Chapitre 13

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 À l'intérieur de la comète désaffectée qui accueillait une fête clandestine, une atmosphère avait été artificiellement créée pour l'occasion et contenue par des drones situés à tous les orifices d'entrées par leurs champs de stases.

 La gravité en revanche était absente, faute de réacteur en état.

 Lorsque Amitié creva la bulle d'Antéa, la musique qu'elle écoutait fut noyée par un rythme intense. Ces hyperbasses étaient générées par les coups de champ de stase d'un drone et déstructurées par les résonnances expérimentales et inquiétantes d'un performeur. C'était une composition agressive et défoulatoire. C'était d'ailleurs son unique but : être un exutoire.

 Antéa avança à travers une succession de couloirs en direction des fêtards, Amitié flottant à ses côtés. Elle se propulsait à l'aide d'appui sur les murs et, lorsqu'il en manquait, elle se tractait à des pitons qui avaient probablement été plantés pour l'occasion.

 Au cours de sa progression, elle croisa le corps flottant d'un jeune homme en coma éthylique que quelqu'un avait eu la décence d'encorder à un crochet mural par sa ceinture de combinaison. Alors qu'Antéa observait le visage blafard du garçon avec pitié, Amitié dévia sans considération le corps inerte par une brève impulsion de stase et les éloigna tous deux de sa trajectoire.

 Lorsqu'elle vit une bulle de vomi en suspension la frôler de près, elle jeta un regard vers Amitié, et le remercia d'un mouvement de lèvres. Parler n'aurait servi à rien. La musique était bien trop forte pour être entendue d'Amitié qui comme tous les autres drones en temps normal lisait de toute façon sur les lèvres avant que le son ne leur parvienne.

 Un peu plus loin, elle fit une autre rencontre sans s'attarder. Deux jeunes gens s'embrassaient en lévitation avec une passion dévorante qui débordait largement de leurs bouches pour s'étendre au reste de leurs corps. Les vêtements commençaient à se froisser dangereusement et les glissières à s'ouvrir. D'abord hypnotisé par la scène, Antéa accéléra pour leur laisser l'éventuelle intimité qu'ils ne semblaient pas rechercher. La pudeur, dont elle-même faisait preuve depuis quelque temps, n'était pas un trait de caractère particulièrement répandu dans la société en repeuplement de l'Amas. Au contraire, les excès en matière de sexualité étaient valorisés et encouragés par tous.

 Silence Immobile n'était pas stupide au point d'interdire le sexe dans l'Amas. Cela restait un exutoire, un loisir utile pour une croissance démographique dynamique, une activité de tout temps laissée aux pauvres et aux désespérés à travers l'histoire de l'Humanité. La création massive d'embryons en laboratoire permettait d'accélérer ponctuellement la croissance démographique lorsque les conditions étaient réunies.

 La population de l'Amas avait besoin d'une fécondité dynamisée par des fécondations in vitro. On mourait jeune des effets de l'apesanteur. Malgré tous les traitements et les progrès, atteindre 40 ans constituait un holdup fait au temps. Peu nombreux étaient les hommes qui parvenaient à vivre au-delà. Ceux ayant les moyens d'obtenir les meilleurs traitements et conditions de vie atteignaient les 60 ans. Le doyen de l'Amas en avait 62. C'était un Conseiller qui vivait sur la comète 1 où il faisait bon vivre, où rien ne manquait. C'était quelqu'un qui n'avait pas eu à endurer la fatigue d'une dure vie de labeur à excaver des roches ou à décoller des lichens.

 Le cheminement d'Antéa la fit déboucher dans une vaste cavité où le gros de la fête battait son plein.

 Après une brève perte de repère au cours de laquelle Antéa estima être entrée par le plafond, elle s'efforça de comprendre l'organisation des festivités.

 Au centre, occupant presque toute la salle se trouvait un large ring de stase tétraédrique aux faces tellement nombreuses qu'on aurait pu perdre sa soirée à les compter. D'autant que le ring, où dansaient en apesanteur la plupart des participants à la fête, grossissait ou diminuait sans cesse. Des arêtes apparaissaient ou disparaissaient à mesure que les drones de nouveaux danseurs le rejoignaient ou le quittaient avec leurs humains respectifs.

 Il y avait au bas mot quatre-cents personnes dans cette cavité. La moyenne d'âge était large, de 13 à 40 ans. Le ring était accompagné de plusieurs drones qui diffusaient toutes sortes d'effets laser et stroboscopique. Leurs habits étaient fantaisistes et multicolores. Antéa se demanda où ils avaient pu en trouver et se sentit ridicule dans sa garde-robe unique faite de sa combinaison de pilote et de son gilet informe sur lequel elle tira. Heureusement, possédait-elle sa perruque criarde. Les drones qui émettaient des effets de lumières sur la piste de danse semblaient s'amuser autant que les humains. C'était étrange. Antéa se demanda si Amitié avait envie de « danser » avec ses congénères.

 D'autres éclairaient des parois de lueurs changeantes. Sur certaines d'elles se trouvaient des graffitis protestataires et des caricatures signées du nom du fameux Artiste dont le flux S.I. rebattait les oreilles, ces derniers temps. Elle les observa. Une fois de plus, elle estima que le Logos et les S.I. étaient bien misérables de tomber dans une chasse aux sorcières contre un simple graphiste virtuel.

 Il était possible de faire le tour complet du ring, mais beaucoup de petits groupes discutaient tout autour. Et des danseurs sortaient à leur guise de la zone de danse, notamment pour rejoindre le bar qui flottait dans un angle de la salle. Il était littéralement pris d'assaut. Cinq drones qui s'activaient en tout sens ne suffisaient pas à servir tous les consommateurs qui y troquaient leurs points de succès récoltés lors des examens annuels.

 Antéa s'amusa d'ailleurs quelques instants à voir plusieurs personnes évoluer ivre en apesanteur. Elle pouffa même une fois ou deux devant leur maladresse et le ridicule des situations et postures dans lesquelles ils se retrouvaient.

 « Le constat est sans appel, conclut-elle. Les gens bourrés sont encore plus drôles en apesanteur. »

 À ce moment-là, l'un d'eux se mit à vomir une quantité stupéfiante de liquide, ce qui le propulsa en arrière dans un magnifique soleil. Un petit mouvement de panique eut lieu avant l'irruption d'un drone qui aspira ce qu'il put et contint au mieux l'arc de vomi qui s'étendait rapidement et avait déjà touché plusieurs personnes dégoutées.

 Deux amis emmenèrent leur ami malade dans une alcôve, probablement des toilettes.

 « Je ne passerais définitivement pas près du bar, se dit Antéa. 

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