait bien tenter tout ce qu'elle pourrait pour le réparer.

 Elle se refusait à le pleurer.

 Elle rejetait sa mort. Un point c'est tout.

 C'était son plus vieil ami, ce qui lui avait tenu lieu de famille.

 Le voir ainsi lui était tout simplement inacceptable. D'ailleurs, elle considérait que ce n'était pas lui.

 Elle avait exigé que Silence Immobile lui restitue les restes du drone qui était parvenu à franchir son blocus. C'était lui qui avait émis la capsule qui avait mis le feu aux poudres du baril de la révolution sur lequel l'Amas sommeillait depuis trop longtemps.

 Dans le cœur d'Antéa, le sentiment de chagrin permanent avait cédé place à une sourde colère. Elle aurait sans doute frappé une cloison pour se défouler si son communicateur n'avait pas sonné à cet instant précis :

— Antéa, c'est l'heure. Tout le monde t'attend sur le pont.

 Les négociations marathons avaient abouti en 48 heures. Les deux camps avaient fait au plus vite, afin d'apaiser la tension dans l'Amas cométaire, remettant à la suite des négociations les points sur lesquels elles achoppaient.

 La signature d'un préaccord de concorde allait avoir lieu dans quelques instants. Elle en avait lu la dernière mouture et ce document s'il était respecté constituerait un immense progrès pour les habitants de l'Amas.

 Mais bizarrement, après tout ce qu'elle avait traversé ces jours-ci, elle n'avait pas envie d'aller à cette signature. Elle ne voulait pas affronter des regards condescendants des autres ou celui narquois du Chef de Silence Immobile.

 Elle ne s'y rendait que parce que sa présence en arrière-plan était ce qui scellerait symboliquement réellement la Concorde aux yeux du Peuple de l'Amas et ce qui permettrait d'amorcer la détente.

 Mais de cet argument, elle s'en fichait.

 Elle ferait le déplacement avant tout pour la libération de Nérée, qui constituait un des points de l'accord.

*

— Tout est prêt. Les prisonniers peuvent être transférés vers votre vaisseau, Commandante Antéa. Une petite comète de transport a été affrétée jusqu'à leur position. On peut maintenant procéder aux signatures de cette Concorde.

 Les signatures furent apposées aussi simplement que cela et toute la scène filmée pour agrémenter les capsules.

 Le Chef des S.I. serra la main du Conseiller Halley sans sourire.

 Cela n'enchantait guère Antéa, mais elle allait continuer à supporter les deux vieux hommes sur son vaisseau quelque temps.

 La marée neptunienne s'éloignant, il avait été prévu que le vaisseau-comète déjà sur le chemin du retour ferait une arrivée triomphale dans l'Amas afin de symboliquement marquer cette nouvelle union du Peuple de l'Amas. C'était surtout un moyen de s'assurer que chacune des parties tiendrait ses promesses, point après point.

 Puis, les drones porteurs des capsules destinées à informer l'Amas furent expédiés dans le vide spatial afin de se mettre à portée d'émission.

 Tandis que les hommes et femmes en présence pour ces négociations trinquaient à cet accord, Antéa se dirigea immédiatement dans la soute pour y accueillir les prisonniers dont le transfert était imminent.

 Antéa était très impatiente de revoir Nérée.

 La lumière s'éteignit et la gravité artificielle s'interrompit.

 Elle reçut une communication de Cephei.

— Antéa, les drones n'ont pas atteint le point d'émission. Quelque chose les a détruits. Par ailleurs, un blackout de onze jours vient d'être déclenché dans l'Amas par la comète S.I. Nous sommes tenus de le respecter.

— Drôle de coïncidence. Ce ne peut être un vrai blackout...

— Exactement ce que tout le monde pense ici, y compris le Chef des S.I. lui-même, car il n'est pas au courant.

— N'est-ce pas le Chef de Silence Immobile qui décrète les faux blackouts ? demanda Antéa avec suspicion.

— Pas en son absence. La responsabilité a été transférée au Prêtre-programmeur du Logos qui officie sur la comète S.I. En attendant, le transfert de prisonniers comme l'accord de Concorde sont pour le moment suspendus.

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