Chapitre 12

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 L'écoutille de secours large pour une personne s'ouvrit au fond d'une anfractuosité artificielle du cratère, imperceptible du dehors.

 Le drone sortit du vaisseau-comète en plein vide. Il tractait Antéa dans son champ de stase, imperméable aux échanges thermiques et qui la protégeait parfaitement du froid de l'extérieur, des micrométéorites, de l'asphyxie et donc d'une mort certaine. Les radiations les plus dangereuses en provenance de Sol étaient stoppées par les poussières en suspension du rempart.

 Antéa et Amitié commencèrent leur traversée de l'Amas cométaire le plus discrètement possible, croisant plusieurs vaisseaux-comètes habités ou en mission et se cachant à plusieurs occasions des senseurs des patrouilleurs-comètes de Silence Immobile.

 Il ne fut pas question d'émettre la moindre lumière. Au bout d'un moment, les yeux d'Antéa s'habituèrent à la très pauvre clarté de l'Amas. Elle se demandait souvent à quoi tout cela ressemblerait si le rempart ne faisait pas obstacle à l'essentiel de la lumière solaire.

 Les S.I. étaient en maraude ce soir. Ils devaient avoir eu vent de l'organisation d'une fête clandestine et ils étaient sur les dents. Le jeu de chat et de souris battait son plein. Du peu qu'elle en savait, Silence Immobile n'intervenait jamais très tôt sur ces évènements interdits. Même les pires des dictatures doivent parfois relâcher la pression exercée sur les peuples qu'elles oppriment. S'y rendre était risqué. Elle ferait le tour des lieux pour qu'Amitié soit content et repartirait au plus vite.

 Ses soupapes pour la jeunesse de l'Amas étaient illégales, mais tout le monde fermait les yeux pour l'instant. D'autant qu'elles étaient en général organisées par ceux qui en avaient les moyens. Ceux-là seuls avaient accès aux informations leur permettant d'identifier les comètes squattables. Les mêmes jouissaient d'une certaine immunité. Il s'agissait souvent des fils et filles de Conseillers.

 Au quotidien, hors blackout, les déplacements étaient autorisés dans l'Amas qu'ils soient en patrouilleurs-comètes ou drones tractés. La règle était qu'il fallait normalement déclarer les mouvements à Contrôle, mais personne ne le faisait.

 Contrôle n'en avait cure. Ils étaient saturés de données de tout ordre et ne se préoccupaient pas des objets mous, petits ou se mouvant à faibles vitesses. Un drone avec un humain en déplacement dans le vide ne risquait pas d'endommager un vaisseau-comète.

 Contrôle avait en charge la gestion de tout le trafic les deux centaines de comètes de l'Amas. Son champ de surveillance s'étendait bien au-delà aux objets transneptuniens susceptibles de croiser l'Amas et d'y faire des dégâts. Toutes les comètes étaient cuirassées pour résister à la plupart des petits débris, mais les gros bolides qui traversaient parfois l'Amas pouvaient commettre des désastres. Les trajectoires devaient être sans arrêt rectifiées. C'était le rôle principal de Contrôle.

 Enfin, Contrôle ne rendait pas des comptes directement à Silence Immobile. Il y avait donc une tolérance pour les habitants de l'Amas. D'autant plus que ceux qui se déplaçaient par drone-traction ne risquaient rien et étaient indétectables derrière les champs de stase. En cas de Blackout, un programme maitre inclus dans chaque drone lors de sa conception se déclenchait. Il leur imposait de se dissimuler, même si cela devait durer et entrainer la mort de l'humain tracté, ce qui n'était jamais arrivé.

 Il y avait tout de même ce soupçon de danger à s'aventurer ainsi dehors. Officiellement, c'était donc formellement interdit. Alors, parmi le Peuple de l'Amas tout le monde le faisait, content de se libérer une fois de temps en temps de la tutelle de Silence Immobile, parent hyperprotecteur étouffant, infantilisant et surtout très dangereux.

 Participer à une soirée clandestine était, selon les tempéraments, un rite initiatique, un simple exutoire et parfois une habitude confinant à l'addiction. S'y trouvait essentiellement une partie de la jeunesse de l'Amas, très nombreuse dans cette époque de croissance démographique.

 L'autre ennemi des fêtes clandestines était le culte du Logos. Il voulait faire interdire ces moments au nom de la Raison pure et avait de plus en plus l'oreille de Silence Immobile. Il se murmurait que les Prêtres-Programmeurs pirataient des drones personnels pour enregistrer tout ce qui se passait dans ces fêtes. Ce n'était qu'une parmi la myriade de rumeurs courant sur eux comme celle les décrivant comme des eunuques.

