CHAPITRE 27

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Nous décidâmes de partir le soir même. Tout alla très vite. Trop vite pour que je me rende compte que je n’allais peut-être pas revoir tous ces gens, qu’au fond, j’aimais foncièrement. J’aimais ces gens que je venais de quitter, mais je ne savais pas si j’étais encore capable de le retrouver un jour. C’est toujours réconfortant de vivre dans les souvenirs du passé, mais ça ne fait pas avancer le présent. Je pleurai de les avoir peut-être vus pour la dernière fois. Nous aurions pu passer des heures à nous dire au revoir, mais la peur de se faire prendre en train de faire quelque chose de répréhensible nous vaccina contre des adieux à rallonge. Nous partîmes en un éclair. Je déposais, à mon tour, Amena et Vladimir à l’endroit dit, sans attendre de grands au revoir, et je quittai la Bulgarie sans me retourner.

Je ne me sentais pas serein. Au volant de ma voiture, j’aurais voulu en faire plus. J’aurais voulu peur être en dire plus. Non, en réalité, je ne sais pas ce que j’aurais voulu. Je ne savais pas si ce voyage avait ce goût d’amertume parce qu’il avait un léger parfum d’inachevé ou parce que je n’avais toujours pas réussi à apaiser ma conscience. Au fond, moi aussi, je n’étais qu’un étranger, quelqu’un de passage dans un pays qui m’avait fait comprendre qu’il ne voulait plus de moi. Mais moi, dans l’histoire, j’avais toujours eu le bon rôle. Au contraire de tous ces inconnus qui avaient cristallisé mon embarras que ce soit à porte de la Villette, dans les ruines d’un hangar désaffecté ou au fin fond de la campagne bulgare, j’avais, moi, eu le choix. La possibilité, du jour au lendemain, de disparaître pour un ailleurs. Même si je n’essayais, ne serait-ce qu’une seule seconde, de me mettre à leur place, je n’avais jamais rien à voir avec ces gens que je croisai sur mon chemin. Pour moi, il y avait un bout à cette route que j’empruntais. Dans ma voiture de location, sur le chemin qui me ramenait au port de Thessalonique, je comprenais que ce n’était que mon amour-propre qui avait été éraflé, ma susceptibilité qui avait été piquée. Et ça, c’était un secret que je pouvais facilement cacher au reste du monde sans que cela ait une grande répercussion sur la marche de l’humanité. Ce n’était rien d’autre que des mots. Il ne fallait pas que je m’en soucie, parce qu’au fond, je n’étais que de passage dans ce pays

Je ne savais plus si j’avais bien fait de m’interposer, de donner mon avis, de froisser ces gens qui se battent pour un semblant d’existence. Au fond, j’étais qui pour juger des actes et des paroles, ces gens qui aident leurs prochains et ces autres qui veulent les chasser de leur terre. En l’occurrence, ils ne sont pas si différents les uns des autres. Ils sont tous gouvernés par une seule et même envie profonde, celle d’exister, les uns en aimant les gens et les autres en les détestant. Moi aussi, j’avais envie d’exister, mais je ne savais toujours pas s’il y avait un camp à choisir. La seule chose dont j’étais sûr, c’est que je ne voulais pas rentrer dans la mesure d’un stéréotype, d’une caricature facile. Je ne voulais pas être cette mère Theresa en blouse d’infirmière qui parcourait les terrains de conflits pour aider son prochain, mais je ne voulais pas non plus devenir cet autre homme ancré dans la haine. Je devais faire autre chose de ma vie. Je devais exister par et pour moi-même avant d’exister pour les autres, dans le souvenir de ce qu’ils avaient déjà vécu, penser à vivre, tout simplement.

Pendant longtemps, j’avais pensé que l’archéologie allait être toute ma vie. Je me trompais. Depuis peu, je pensais que je pouvais devenir antiquaire parce que je le voulais. Mais la boutique aux p’tits zobs ne m’avait jamais appartenu. Elle était à mes parents. Elle était mes parents.

J’étais persuadé de vouloir devenir cet antiquaire que mon père avait été, mais je n’en avais plus envie. J’avais pensé trop facilement que renier le patrimoine que mes parents m’avaient légué serait une injure à leur mémoire. En fait mon père avait toujours eu raison. Ce n’était que de la breloque et de la babiole. La camelote n’avait que très peu d’importance en réalité. L’important était de savoir ce qu’on allait en faire. Et sur ce point, je ne pourrais jamais lui enlever une chose. Il avait toujours vécu dans le présent, son présent aux yeux des autres, mais un présent qui prenait source dans cet amour que mes deux parents avaient pour les petits objets. Ce qui intéressait mon père dans tous ses objets, ce n’était pas plus leur valeur que ce qu’ils symbolisaient pour arriver à les faire vivre autrement sur une étagère poussiéreuse d’antiquaire.

Encore une fois, en rentrant à Paris, j’étais en train de renouer avec mon passé. J’étais parti sur un coup de tête. J’aurais voulu me perdre et me voilà sur le chemin du retour. Je n’avais rien laissé derrière moi qui ne serait pas là à mon retour : la boutique aux p’tits zobs, l’appartement de mes parents, mes voisins emplâtrés dans les années soixante et mes amis. Tout ce qui m’emprisonnait. Mon paradis matériel n’aurait pas bougé et insidieusement il m’attirait. Il exigeait mon retour. Il serait toujours à la croisée de la rue des francs-bourgeois et de la rue vieille du temple.

Au fond, la seule chose que je ne voulais pas perdre, c’était Bérénice et mes amis. Ils étaient mon présent. Ils avaient toujours été là. Je n’aurais jamais été la personne que je suis aujourd’hui sans eux. J’avais grandi avec eux. Ils m’avaient critiqué, aimé, soutenu, menti ou encore délaissé un temps. Je les avais détestés, haïs parfois même, avant de me retourner pour les aimer. C’était encore eux qui me connaissaient le mieux.

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