Chapitre 8

11 minutes de lecture

— Commandante ! Ici le lieutenant Antéa en réponse à votre message de détresse. Quelle est votre situation ?

— Notre vaisseau a une panne de réacteur. Nous dérivons vers le rempart et n'avons plus aucune pression pour corriger la trajectoire. Nous allons heurter les premiers débris sans pouvoir nous élever à leur vitesse dans quelques minutes.

 Antéa évalua immédiatement l'urgence. Son drone anticipa sa question.

— Ils disposent de trois minutes avant les premières collisions. Étant donné le différentiel d'inerties entre eux et les bolides de grosses tailles du rempart, ils courent à la désintégration.

 La Commandante du vaisseau-couveuse se remit à parler.

— Nous pouvons quitter le vaisseau avec nos drones. Le problème ce sont les cinquante-mille embryons cryogénisés dans notre soute, reprit la Commandante. On ne peut pas simplement les larguer dans notre sillage pour les récupérer plus tard dans le vide spatial. On n'a pas les moyens de leur donner l'inertie suffisante. Ils nous suivraient dans le rempart.

— Combien avez-vous de drones ?

— Seulement le mien...

 Amitié intervint :

— Ça ne suffira pas. Au mieux, il pourra créer une stase soit pour les passagers soit pour les conteneurs.

— On ne va quand même pas devoir choisir ! On est équipé pour tracter de gros volumes de matières, non ? Ça ne pourrait pas faire l'affaire ?

— En théorie, oui, mais ce n'est pas si simple, Antéa. Je calcule.

La voix de la Commandante du vaisseau-couveuse se fit pressante :

— Lieutenant Antéa, quelles sont vos options ?

— Commandante, je possède comme tout appareil un amplificateur de champ de stase. Des simulations sont en cours pour vous haler.

 Un silence de quelques secondes s'installa durant lequel les drones opérèrent chacun des calculs complexes pour faire suite à cette proposition. La voix de la Commandante résonna à nouveau dans le vaisseau d'Antéa.

— Mon drone estime que vous ne parviendriez qu'à nous ralentir avant les premiers impacts. Notre comète est perdue.

— Je confirme Antéa, surenchérit Amitié. J'ai effectué plusieurs simulations.

— Dans ce cas, larguez toute votre cargaison dans le vide afin que je la drague. De votre côté, quittez votre vaisseau avec vos drones. Ainsi nous pourrons sauver à la fois les embryons et la vie de votre équipage. Votre vaisseau est perdu en revanche.

 Il y eut un temps de latence.

— Ça peut marcher, mais il faudra que votre comète déguerpisse au plus vite avant que la nôtre soit pulvérisée... Les débris... Ce sera une question de secondes. Nous faisons au plus vite. Soyez à l'affut de notre largage.

 La communication fut coupée. Antéa manœuvra le vaisseau pour se rapprocher au mieux tout en se tenant à bonne distance du mur de débris. Habituellement, il était stable. Toutefois, de petites projections hors du rempart n'étaient pas exclues.

— Combien sont-ils à bord, Amitié ?

— Ils ne sont que quatre : la commandante, une généticienne et les deux nouveaux copains que tu t'es faits hier.

— Prépare l'amplificateur de champ de stase. Pourvu qu'on n'ait pas un blackout ! Ce serait le pire des moments...

 Antéa imaginait la panique qui devait s'être emparée de l'équipage. Ils étaient sans doute en train de décrocher en urgence toutes les fixations des caisses qu'elle venait à peine de leur livrer.

 Elle approcha son vaisseau-comète et se tint prête.

 Le largage débuta, le plus groupé possible. Grâce à cela, Antéa n'eut pas trop de difficultés à ramasser les caissons un à un dans son chalut. Seul un conteneur d'embryons après avoir cogné un des bords du sas de sortie du Vaisseau-couveuse adopta une trajectoire différente des autres et lui échappa. Antéa choisit donc de se concentrer sur ceux assurément sauvables en premier lieu.

 Les secondes filaient. Au bout d'un moment, le vaisseau-comète cessa de vomir son contenu. Antéa parvint aisément à tout récupérer dans son filet. Avec l'aide d'Amitié, elle parvint à rentrer à l'abri de sa soute six caisses depuis son poste de pilotage. Pour ce faire, ils eurent à dépressuriser la soute, ouvrir le sas principal et conduire les caissons par réduction progressive du champ de stase. Leur fixation aux crochets de maintien nécessitait une intervention humaine. Antéa maintint le champ protecteur autour des caissons pour les protéger.

