Chapitre 20

7 minutes de lecture

 Tandis que le reste de l'équipe dormait, Antéa et Hélya s'étaient rapidement équipées pour une sortie dans l'espace. À l'abri des champs de stase de leurs drones respectifs, elle progressait vers l'artéfact surgi du passé, ayant abandonné leur vaisseau-comète à deux kilomètres de là.

 Le vaisseau de classe Saturne en question n'avait rien d'impressionnant. C'était une comète ridiculement sous-dimensionnée par rapport à celle d'Antéa. À peine une dizaine de mètres de diamètre. Il ne possédait aucun cratère hublot et le sas d'entrée était grossièrement dissimulé.

— Pas sûr qu'on parvienne à l'ouvrir, dit Hélya à voix haute dans son champ de stase. C'est très oxydé.

 Son drone lut sur ses lèvres et convertit en une capsule particulaire pulsée vers Amitié qui en diffusa le son à Antéa.

— Il n'y a pas un autre accès ? Demanda Antéa

— Non. À cette époque, sur cette catégorie de vaisseau, il n'y avait qu'une entrée. Je suis curieuse de savoir ce qu'il y a dedans.

— Moi aussi. J'espère qu'on va pouvoir rentrer. Je ne connais de cette période que ce que les S.I. veulent bien nous dire.

— Ouais. Le bourrage de crâne habituel...

 Un silence songeur se réinstalla entre elles, dont l'immensité du vide spatial amplifia l'angoisse.

 Elles arrivèrent au contact de la comète. Leurs drones les placèrent en orbite synchrone avec le sas, s'adaptant à la rotation du vieux vaisseau. Les deux champs de stase fusionnèrent entre eux puis avec la porte.

— Surtout, ne touche rien. L'intérieur est aussi froid que la coque et les températures sont tellement négatives que...

— Ce n'est pas ma première intervention dans le vide, la coupa Antéa.

— OK. Enfile ces surgants chauffants. La combinaison habituelle suffit à te protéger d'engelures en cas d'un bref contact accidentel, mais pas pour manipuler des objets. Avec ça, tu pourras.

 Elle en sortit une paire de sa caisse à outils.

 Hélya commença à s'affairer. Elle établit une communication filaire entre son drone et une fiche de branchement de l'ordinateur de bord dont Antéa ne reconnut même pas la forme. Hélya observait sur un écran holographique des données inintelligibles pour Antéa.

— C'est pas simple, car notre langue et les menus systèmes ont évolué en quatre-cents ans. Ce dont je suis sûr pour le moment, c'est que ce n'est pas une collision qui est à l'origine de la perte de ce vaisseau. La coque possède toujours son intégrité et le vaisseau devrait en théorie fonctionner. Je pense pouvoir remettre un semblant de courant, mais il se peut que ça fasse du dégât. Probablement, y a-t-il eu de l'oxydation qui va déclencher des courts-circuits ? Peut-être même des départs d'incendie s'il reste suffisamment d'oxygène à l'intérieur...

— De toute façon, il faudra le détruire, non ? Et on est à l'abri de nos champs de stase. On n'a pas grand-chose à perdre, Hélya...

— OK. Je commence la procédure. J'en ai pour une dizaine de minutes.

 Tandis qu'Hélya dérivait du courant de son drone pour relancer les ordinateurs du vaisseau et ouvrir la porte, une drôle de sensation monta en Antéa. Outre la transgression de l'interdit que constituait cette visite d'un artéfact, Antéa se sentait particulièrement excitée par ce qu'elle pourrait trouver à l'intérieur de ce vaisseau.

 Elle préféra donc se convaincre qu'elle pourrait être très déçue de ce qui l'attendait à l'intérieur.

*

 Elle ne le fut pas.

 Très vite, Hélya et elle se séparèrent pour explorer les lieux, scindant leur champ de stase.

 En faisant abstraction du cadavre humain en combinaison qui était encore sanglé à une couchette, la visite valait le détour. Le vaisseau était rempli d'un bazar d'objets tous accrochés aux parois et dont elle ne connaissait pas l'utilité de la moitié d'entre eux.

 Antéa s'approcha du cadavre. Ses bras enserraient une sorte de sac.

 Antéa inspecta le corps sans le toucher. Une simple pression mal placée sur des cheveux ou du tissu pouvait les briser comme du verre tant il faisait froid. Rien ne trahissait la cause du décès de cette lointaine ancêtre. Elle fit signe à Amitié.

— Scanne-la s'il te plait et dis-moi si tu trouves les raisons de sa mort.

— Je ne constate pas de blessure.

 Antéa s'intéressa au contenu de ce qu'elle avait pris pour un sac et qui était en réalité un petit amas de couvertures.

— Il y a quoi dedans ? demanda-t-elle à Amitié.

— La réponse ne va pas te plaire. D'ailleurs, la bonne question est « Il y a qui dedans ? » C'était un nourrisson.

 Antéa écarta sa main.

— Quelle horreur !

— Je ne scanne rien non plus de particulier le concernant.

 Elle contempla la scène sous un autre œil. Cette femme était décédée avec son bébé dans les bras qu'elle agrippait avec protection. Sans doute, son propre enfant. Une bouffée d'empathie la secoua au plus profond de son être. Elle expira lentement pour maitriser cette soudaine émotion.