 Les gens étaient prêts à tous les sacrifices à leurs libertés lorsqu'ils avaient peur. Or le Peuple de l'Amas évoluait dans une terreur perpétuelle savamment entretenue. Une erreur pouvait entrainer un anéantissement instantané, réduire plusieurs siècles d'efforts et mettre fin à l'espèce humaine. Chaque citoyen de l'Amas apprenait cela dès le plus jeune âge. La moindre action était donc pesée par chacun et tout danger évité.

 Antéa et Amitié s'approchèrent non loin de la comète du Conseil où elle avait récemment séjourné, tout en cristaux blancs et qui abritait les institutions fantoches du Conseil et quelques-unes des plus riches familles de l'Amas. Tout en écoutant la musique apaisante et curieuse qu'Amitié lui diffusait depuis les parois mêmes de son champ de stase, Antéa observa le spectacle. Bien qu'elle l'avait récemment contemplée de près, et même de l'intérieur, Antéa redécouvrait chaque fois la beauté de cette comète.

 Au bout de quelques minutes, ils dépassèrent les lueurs miroitantes de sa surface. Cette comète était visuellement atypique. D'intenses chaleurs et pressions en avaient cristallisé les roches par le passé. En pleine lumière, elle devait être magnifique. Malheureusement, la lumière solaire était trop faible.

 Ils se tinrent à bonne distance de la comète des S.I, qui sous sa noirceur volcanique et ses reflets iridescents, transpirait l'aura de mystère et de terreur que sa police secrète trop zélée inspirait au Peuple. À l'intérieur se trouvaient les geôles dans lesquelles il se disait que des tortures étaient commises. Sur tous ceux qui y entraient, peu nombreux étaient ceux qui en sortaient et inexistants ceux qui acceptaient de parler de ce qu'ils y avaient vécu. Et encore était-il seulement question de ceux qui étaient arrêtés officiellement et dont la culpabilité ne faisait aucun doute. Il était alors inutile d'espérer obtenir des nouvelles de proches dans ce cas. La Constitution du Peuple de l'Amas définissait clairement son fonctionnement. Silence Immobile était au-dessus de tout.

 Ces deux comètes, celles du Conseil des Sages et de Silence Immobile, étaient les deux lieux de pouvoirs de l'Amas cométaire, le siège des administrations. À part quelques exceptions telles que les Vaisseaux-Comètes de classe Vigie d'Antéa ou d'autres astéroïdes spécialisés, la plupart des comètes aménagées de l'Amas étaient semblables. Elles possédaient uniquement de rudimentaires moyens de propulsion, servant simplement à contrer l'éparpillement. Chacune de ses Comètes renfermait une ou plusieurs activités et des habitations pour ses travailleurs. Elles étaient variées : Comètes de stockages, manufacturières, industrielles, médicales, agricoles, d'extractions minières, d'épuration d'eau ou de technologies de pointe.

 Les comètes étaient de toutes tailles selon l'importance de leur production. Les plus grosses, baptisées super-comètes abritaient par exemple les champignonnières, les élevages de lichen et d'insectes qui nourrissaient le Peuple de l'Amas et qui de tout temps avaient été la priorité des autorités. Elles étaient souvent accolées de façon permanente à des comètes faites de glaces d'eau sales qui servaient pour l'irrigation des récoltes.

 Les comètes de taille moyenne contenaient généralement des industries dédiées à des secteurs utiles principalement les équipements intérieurs des nouvelles comètes que l'on creusait. Pour le superficiel, elles étaient peu nombreuses ou peu novatrices : une seule comète suffisait ainsi à la production textile pour tout l'Amas.

 Enfin, les comètes d'extractions minières étaient très diverses selon les filons exploités. Certaines étaient aménagées de manière temporaire pour accueillir les mineurs puis délaissées ou rejetées en périphérie extérieure. C'est cette dernière catégorie qui faisait surtout la joie des fêtards.

 Il arrivait parfois qu'ils jettent leurs dévolus sur des coquilles creuses de comètes épuisées ayant servi au filtrage de l'eau.

 Les fêtards évitaient toutefois de poser leurs générateurs de champ de stase et leurs chauffages portatifs au cœur de comètes renfermant des matières dangereuses afin que tout le monde ne finisse pas, noyé, asphyxié ou dissout. Une fête sur une comète de méthane gelée n'aurait ainsi pas manqué d'entrainer un splendide feu d'artifice.

 Antéa et Amité traversèrent l'Amas, croisant une trentaine de comètes dont pas une ne ressemblait à l'autre et dont nul n'aurait sur dire si elles étaient ou non naturelles ou aménagées.

 Son drone la conduisit enfin vers une petite comète rocheuse un peu à l'écart, qui semblait avoir souffert de plusieurs gros impacts météoritiques.

 Ils se faufilèrent dans une brèche qui crevassait sa surface et dans laquelle seule une personne pouvait se passer.

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