 Seul le caisson d'embryons qui s'était éloigné dès le départ lui manquait.

 Ce fut au tour des quatre membres d'équipage d'abandonner leur navire et de se faire tracter par les champs de stases du drone de la commandante. Le sas d'Antéa était ouvert pour laisser s'échapper son filet. Ils n'eurent aucun mal à se faufiler à l'intérieur et s'attelèrent vite à arrimer les caisses d'embryons qu'Antéa et Amitié avaient rentrées.

 Même si l'essentiel des embryons était sauvé, le seul caisson en perdition renfermait plusieurs milliers de vies en devenir. Certes, il était blindé, mais son contenu ne saurait résister à des collisions violentes.

 Pendant qu'Antéa effectuait sa manœuvre frôlant le rempart de débris en mouvement de l'Amas, le vaisseau-couveuse entra en collision avec ce dernier. Le choc violent désintégra tout l'arrière de la comète-couveuse propulsant des fragments en tout sens.

— Impacts multiples sur le vaisseau-couveuse, annonça Amitié. Antéa, il faut dégager ! Les débris sont très nombreux. Il y a trop de trajectoires. Impossible de calculer si l'un d'entre eux ne va pas nous...

 Avant qu'Amitié n'ait pu formuler son avertissement, plusieurs voyants d'alerte s'allumèrent, tandis qu'une onde de choc se faisait sentir dans le siège de pilote d'Antéa.

 Des débris étaient en train de percuter successivement la comète d'Antéa au moment où elle parvenait à se positionner en rempart entre la pluie de projectiles et le dernier conteneur d'embryons à la dérive.

 Une sonnerie pressante retentit dans l'habitacle.

 Aidée d'Amitié, Antéa stabilisa tant bien que mal son vaisseau après un plus violent impact qui déclencha une baisse de tension électrique.

— Antéa, nous avons des avaries en cascade. Le gyroscope notamment est gravement... SURTENSION ! Je redirige la puissance sur l'amplificateur de stase afin de protéger les embryons des débris. J'envoie un rapport d'avaries à Contrôle. Si le réacteur lâche, on perd le champ de stase et les embryons vont être pulvérisés... Et je pense qu'il va lâcher. C'est imminent, Antéa !

— Amitié, maintiens la pression le temps que je rectifie la trajectoire pour protéger le conteneur. On a dévié à cause du dernier impact. RHAAAAA ! Les commandes ne répondent presque plus !

 Elle parvint péniblement à accomplir cette manœuvre. La zone de délitement du vaisseau-comète était devenue totalement chaotique, envahie de débris de toutes tailles se fragmentant toujours davantage et se mouvant à grande vitesse. Certains percutèrent à nouveau le vaisseau-comète d'Antéa, l'obligeant à rectifier plusieurs fois son axe.

— Alertes-système, Antéa !

— Encore un instant !

 Tous les systèmes s'éteignirent. Les lumières également. La gravité cessa dans l'habitacle.

— Qu'est-ce qui se passe ?

— Un coupleur a dû sauter. Les systèmes se sont mis en veille tout seuls. Le champ de stase a cessé de fonctionner. Nous dérivons avec le dernier conteneur une dizaine de mètres devant nous pour nous ouvrir le chemin. Pour le moment, notre vaisseau fait office de bouclier, mais ça ne durera pas. La probabilité qu'un autre gros fragment nous percute et nous fasse dévier est très élevée. L'équipage quant à lui est sain et sauf à bord, mais en état de choc. Leur drone a pris le relai du champ de stase du vaisseau et a pu éviter que les containers ne soient secoués dans la soute. Ils sont en train de tout fixer.

 La respiration toujours bloquée par le stress, Antéa finit par laisser s'échapper un long soupir. Un bruit de collision réveilla son inquiétude. Ses muscles se raidirent malgré elle. Avec l'arrêt du réacteur, il n'était plus possible de contrôler son vaisseau.

 Angoissée et cette fois totalement impuissante, Antéa se concentra sur les sons. Ils entendirent encore des dizaines de bruits de chocs. Les bolides ne devant pas excéder la taille d'une tête, insuffisants à leurs vitesses pour percer la carapace externe ou altérer de trop leurs rôles de bouclier de protection pour le dernier conteneur dehors. Sa comète serait en revanche constellée de nouveaux cratères.

 Antéa se décrocha de son siège et flotta dans l'habitacle.

— Amitié, suis-moi ! On sort !

 Elle se propulsa vers une coursive.

— Tu n'y penses pas sérieusement ! Tu sais ce qui nous attend dehors ?