 Que s'était-il passé au juste qui avait pu entrainer leurs morts ?

— Quel âge avait-elle ?

— Autour des 30 ans, affirma Amitié.

 Antéa s'intéressa aux mains de la défunte. L'une d'elles tenait fermement une boite de médicaments anticoagulants. La raison était-elle un classique anévrisme d'apesanteur ? Il faut dire que les pionniers de l'Amas n'étaient pas suffisamment équipés à l'époque pour lutter contre ce fléau. Ceci étant, elle avait l'âge de mourir de cause naturelle, en tout cas pour l'époque. Aux origines de l'Amas, il était rarissime de dépasser les 40 ans.

 En plusieurs siècles, dix à vingt ans d'espérance de vie avaient été gagnés par la généralisation des pesanteurs artificielles dans les vaisseaux et grâce au génie génétique. Un habitant de l'Amas cométaire pouvait être cueilli par la mort à partir ses 40 ans sans que ça ne choque personne. Vivre au-delà de 60 ans en revanche était rare.

 Des souvenirs emplissaient les lieux. Antéa avait l'impression de piller une tombe, mais elle ne pouvait s'empêcher de chercher des informations. Trop curieuse, elle continuait à dévoiler des bribes de mémoire. Un objet de métal gravé du nom d'un homme. Une photo d'un bébé tellement noirci qu'il était difficile d'y déceler un visage. Un vieux livre en véritable papier jauni et cassant qui ne pourrait plus jamais être lu. Les témoignages d'un lointain passé ne manquaient pas.

 Une sorte de photographie hologrammique attira son attention. Elle ornait le centre d'un mur, comme si elle était importante. Antéa trouva cette œuvre fascinante. Par un jeu d'optique, une étoile à neutron semblait clignoter dans le vide à mesure qu'on se déplaçait.

 Sans qu'elle ne sût pourquoi, l'hologramme plut à Antéa. Il lui rappelait quelque chose, faisait affleurer dans son esprit un souvenir qui lui échappait pour le moment.

— Amitié, si on emporte cet hologramme, il va rester intact ?

— D'après sa composition, oui. Mais il y a un risque de résurgence virale.

— Cache-le dans ton compartiment. Puis augmente la chaleur de manière progressive tout en le décontaminant. J'aimerais le garder, mais sans être victime d'un archéovirus, tant qu'à faire.

 Amitié fit entrer délicatement l'hologramme dans son champ de stase. Il dégagea un froid intense dont Antéa ressentit les -250 °C à plusieurs dizaines de centimètres.

— Il y a des coordonnées astronomiques au dos, précisa-t-il après l'avoir rentré en lui.

— Je verrais cela plus tard.

 Hélya ne vit rien de la scène. Elle ne vit pas qu'Antéa avait récupéré l'objet et – leur champ de stase scindé – le son ne portait pas jusqu'à elle. Hélya n'avait d'intérêt que pour la console de commandements où elle branchait des câbles à son drone.

 Antéa continua son inspection, mais ne trouva rien. Sa curiosité la poussa dans ce qui ressemblait à une réserve-cuisine déserte. Un peu déçue de ne pas savoir ce que mangeaient ses ancêtres, elle se rapprocha d'Hélya. Leurs champs de stase refusionnèrent.

— J'ai réussi, dit Hélya. Je copie les données, notamment le journal de bord, histoire qu'on en apprenne davantage de ce vaisseau. Puis, je programme une trajectoire de collision avec Neptune. Si on tarde trop, les autres risquent de se rendre compte de notre petite virée. Et toi, tu as trouvé quelque chose ?

— Une femme et son bébé. Morts de causes indéterminées.

— Rien d'autre ?

 Antéa préféra lui cacher qu'elle avait dissimulé un souvenir dans son drone.

— Sans plus... Nos ancêtres ne mangeaient pas beaucoup plus que nous, à priori. La cuisine est vide.

— Quelqu'un m'a raconté qu'il y avait eu une famine dans l'Amas, au début quand ils ont engendré la première génération. Ils ont été contraints de mettre des bébés au monde bien trop tôt, avant que les pionniers aient tous trop vieilli. Ils n'étaient pas prêts pour accueillir les nouvelles bouches à nourrir. Peut-être est-ce la raison de leur mort ?

 Antéa se retourna vers les deux cadavres.

 L'hypothèse lui sembla plausible. Ayant épuisé ses réserves de nourriture la mère s'était peut-être suicidée avec son enfant à l'aide des anticoagulants qu'elle tenait dans la main ? Une surdose aurait pu déclencher des anévrismes.

 D'un coup, sa situation sous la dictature de Silence Immobile parut à Antéa bizarrement enviable face aux derniers instants de cette mère qu'un désespoir absolu avait dû ronger. Il se dit que la faim est la plus terrible souffrance qui soit.

 Hélya poursuivit son dialogue avec l'ordinateur du vieux vaisseau tandis qu'Antéa fureta. Elle ne trouva rien d'intéressant.

 Une dizaine de minutes plus tard, après un dernier tour des lieux, Hélya et Antéa quittèrent ce vestige du passé, emportant avec elles les dernières données mémorisées du vaisseau.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Guilhem ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0