Chapitre 14

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 Antéa avait opté pour un autre chemin, moins rectiligne, mais qui évitait le gros des attroupements. Elle bouscula ou fut heurtée à plusieurs reprises par des gens qui s'amusaient, s'embrassaient, buvaient, riaient, dansaient. Il n'y avait aucune agressivité. Ces jeunes profitaient juste de la vie. De toute façon, quiconque aurait eu un comportement dangereux aurait été immédiatement exclu par des drones de faction.

 Plusieurs regards d'hommes la flattèrent. Son gilet patatoïde qui cachait ses formes ne constituait apparemment pas un rempart suffisant pour certains, notamment passé un certain degré d'alcoolémie.

 Tout autour de la salle, des cavités étaient aménagées dans la roche. La plupart étaient fermées par des rideaux rouges, mais deux d'entre elles ne l'étaient pas.

 La première alcôve grande ouverte était dévolue à la fumette de lichens séchés euphorisants et à la consommation de psilocybes, des champignons hallucinogènes cultivés au départ pour des usages médicaux. Elle vit rapidement plusieurs des personnes en pleines hallucinations et d'autres atteintes de fous rires irrépressibles. Les seconds riaient généralement des premiers qui semblaient les fuir. Leur chorégraphie en duo était parfaite.

 L'autre rideau était ouvert sur un groupe attablé à une table velcro et qui discutait tout en jouant à un jeu fait de petits cristaux policés flottant dans un quadrillage tridimensionnel. Il s'agissait d'une version plus évoluée d'une sentinelle, un jeu de cachecache tactique. Elle échangea un regard avec un bel homme qui semblait s'ennuyer ferme et tripotait un objet métallique qu'il était en train de façonner avec un couteau. Deux splendides jeunes femmes, légèrement vêtues, l'entouraient et l'observaient, de part et d'autre. L'homme ne leur prêtait pas d'attention.

 Antéa ne s'attarda pas. Tout était nouveau et l'intriguait. Elle continua son chemin jusqu'à l'alcôve suivante dont le rideau était clos.

 Tiraillée par la curiosité, elle entrouvrit le tissu et observa discrètement.

 Ce qui n'aurait dû être qu'un bref coup d'œil se mua en une sidération voyeuriste de sa part. Combien de temps resta-t-elle à contempler cette scène d'orgie ? Il y avait là une vingtaine de personnes nues qui faisaient l'amour en apesanteur. Leurs membres s'entremêlaient en tout sens. Les bouches, les mains, les pieds s'agrippaient à tout ce qui passait à leurs portées, tant et si bien qu'il aurait été bien difficile de dire qui donnait du plaisir à qui.

 Le bruit de leurs ébats multiples était couvert par la musique. Les bouches s'ouvraient dans différentes gammes de halètements et parfois de cris de jouissance, vite étouffées par des langues et des doigts sortis d'on ne savait où. Antéa s'imaginait très bien leurs bruits, inaudibles. Étaient-ce les percussions ou son excitation qui faisaient vibrer son corps ?

 L'immense mêlée de plaisir dont elle était la spectatrice réveillait en elle des désirs contradictoires : peur et envie. Antéa n'avait pas toujours été aussi chaste que depuis ces deux dernières années. Elle avait eu son lot d'expériences à un ou deux partenaires. La société de l'Amas n'était pas chaste du tout. Au contraire, elle encourageait la sexualité de sa jeunesse. Mais ce dont Antéa était témoin, cette orgie en apesanteur, c'était quelque chose d'entièrement nouveau pour elle. Elle ne s'estimait pas à la hauteur pour une telle expérience. Elle avait déjà eu bien du mal par le passé à s'en sortir face à deux hommes, se sentant assaillie et incapable de donner des orgasmes à deux partenaires à la fois tout en gérant son propre plaisir.

 « Un seul pas, pensa-t-elle. Et je me ferais happer parmi ces corps, déshabiller en quelques secondes et... »

 Elle hésita.

 Le désir la poussait, mais avait-elle réellement envie d'une telle thérapie de choc ? La peur la guettait. Elle craignait de ne pas parvenir à s'abandonner complètement ou pire d'être saisie d'une crise d'angoisse, de finir noyée, submergée par tous ces corps.

 À ce moment-là, une des participantes, une femme blonde magnifique, aux formes voluptueuses, la vit et riva son regard gorgé de plaisir dans le sien tout en étant pénétré par un partenaire qu'Antéa ne voyait même pas. Elle dégagea une de ses mains qui tenaient fermement un sexe en érection et lui fit un petit signe du doigt, l'invitant à venir la rejoindre les yeux embués de désir.

 Puis, l'homme derrière rua plus intensément et la femme enchaina des moues de plaisir mêlé à de la surprise, peut-être même à des soupçons de douleur. La femme se rattrapa à un pénis en érection, qu'elle entreprit de lécher après s'être stabilisée.

 Antéa se sentit honteuse de cet échange de regards. Elle se sentait prise en plein voyeurisme. Puis honteuse d'être honteuse. Sa réaction était absurde et elle en convint. Tout le monde se moquait qu'elle observe ou non. Au contraire, c'était quelque chose d'apprécié généralement dans les mœurs de l'Amas.

 Pourtant, chamboulée par sa réaction, elle rabattit le rideau et resta ainsi quelques instants à réfléchir. Cette expérience l'attirait. C'était indubitable. Mais elle ne pouvait pas. Son bas ventre avait beau la titiller, elle bloquait.

 Cela faisait bien longtemps qu'elle n'avait pas fait l'amour ne serait-ce que de manières conventionnelles, monogames. Mieux valait reprendre par les bases. Son dernier rapport sexuel datait de peu de temps après qu'on lui avait diagnostiqué son problème de stérilité. Ça aurait pu être un bienfait pour une sexualité épanouie et sa position de pilote de ne pas pouvoir tomber enceinte au moindre rapport.

 Au lieu de ça, ça avait brisé quelque chose en elle, soufflé son désir. Un peu comme si elle n'en avait plus le droit, elle ressentait que tout acte sexuel serait vain.

 Antéa s'éloigna à reculons.

 Elle bouscula un homme.

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