— Tu me protègeras !

— Et qui me protègera moi ?

— Tu positionneras le champ de stase face au débris, ça devrait te protéger.

 Ils se dirigèrent vers le sas secondaire prévu en cas de double amarrage. Plusieurs secousses leur firent perdre leur repère. Ils finirent toutefois par arriver devant le sas.

— Enfile une combinaison, Antéa.

— Pas le temps.

— Mes chances d'être pulvérisées et que tu meurs dans la foulée sont de 63 %.

— Ce n'est pas terrible. Et avec une combinaison ?

— 62 %... en arrondissant à l'inférieur.

— La combinaison ne servira donc à rien.

— Ma programmation me force à privilégier le grand nombre de vies du conteneur à la tienne seule, mais je n'aime pas ça du tout ! Tu risques de...

— Tu sais que j'aime quand tu t'inquiètes pour moi, mais on n'a pas le temps. On y va ?

 Amitié déploya son champ de stase autour d'elle et alluma ses projecteurs. Dans l'Amas, la lumière solaire était rare. En temps normal, nul n'était autorisé à générer de la lumière à l'extérieur. Toutefois, il s'agissait d'une situation d'extrême urgence qui nécessitait un contrôle visuel. La vue pouvait certes s'habituer à l'obscurité, car les habitants de l'Amas avaient vu leur évolution forcée en ce sens, mais Antéa devait pouvoir évaluer rapidement si cette expédition valait le risque encouru. Ils ne disposaient plus des instruments du vaisseau et le caisson non encore ramené à bord était peut-être déjà désintégré. Les projecteurs d'Amitié permettraient donc de ne pas perdre de temps.

 Ce dernier enclencha l'ouverture d'urgence du sas en heurtant le pressoir manuel. Il déclencha alors toute sa propulsion à résister à la dépressurisation qui l'attira dans le vide. Puis, ils sortirent.

 À l'extérieur, le chaos régnait.

 Amitié se positionna comme convenu faisant de la stase autour d'Antéa un bouclier pour lui qui était vulnérable. Ses capteurs à l'affut et ses capacités de calcul à plein régime, Amitié virevoltait pour échapper à des projectiles qui venaient parfois des côtés, conséquences de collisions en cascade qui allaient crescendo. Fort heureusement, ils étaient bien moins nombreux que ceux qui frappaient la stase d'Antéa de plein fouet et ils diminuaient en volumes.

 Antéa distinguait la multitude d'impacts lumineux que les débris causaient en faisant vibrer le champ protecteur. Ils lui rappelaient un instrument à percussion créé par un petit malin sur le même principe et dont elle avait vu un holo en visionnant une capsule du sous-réseau. Le martèlement était intense. Antéa se demanda combien de temps Amitié pourrait ainsi supporter une telle dépense d'énergie.

 Elle s'habitua au bruit assourdissant de cette pluie de grêlons minéraux de toutes tailles même si les gros impacts continuèrent de la faire sursauter. Tout en esquivant follement, Amitié la rapprocha du conteneur qui flottait et encaissait sans broncher nombre de chocs.

 La caisse d'embryons était déjà couverte de bosselures. Fort heureusement, elle n'avait pas été percutée par un trop gros fragment de matière, pour le moment.

 Amitié étendit son champ de stase autour. Antéa put constater de près que le blindage avait tenu bon. Malgré les -250 °C extérieurs, et la cryogénisation interne, le métal était devenu tiède sous la violence des chocs.

 Antéa s'arrima au caisson, tandis qu'Amitié retournait vers le sas, champ de stase toujours pointé au-devant de lui.

 Le plan d'Antéa possédait un inconvénient. Un petit détail auquel elle n'avait pas pensé. Le conteneur était trop grand pour l'ouverture du sas secondaire prévu pour une personne seule. Le sas principal verrouillé après l'entrée de l'équipage était trop exposé au débris. Ils ne pouvaient s'y rendre et devaient être tellement cabossés par les impacts qu'il en était certainement devenu inouvrable. Par ailleurs avec l'arrêt du moteur, Antéa n'avait aucune idée de l'état de la pression interne. Avait-elle déjà été restaurée ? Sans doute. Elle n'allait pas tuer l'équipage peut-être encore dans la soute en forçant le sas pour entrer.

 Il n'y avait guère plus qu'une solution. Elle ordonna à Amitié de les plaquer au plus près du vaisseau, tout contre la paroi la moins exposée. Le drone lut les ordres sur ses lèvres. Elle lui demanda où en étaient ses réserves d'énergie. Le drone lui répondit en irradiant une lumière bleue.

« Suffisante, à priori en conclut Antéa. »

 L'inertie prise par le vaisseau avant qu'elle n'en perde le contrôle finirait par les conduire hors de danger.

 Bizarrement, la pluie de débris s'intensifia en nombre, mais Antéa comprit pourquoi. Les fragments à force de se percuter les uns les autres devenaient de plus en petits et nombreux. C'était bon signe.

 Les heurts diminuèrent progressivement à mesure que les minutes s'écoulèrent. La tension retomba sans que l'angoisse quitte définitivement Antéa.

 Elle s'imagina souffrir de contractures dans la nuque pendant quelques jours tant elle s'était crispée pendant ce sauvetage.

 Ils restèrent plaqués ainsi pendant près d'une demi-heure le temps que les secours puissent approcher la zone sans danger.

*

 Antéa était avachie dans la soute d'un des vaisseaux avec lesquels elle avait effectué l'opération de dragage, avant que l'accident ne survienne. Ils étaient les plus proches sur zone et avaient donc été les premiers à les secourir.

 Le Commandant qui avait recueilli à son bord Antéa vint lui donner des informations.

— Les derniers embryons sont hors de danger. On a tout filmé et envoyé à Contrôle. Ça va finir sur le sous-réseau à tous les coups. C'est dingue, ce que vous avez fait !

 L'adrénaline se dissipait. Antéa se demanda ce qui lui avait pris de faire une sortie en extérieur en pleine désintégration d'un vaisseau-comète juste pour une caisse d'embryons. Elle se massa les cervicales en bâillant.

— Mon drone ?

 Amitié entra dans la soute en flottant. Il semblait en parfait état.

— De minuscules impacts et des éraflures. On l'a rechargé et remis un petit coup de polish.

 Antéa sourit. Amitié allait bien.

 Il ne pouvait pas dévoiler sa personnalité devant un inconnu, mais Antéa imagina sans mal la soufflante qu'il lui passerait plus tard. Antéa continuait d'enchainer les bâillements, le contrecoup sans doute, car ce n'était pas l'heure de dormir pour elle.

— Merci pour votre aide. Pouvez-vous me laisser un instant avec mon drone, s'il vous plait ? demanda Antéa au Commandant.

— Pas de problème, dit-il sans s'offusquer. Juste une dernière chose : bravo !

— Ah... euh. Merci.

 Le Commandant quitta la soute. Elle contempla le caisson d'embryons.

 « J'espère que vous en vaudrez la peine ! leur dit-elle en pensée. »

— Amitié, dit-elle en chuchotant. Tu ne m'engueules pas ?

— Tu es brave. Je suis plutôt fier de toi... et de l'éducation que je t'ai donnée. Au fait, je t'ai encore sauvé la vie !

 Antéa sourit en bâillant à nouveau.

— Comment va l'autre équipage ?

— Ils sont à bord de notre comète en cours de remorquage. Aux dernières nouvelles échangées avec leurs drones, les rescapés du vaisseau-couveuse étaient vidés nerveusement par ce qu'il venait de vivre et abattus par la perte de leur vaisseau. Physiquement, ils semblaient aller bien sinon.

 Antéa se mit à leur place. Ils ne devaient pas se sentir fiers d'eux, même s'ils n'étaient pour rien dans la panne qu'ils avaient subie.

— Contrôle a reçu mon rapport dit Amitié. Ils envoient une équipe à notre rencontre. Par contre...

— Quoi ? Qu'est-ce qui ne va pas ?

— Aux vues des messages d'erreur de notre vaisseau avant l'interruption du système, il y a un énorme problème, commença-t-il gravement.

— Je t'écoute, dit Antéa avec appréhension.

— C'est réparable selon moi, mais tu viens de gagner plusieurs semaines d'immobilisation. Tu vas pouvoir profiter de loooongs congés, acheva-t-il de dire amusé.

— Oh, mais t'es bête ! Tu m'as fait flipper !

— Je sais.

— Ne refais plus jamais ça !

— Naaaan, dit-il de la façon volontairement la moins convaincante qui soit. Sinon, toi qui ne voulais pas te reposer, es-tu familière du concept d'acte manqué ?

— Amitié ?

— Oui, Antéa ?

— Tu me soules !

 Mais il y avait tout à la fois du soulagement et une profonde affection dans la voix d'Antéa. Au final, ils s'en étaient tirés le mieux possible. Tout le monde était sain et sauf.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Guilhem ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0